ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 428 - 15/02/2002

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Tchad
Au nom des femmes rurales...


FEMMES

Quel est l’apport réel des femmes urbaines dans la lutte contre les précarités des femmes rurales? Un bilan bien pauvre de la Journée de la femme rurale...

Tout au long du mois d’octobre, des séminaires, des colloques, des conférences-débats et des fêtes ont été organisés au Tchad au sujet des femmes. La célébration de la Journée mondiale de la femme rurale à Maïlaw, au sud de la capitale, ouvre le débat sur l’apport réel des femmes urbaines dans la lutte contre les précarités des femmes rurales.

Marginalisation de la femme rurale

En 1999, le gouvernement tchadien instaurait la Journée de la femme rurale, à célébrer le 15 octobre de chaque année. Initiative louable. Malheureusement, cette journée est plutôt une occasion pour les femmes urbaines d’aller se vanter aux yeux de leurs soeurs rurales. Une véritable balade de santé. Et le bilan des réalisations en quatre ans est bien maigre: un marché hebdomadaire à Kakalé Mbéri; une pharmacie villageoise à Meskiné; une aide financière pour les femmes de Ngatoya, un autre petit village; et des foyers améliorés aux femmes de Linia.

Ce bilan squelettique est insignifiant par rapport à l’importance du sens de cette journée, recommandée d’ailleurs par l’ONU à cause de la marginalisation des femmes rurales. Or, que remarque-t-on? L’ouverture d’un marché hebdomadaire dans un village présuppose un besoin. Ce n’est pas à un ministre, moins encore à des femmes urbaines d’en décider. Donner des foyers améliorés sans apprendre correctement aux femmes rurales comment s’en servir est un exercice inutile. Y a-t-il des mécanismes de suivi?

Divers organismes nationaux et internationaux ont injecté des sommes considérables pour financer la journée de la femme. Mais les femmes citadines, peu préparées à sa réussite, dilapident ces ressources pour du folklore, des fêtes pompeuses, des voitures rutilantes, des boissons exotiques, des pagnes et des drapeaux aux effigies des femmes membres du gouvernement. Pourtant, il s’agit bien de la Journée de la femme rurale, dont les conditions de vie sont loin d’être améliorées.

On comprend pourquoi pendant deux décennies, la question de la lutte contre les discriminations faites à l’endroit des femmes évolue difficilement. Au lieu de s’atteler aux questions comme la réduction de la mortalité maternelle et infantile qui figure dans la déclaration de Bamako (Mali), les Tchadiennes chargées de conduire leurs soeurs rurales se contentent de discours creux qui ne prennent pas en compte les proplèmes réels, qui sont d’abord l’accès aux soins de santé (soins obstétricaux d’urgence), à l’eau potable et à l’éducation. Tous ces besoins sont un mirage pour la femme rurale. Au seuil du troisième millénaire, les femmes nomades du Tchad, par exemple, continuent encore à boire avec leur bétail les eaux de surface et de ruissellement, s’exposant ainsi au choléra, à la malaria et à d’autres maladies diarrhéiques. La Journée de la femme rurale devrait aussi se préoccuper de la vie de ces femmes.

Les discriminations

Le volume des discriminations vis-à-vis des femmes explique la volonté des autorités d’institutionnaliser cette Journée mondiale. Le seul exemple de la nubilité traduit largement la place faite à la femme dans la société tchadienne. Une enquête de l’Association tchadienne pour l’étude de la population, indique notamment que la limite d’âge inférieure pour le mariage n’a jamais été fixée. Le critère est la manifestation de la puberté. Une fille pubère est considérée comme une femme à part entière et doit être mariée le plus tôt possible afin d’éviter les relations sexuelles prénuptiales, préjudiciables à l’honneur de la famille et porteuses de risques de grossesses indésirables. Il faut préserver sa virginité.

C’est un phénomène social dont l’importance est capitale aussi bien pour l’honneur de la famille que pour le montant de la dot à verser aux parents de la fille. En clair, la femme tchadienne est une machine à produire des enfants, qui constituent des éléments de la stabilité de son foyer. A ce titre, peut-on encore appliquer des notions comme la santé maternelle ou le planning familial? Toutes ces considérations sont beaucoup plus durement ressenties en milieu rural qu’en milieu urbain.

D’autres discriminations, liées au statut social par exemple, sont royalement ignorées par les citadines qui, d’après Mme Yvonne Yankal, «s’intéressent beaucoup plus aux festivités et aux voyages dans les capitales occidentales pour faire leurs petites affaires personnelles». C’est pourquoi, toutes les actions en faveur de la femme rurale doivent être confiées, en partie, à des associations féminines qui connaissent réellement la situation de la femme rurale.

La Celiaf

Une de ces associations est la Cellule de liaison et d’information des associations féminines (Celiaf). Elle donne des cours de formation sur des thèmes comme l’importance de l’établissement des actes de l’état civil, les droits civiques et politiques des femmes, les systèmes matrimoniaux, la succession, et la violence faite aux femmes. Elle réalise des études sur les sujets relatifs aux femmes rurales et la protection de l’environnement, l’impact des réformes économiques sur les relations hommes/femmes, la gestion des conflits dans les foyers, la pension alimentaire et les violences conjugales. Une autre est l’Association des femmes juristes du Tchad, aussi membre de la Celiaf. Son rapport d’activités (2000-2001) signale chaque année entre 100 et 150 demandes d’assistance, avec environ 80% d’affaires remportées au tribunal. Voilà des activités à encourager au lieu de débloquer des millions pour festoyer au nom des femmes qui vivent quotidiennement dans la misère.

Le gouvernement doit s’en tenir au cadre institutionnel et laisser les organisations de la société civile s’occuper des questions relatives aux conditions de vie des femmes rurales. Les femmes intellectuelles parlent, quémandent et voyagent au nom des femmes rurales, sans se pencher réellement sur les précarités de leur vie. Elles agissent comme le manche en bois de la hache qui va pour détruire la forêt d’où il est sorti.


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