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DEMOCRATIE
L’Eglise catholique surveillera les élections
L’opposition camerounaise réclamait une Commission électorale nationale indépendante (CENI), le pouvoir a créé un Observatoire national des élections (ONEL). L’Eglise catholique veut jouer les arbitres et, à son tour, elle a créé un “Observatoire chrétien des élections”, en vue de garantir la transparence et l’équité lors des élections municipales prévues en 2002.
La transparence électorale constitue le principal enjeu des prochaines élections municipales. Dans sa grande majorité, l’opposition ne fait plus confiance à une administration acquise au pouvoir pour organiser les élections. Elle estime que l’histoire douloureuse des scrutins de 1992, 1996 et 1997, montre que, face à l’autoritarisme et la bureaucratie électorale imposante de l’Etat, aucun scrutin n’a jamais véritablement exprimé les aspirations du peuple camerounais.
Les partis d’opposition ont donc préconisé la création d’une Commission électorale nationale indépendante, dont le travail consisterait à organiser toutes les opérations, allant du recensement électoral à la publication des résultats, en passant par l’inscription sur les listes électorales, la distribution des cartes d’électeurs, la création et la gestion des bureaux de vote, l’organisation de la campagne électorale, et le recensement des votes.
Jean-Baptiste Sipa, une personnalité proche de l’opposition justifie la nécessité d’une telle structure: «Le système électoral camerounais est malade d’une fraude élevée. Pour l’en guérir, la presse, les Eglises, les ONG et les partis politiques de notre pays ont pensé qu’il fallait mettre sur pied une structure indépendante de l’administration publique. Cette structure permanente serait responsable de l’organisation de toutes les élections conduisant au choix des dirigeants et représentants centraux, régionaux et locaux de la nation». Si l’on s’en tient à l’esprit de cette proposition, l’opposition semblait demander au pouvoir en place d’organiser sa propre défaite, en donnant sa caution à une structure dont le contrôle lui échappe totalement.
Tollé général
Prenant le contre-pied de la revendication de l’opposition, le président de la République, Paul Biya, a créé l’ONEL, voté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2000. Et le 10 octobre 2001, le président Biya en nommait les 11 membres. Si la création de l’ONEL avait déjà été vivement contestée et désapprouvée par l’opposition, la nomination de ses membres a provoqué un véritable tollé général. Les conseils de l’opposition ont passé la loi au peigne fin et ils y ont découvert deux anomalies flagrantes dans les articles 3 et 5.
L’article 3, alinéa 3 stipule: «Les membres de l’ONEL sont choisis parmi les personnalités indépendantes de nationalité camerounaise, connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité. Dans l’exercice de leurs fonctions, ils ne doivent solliciter ni recevoir d’instructions ou d’ordres d’aucune autorité publique ou privée». Quant à l’article 5, il stipule: «Ne peuvent être nommés membres de l’ONEL, les membres du gouvernement et assimilés, les secrétaires généraux de ministères et assimilés, les personnes exerçant un mandat électif national, régional ou local».
Or, Me Tsapy Lavoisier, conseil juridique du Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition, fait remarquer que le président de l’ONEL, Enoch Kwayeb, est un militant reconnu du RDPC, le parti au pouvoir. Il est conseiller municipal du RDPC et de surcroît membre suppléant du Comité central du parti. De même pour deux autres membres: M. Nguele Meke Roger est conseiller municipal du RDPC et Mme Nicole Claire Ndocko est vice-recteur de l’université de Douala, fonction assimilée à celle de secrétaire général de ministère.
De ce fait, différents partis d’opposition estiment que la présence de militants du parti au pouvoir enlève à l’ONEL la neutralité et l’impartialité exigées. Le SDF a déposé auprès de la Chambre administrative de la Cour suprême une requête en annulation contre le décret portant nomination des membres de l’ONEL. Le président de la République a lui aussi été saisi d’un recours gracieux pour qu’il rétracte son décret.
L’arbitrage de l’Eglise
Face à ce qui se dessine déjà comme un bras de fer entre le pouvoir et l’opposition, l’Eglise catholique veut jouer les arbitres pour éviter les tensions sociales dans le pays. Elle envisage la participation d’observateurs chrétiens aux élections. La Conférence épiscopale a donné son feu vert. Un séminaire de formation des observateurs – que l’Eglise commettra dans les bureaux de vote à travers le territoire national – a été organisé du 29 octobre au 2 novembre à Yaoundé. L’objectif est d’envoyer sur le terrain des chrétiens courageux et compétents pour observer valablement les élections, pour que le processus électoral soit transparent en vue d’une démocratie plus forte au Cameroun.
Le Pr Titi Nwel, coordinateur national de Justice et Paix au Cameroun, explique: «C’est la première fois que l’Eglise entend s’impliquer de manière plus forte dans le processus électoral. Elle veut veiller à ce que la paix post-électorale ne soit plus perturbée, car la présence d’observateurs neutres manque énormément dans le processus électoral au Cameroun. Quand les observateurs européens viennent superviser les élections ici, ils restent cloîtrés dans les grands hôtels et ne vont jamais voir ce qui se passe aux tréfonds de nos villages».
Pour mieux comprendre cette initiative, l’Eglise n’entend pas se substituer à l’ONEL créé par le pouvoir, ni donner sa caution à la CENI. Elle veut simplement apporter sa contribution à la consolidation de la paix et du processus démocratique, à travers une transparence électorale qui garantirait les chances égales à tous les partis. L’Eglise sait qu’elle ne peut empêcher les préfets et les sous-préfets de tricher. Elle sait aussi que les politiciens, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition, ne renonceront peut-être pas à la fraude électorale. Mais elle a la forte conviction que construire la justice et la paix aujourd’hui au Cameroun passe aussi nécessairement par les urnes.
Même si le ministère de l’Administration territoriale, maître d’œuvre des élections, ne fait apparemment aucun obstacle à cette initiative de l’Eglise, le gouvernement s’interroge tout de même sur les motivations de cet engagement. Un haut fonctionnaire de ce ministère fait son commentaire: «L’Eglise veut embarrasser le gouvernement. Mais nous resterons vigilants pour voir quelles sont ses intentions réelles».
La confiance règne!...
Dans l’ensemble, la transparence n’est ni du côté du pouvoir, ni de celui de l’opposition. Personne ne fait confiance à l’ONEL dont le travail se limitera à observer le déroulement des élections, puis établir un rapport qu’il adressera au président de la République, qui en fera ce qu’il voudra. Le contrôle de la proclamation des résultats, le contentieux électoral et la validation des résultats échappent complètement à cette structure. Tout cela fait croire que l’ONEL est en réalité un moyen détourné et artificieux pour le gouvernement de se tirer de l’embarras constitué par la condition de bonne gouvernance qu’exigent les bailleurs de fonds occidentaux.
De l’autre côté, personne ne croit à la sincérité et la bonne foi de l’opposition quant à son exigence d’une Commission électorale nationale indépendante. On estime que son contenu, ses compétences, sa marge de manœuvre, son autorité et la constitution de ses membres ne sont pas à même d’apporter une solution viable au problème de la transparence, d’autant plus que l’opposition ne cesse de manifester sa soif de l’alternance politique.
Beaucoup s’interrogent aussi sur la qualité de la collaboration qu’apporteront l’opposition et le pouvoir à l’Eglise, afin de lui permettre de jouer les arbitres impartiaux dans une société où les loups évoluent le plus souvent sous le masque d’agneaux. Les tricheries aux élections sont généralement des initiatives personnelles d’individus issus de l’opposition ou du pouvoir qui, par soif de positionnement social, multiplient des manœuvres contraires à l’éthique démocratique, et que l’opinion n’hésite pas à mettre sur le compte du pouvoir en place.
Le système électoral camerounais semble être pris en otage par une race d’individus avides de postes politiques et administratifs. L’instauration d’un système électoral transparent ne rentre pas dans leurs intérêts égoïstes.
Le parti qui gagnera les prochaines élections municipales, ne sera peut-être pas celui qui aura convaincu les électeurs par un programme social qui répond aux attentes du peuple. Dans ce cas, c’est le Cameroun qui sortira perdant de cette consultation populaire.
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