ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 427 - 01/02/2002

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Tchad
“Les adultes de la rue” de N’Djaména


VIE SOCIALE

Après les enfants de la rue,
voici maintenant les adultes de la rue:
un phénomène qui inquiète les autorités de N’Djaména

Depuis une décennie, les rues de N’Djaména se remplissent à un rythme alarmant. Un phénomène nouveau inquiète de plus en plus les autorités: celui des “adultes de la rue”. Ils appartiennent à plusieurs catégories.

Quatre catégories

La première est composée de jeunes combattants issus des différents maquis du sud du Tchad, qui sont rentrés dans la légalité après les accords politiques signés avec le gouvernement central. Abandonnés à eux-mêmes dans la ville par leurs chefs, qui ont réussi à briguer des postes de responsabilité dans la hiérarchie militaire, ces anciens jeunes maquisards vivent de la débrouille à travers les quartiers de la capitale. N’ayant pas de moyens pour se nourrir, s’habiller ou trouver un logement acceptable, ces nouveaux citadins, parmi lesquels on compte de nombreux semi-lettrés et analphabètes, peuplent les rues de N’Djaména.

La deuxième catégorie comprend des jeunes, victimes de l’exode rural. Les effets des différentes sécheresses, la chute du prix du coton et l’attrait de la ville poussent des milliers de jeunes paysans du Sud à émigrer à N’Djaména. Ne pouvant pas se loger dans les quartiers du centre, à cause de la montée du prix des loyers, ces jeunes campagnards, généralement rejetés par leurs parents, emplissent les habitations de la périphérie, au point de gêner la tranquillité des anciens citadins. Au nombre de 5 à 10, ils s’entassent dans de petites chambres ne pouvant contenir que deux lits. Faute de literie suffisante, certains passent leur “nuit” le jour, d’autres la nuit. Ils n’hésitent pas à lancer des injures à tout passant qui oserait les regarder.

La troisième catégorie est celle de jeunes travailleurs saisonniers qui arrivent à N’Djaména après les récoltes des champs. Ils n’ont pas l’intention de demeurer longtemps, mais ils se livrent à de petits boulots domestiques, vendeurs de jus d’oseille, revendeurs ambulants de pain et fabriquants de briques. Ce qui leur permet de s’acheter des objets et instruments de première nécessité en zone rurale: haches, lampes-torches, sacs de sel, pièces de charrue et de charrette, pagnes pour leurs épouses restées au village et surtout certaines parures que portent les citadins; signe qu’ils reviennent de la ville après leur retour.

Le quatrième groupe est formé de jeunes qui viennent de fuir leur village pour échapper aux répressions des chefs de cantons et des commandants de brigade, surtout après l’élection présidentielle du 20 mai 2001. En effet, les jeunes militants des formations politiques d’opposition ayant présenté leur candidat à l’élection présidentielle sont pourchassés avant, pendant et après le scrutin. Pour leur sécurité, certains ont trouvé refuge dans la capitale, tandis que d’autres ont regagné des pays voisins comme la République centrafricaine, le Cameroun et le Nigeria. Difficile apprentissage de la démocratie, où l’alternance politique n’est pas encore entrée dans les moeurs.

Insécurité et misère

Le dénominateur commun de ces jeunes ruraux est la misère. Reconnaissables à leurs habits sales et grossièrement confectionnés, mais aussi à leur parler, ces jeunes se solidarisent en se promenant par groupes de 5 à 10 personnes, voire plus. Leur lieu privilégié est le quartier Shagoua, au sud de la capitale, où vivent la plupart des ressortissants de leur région. On les remarque les week-ends en train de déambuler dans la rue qui va du siège de l’ancien Fonds de développement agricole et rural (FDAR) au marché de Dembé.

L’“Axe lourd”

Cette rue, qui abrite de nombreux points de vente de bili-bili, la bière de mil locale, accueille ces nouveaux citadins dans un brouhaha indescriptible. A cause de l’animation quasi quotidienne, la rue FDAR est rebaptisée “Axe lourd” par les habitants d’autres quartiers. Là, ils se nourrissent du koura-koura, la fameuse soupe aux pattes de moutons ou de boeufs, très pimentée, vendue à vil prix dans les cabarets. Certains préfèrent des criquets et oiselets grillés, tandis que d’autres jettent leur dévolu sur des morceaux de patates hâtivement frites, ou encore sur le bakouri, sorte de tourteaux fabriqués de manière artisanale. D’autres encore savourent la soupe aux garga, ces petits poissons saisonniers au prix très abordable qui varient les repas des ménages pauvres de la capitale.

Pour bien se distinguer du reste des habitants de la ville, ils communiquent entre eux dans des langues initiatiques. En présence des femmes, ils jonglent avec le yo ndoh, une langue d’initiation du groupe ethnique Sara, qui se parle généralement en brousse ou pendant les moments difficiles des hommes. Même s’ils s’expriment dans les langues habituelles comme le sara ou l’arabe dialectal, ils sont très grossiers dans leurs expressions, alors que les allusions sexuelles publiques relèvent du domaine du tabou dans toutes les sociétés du Tchad. Ils sont capables de disputer aux enfants les morceaux de galettes de mil, attitude socialement condamnable pour un adulte tchadien.

Haut lieu d’insécurité

Haut lieu d’insécurité, l’"Axe lourd" est très fertile en querelles et bagarres rangées. Pour les automobilistes et les motocyclistes, c’est un véritable casse-tête; personne ne leur cède le passage malgré les coups de klaxon. Ces jeunes, la plupart désoeuvrés, ne tardent pas à faire usage de leurs armes blanches qu’ils ont emportées du village, poignards traditionnels et couteaux de jet empoisonnés.

La police et la gendarmerie ont une peur bleue de pénétrer dans ce milieu. Selon des sources policières, de nombreux faux monnayeurs expatriés de nationalité libérienne, congolaise, nigériane et camerounaise, profitent de la confusion créée par ces nouveaux citadins pour feinter les services des renseignements généraux. Les autorités sont ainsi interpellées. Ce phénomène, qu’on juge aujourd’hui anodin, peut à la longue causer un réel problème de sécurité publique.

Les structures de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le VIH-sida doivent prendre en compte cette nouvelle donne. Car, si on dit que le sida au Tchad est à la fois urbain et rural, les grands animateurs des échanges entre les villages et les villes sont ces jeunes ruraux qui, pour une raison ou une autre, abandonnent les campagnes au profit de la capitale. La stratégie nationale de réduction de la pauvreté qui vient d’être adoptée par le gouvernement doit également se pencher sur le cas de ces jeunes malheureux. Car, aujourd’hui c’est N’Djaména; demain ce sera le tour des autres agglomérations du Tchad d’être envahies par ces faux chômeurs.


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