ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 428 - 15/02/2002

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Cameroun
Controverse autour des véhicules administratifs


CORRUPTION

Le Premier ministre persiste dans sa volonté de réglementer l’achat des véhicules administratifs

Les véhicules administratifs, communément appelés “CA”, sont de retour! Rutilants, insolents et puissants, les nouveaux véhicules de fonction du personnel de l’Etat tiennent la vedette dans les villes et la campagne. C’est un signe du retour à la croissance économique.

Vu leur nombre sans cesse croissant, leur gabarit impressionnant, et surtout leur affectation au mépris du rang et des fonctions occupées par les bénéficiaires, les nouveaux véhicules immatriculés CA sont source de polémique au sein de l’opinion. A telle enseigne que d’aucuns n’hésitent plus à remettre en question le discours officiel sur la lutte contre la pauvreté, désormais considéré comme un leurre. A quoi peut servir un véhicule 4x4 à un chef de service d’un ministère qui travaille dans la capitale? Est-il judicieux dans un pays sous ajustement structurel, en proie aux conséquences de la crise économique, qu’un fonctionnaire ait à sa disposition un impressionnant parc automobile?

C’est probablement pour mettre un terme à cette dérive, que Peter Mafany Musonge, Premier ministre, est sorti de sa réserve avec un décret fixant les modalités d’acquisition des véhicules administratifs et leur classification pour leur affectation. «Le matériel roulant, écrit le Premier ministre, ne peut faire l’objet d’une acquisition par les administrations de l’Etat que pour nécessité de service. Les départements ministériels sont tenus, lors de l’élaboration du budget, de cerner et d’exprimer clairement leurs besoins en véhicules sur la base de l’état technique et quantitatif des parc automobiles respectifs existants...».

M. Musonge avait déjà adressé une circulaire, en juillet 2001, aux membres du gouvernement, en insistant sur le fait que les véhicules administratifs retenaient «de plus en plus l’attention alors que (…) la priorité reste l’affectation des fruits de la croissance en destination des projets de lutte contre la pauvreté accumulée pendant la longue période de récession».

Toutefois, fait-on remarquer, c’est le même Premier ministre qui, devant l’Assemblée nationale, a défendu en juin 2001 un budget d’investissement public prévoyant 6,4 milliards de francs CFA (1 FCFA = 0,15 EU) pour l’achat de véhicules pour l’administration. Soit 2,09% des 307 milliards de FCFA alloués à l’investissement public, et 21,7% du budget consacré à la rubrique équipement de matériel.

Autres statistiques: sur les 50 postes ministériels et assimilés, seuls 22 accaparent ouvertement la totalité des fonds alloués à l’acquisition des véhicules. Plus d’une vingtaine n’en font pas cas dans leurs prévisions budgétaires et la dizaine restante dissimule son budget véhicule dans des lignes de crédit aux dénominations fourre-tout comme “équipements techniques spéciaux”, “autres moyens logistiques”, “équipements des services”, etc.

Hit parade

Dans l’euphorie du retour de la croissance, certains départements ministériels ne font pas dans la dentelle.

Le ministère de l’Education, du Pr Joseph Owona, se taille la part du lion avec 1,34 milliard de FCFA pour l’achat de véhicules et motocyclettes. Soit 13 fois le budget réservé au branchement électrique des établissements scolaires, et plus du double de ce qui est alloué à la construction de latrines et points d’eau dans les écoles primaires. Entre-temps, plusieurs établissements scolaires nouvellement créés n’existent que sur le papier. D’autres, comme le collège d’enseignement secondaire de la localité Afan Loum (province du Centre), partagent les bâtiments de l’école primaire. Une salle de classe en matériaux “définitivement” provisoires y a été construite.

En seconde position figure le ministère de la Santé publique, avec pratiquement un milliard de FCFA pour équipement véhicules. Soit dix fois l’enveloppe que le ministère consacre, pour le même exercice budgétaire 2001-2002, à la lutte contre les grandes endémies (100 millions). A la lutte contre le sida il n’alloue que 5 millions; tandis l’enveloppe pour le programme élargi à la vaccination ne prévoit que 400 millions, et 75 celle pour la lutte contre l’onchocercose, la cécité des rivières.

En troisième rang vient la Sûreté nationale avec 561 millions de FCFA, soit six fois ce qu’elle réserve à l’équipement des commissariats (100 millions) et à l’achat des armes et munitions (100 millions).

En quatrième position vient le ministère de la Justice avec 500 millions pour les véhicules. Les autres ministères sont un peu plus modestes...

Des choix à faire

Le prologue de l’épaisseur de ces grosses enveloppes allouées à l’achat des véhicules remonte à quatre ans. En effet, dans le cadre de la mise en exécution du Programme d’investissement public, le Premier ministre en personne prescrivait aux gestionnaires des différentes administrations publiques de recommencer à doter l’Etat en matériel roulant. Il s’agissait de «redonner à l’administration camerounaise les moyens lui permettant de fonctionner correctement». Une raison encore évoquée aujourd’hui au ministère des Investissements publics (en charge de procéder aux arbitrages budgétaires).

Un responsable explique: «Les enveloppes budgétaires allouées à l’acquisition de véhicules cette année répondent à un besoin de renforcement des capacités de fonctionnement de l’administration. Imaginez-vous le rendement d’un responsable provincial du ministère des Pêches et des Industries animales par exemple, qui doit descendre sur le terrain s‘assurer de l’effectivité des travaux réalisés, sans véhicule pour ses déplacements». Il poursuit: «Le problème n’est pas tant dans l’épaisseur de l’enveloppe véhicules que dans le choix du type de voiture. Doit-on acheter au ministère une Vx de 98 millions ou une Grand Vitara, à un directeur de l’administration centrale une Nissan Patrol plutôt qu’une Lzuzu double cabine? C’est la question».

Pour l’opinion, est-il opportun d’investir tant d’argent dans l’achat de véhicules alors que les routes ne sont pas entretenues ni en zone rurale ni en zone urbaine? Comment peut-on consacrer 2% du budget d’investissement à l’achat de véhicules alors que le ministre de la Recherche scientifique et technique revendique en vain 1% du budget national pour la recherche?

L’achat des grosses cylindrées augmente inutilement le train de vie de l’Etat et prive le gouvernement des moyens dont il a besoin pour lutter efficacement contre la pauvreté. D’aucuns optent davantage pour la réduction du train de vie de l’Etat en vue de consolider les acquis de la reprise.

Frappé de plein fouet par la crise économique en 1985, avec des indicateurs économiques qui virent brusquement au rouge, l’Etat du Cameroun a décidé de retrousser les manches. En fait, le produit intérieur bruit avait alors entamé une chute libre: plus de 20% de baisse entre 1988 et 1992. D’où le plan de réduction du train de vie de l’Etat, qui prévoyait notamment l’annulation de la quasi totalité des contrats de bail pour logement des fonctionnaires et la vente de plus de 80% des véhicules administratifs. Mais ces voitures seront malheureusement vendues au “franc symbolique” à leurs utilisateurs, à cause de quelques agents véreux.

Aujourd’hui l’achat des grosses cylindrées à la faveur de la reprise de l’économie nationale est, selon le journal Mutations, une porte ouverte aux magouilles. Dans son numéro du 11 juillet 2001, on pouvait lire: «Connaissant les pratiques de notre administration, voilà une grosse brèche ouverte aux combinards des marchés publics. On se souvient à ce sujet que le ministre délégué au contrôle supérieur de l’Etat (à l’époque Lucy Gwan Messia) avait fait acheter l’an dernier, par une société de sa petite sœur, des véhicules d’occasion en lieu et place de voitures neuves».


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