ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 430 - 15/03/2002

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Cameroun
Face aux inégalités sociales


DEVELOPPEMENT

Malgré les progrès réalisés, beaucoup reste à faire

Malgré les importantes améliorations apportées par le gouvernement à l’éducation, aux soins de santé, aux conditions de logement et autres services sociaux dont bénéficie la majorité de la population pauvre et défavorisée, la pauvreté reste endémique et les écarts de revenus démesurés. En raison de la libéralisation économique et des compressions budgétaires, il s’avère difficile d’améliorer les conditions de vie des pauvres et de leur donner de meilleures perspectives d’avenir. En outre, le sida progresse à une vitesse alarmante.

Disparités

Le seul nom de “New-Bell” pourrait évoquer un quartier plaisant et paisible de la ville de Douala. Mais il s’agit en réalité d’un bidonville délabré, construit au fil des ans, avec du bois et des tôles récupérées. Depuis 1990, l’histoire politique du Cameroun a connu des périodes mouvementées, qui ont suscité de grands espoirs de changements et de réforme sociale. Mais parmi les 360.000 habitants de New-Bell, certains commencent à penser que le gouvernement n’améliorera peut-être jamais leurs conditions de vie. Les baraques dans lesquelles ils vivent sont minuscules, séparées les unes des autres par d’étroits passages et bordées de rigoles. Les coupures d’électricité sont fréquentes et il n’existe que quelques rares points d’eau. Peut-être parce que la communauté est organisée et administrée par des militants du Social Democratic Front (SDF), ses représentants ont réussi à persuader la municipalité de Douala II d’installer des toilettes à la périphérie de leur quartier. D’après Paul Djomo, quadragénaire et natif d’ici, «tous les habitants du quartier sont au chômage. Le peu de revenus qu’ils ont, viennent des pensions retraites que touchent les personnes âgées, du commerce des vendeurs à la sauvette et de voitures volées et ensuite revendues en pièces détachées».

A l’inverse, les habitants des “grands quartiers” sont en majorité des hommes fortunés. Les quartiers huppés de Bastos à Yaoundé, ou de Bonanjo à Douala, sont l’exact opposé de New-Bell: grandes maisons spacieuses, parcs boisés, centres commerciaux, entreprises, etc. Les habitants, riches, sont protégés par des murs, des clôtures électriques et des services de gardiennage sillonnant le quartier en permanence.

Le PNLP

Si les lois ne font aucune différence entre riches et pauvres, de nombreuses inégalités subsistent. Bien que les disparités se soient quelque peu atténuées, avec la mise en pratique de certains aspects du “Programme national de lutte contre la pauvreté” (PNLP), la répartition des revenus reste très inégale. A côté des signes de richesse évidents, les 3/4 des Camerounais vivent en dessous du seuil de pauvreté, non sans une certaine rage et une certaine frustration. Certes, les violences liées à des revendications d’ordre politique sont nettement moins nombreuses qu’il y a 5 ans; mais on observe une recrudescence de la criminalité, du banditisme et d’autres formes de conflits sociaux, qu’expliquent en partie les taux élevés de pauvreté, de chômage (8.4% de la population active – enquête de 1996) et la relative facilité avec laquelle on peut se procurer des armes à feu sur le marché noir.

Les pouvoirs publics estiment que le peu de progrès réalisés s’explique par l’énormité des problèmes nés de la crise économique qui a affecté le pays de 1987 à 1997, et du chômage fort élevé. A cela, se sont ajoutés de nouveaux problèmes, dont le plus alarmant est la progression rapide du VIH/sida dont le taux de prévalence est passé de 0,2% en 1987 à 11% en 2001.

Dans ces circonstances, «il va falloir des décennies pour remédier à la plupart des problèmes», déclare le député Moukouri Manga Bell du SDF. «Dans l’enthousiasme qu’ont suscité les dernières élections présidentielles en octobre 1997 et la “démocratie apaisée” qui en a découlée, explique-t-il, les dirigeants du Rassemblement démocratique camerounais (RDPC) ont involontairement compliqué la situation en faisant des promesses qu’ils n’ont tout simplement pas pu tenir par la suite». Dans la population, cet enthousiasme s’est maintenant dissipé, comme en témoigne le peu d’engouement des Camerounais pour l’inscription sur les listes électorales en 2001 «car certains n’ont nullement profité des retombées de la réélection en 1997 du président Biya qui avait fait de la lutte contre la pauvreté le principal axe de sa campagne».

Tout en reconnaissant les effets de la crise, certains “détracteurs” attribuent la persistance de la pauvreté et du chômage à des facteurs plus actuels. Bien qu’elle soit politiquement dans la majorité gouvernementale, l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), troisième force politique du pays après le RDPC et le SDF, reproche au gouvernement de privilégier la libéralisation des marchés et des compressions budgétaires. «La société dans son ensemble, et en particulier la classe ouvrière et les pauvres, font les frais de la politique économique conservatrice», a déclaré Célestin Bedzigui, vice-président de ce parti, à propos du budget du gouvernement pour l’exercice financier 2001-2002.

Reconstruction et développement

L’amertume actuelle s’explique en partie par les très grands espoirs qu’avait suscités à ses débuts le PNLP. Tel qu’il avait été défini par le Programme national de gouvernance en juillet 1998, le PNLP englobait non seulement des programmes socio-économiques visant à remédier aux inégalités en matière de conditions de vie, mais également des mesures de réforme institutionnelle, ainsi que des programmes éducatifs et culturels, des activités rémunératrices et la mise en valeur des ressources humaines. Ce programme, avait déclaré M. Jean Jacques Ndoudoumou, son coordonnateur d’alors, est un «processus global de transformation totale de la société visant à améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population».

Au départ, le PNLP remplissait une double fonction. Comme plan directeur, ses priorités influençaient l’affectation de l’aide des bailleurs de fonds et l’établissement du budget des pouvoirs publics. L’allocation des fonds publics a donc considérablement changé. Le budget de la Défense a été réduit, et les crédits affectés à l’éducation, à la santé, au logement et autres postes de dépenses sociales, ont été considérablement augmentés. En même temps, le PNLP assurait un fonds spécial, doté de plusieurs milliards de francs CFA, qui servait à financer des projets très en vue, comme les Journées nationales de vaccination, l’électrification rurale et les travaux d’intérêt collectif pour les jeunes sans emploi. Malgré sa présence réduite sur la scène nationale, le PNLP a continué à faire évoluer la situation.

Changement de vitesse

Pour l’exercice budgétaire 2001-2002, le gouvernement a commencé à apporter à sa politique économique générale des modifications notables, qui d’après l’UNDP et d’autres, allaient à l’encontre des objectifs à long terme du PNLP. A quelques mois des élections municipales (reportées deux fois de suite!) et législatives, le RDPC s’est résigné à accélérer les privatisations et à cesser de vouloir réglementer les investissements étrangers.

Actuellement, le gouvernement a adopté une nouvelle politique macro-économique: la “Stratégie de croissance, d’emploi et de redistribution”. L’objectif de cette politique est d’instaurer une «économie concurrentielle à croissance rapide», en adoptant une stricte discipline fiscale et monétaire, en augmentant considérablement les investissements étrangers et nationaux, en ouvrant davantage l’économie à la concurrence internationale et en redéfinissant les dépenses publiques prioritaires. La Banque mondiale et le FMI ont approuvé cette approche.

A ceux qui reprochent au gouvernement d’avoir renoncé à ses priorités sociales pour adopter des méthodes macro-économiques hautement conventionnelles, M. Dieudonné Oyono, responsable de l’orientation du PNLP, soutient que celui-ci reste un élément important de la politique gouvernementale. «Le PNLP n’est pas du tout incompatible avec la stratégie de croissance, explique-t-il. Les deux approches ne peuvent fonctionner l’une sans l’autre». Le document stratégique de croissance stipule en effet qu’il est nécessaire de «redistribuer les revenus et les chances en faveur des pauvres», mais préconise à cette fin de promouvoir une forte croissance économique des emplois et des revenus plus élevés.

L’engrenage de la pauvreté

Dans une analyse budgétaire publiée en juillet 2001, en même temps que le budget 2001-2002, le ministère de l’Economie et des Finances a abordé sans détours le problème persistant de la pauvreté. «Le Cameroun reste l’un des pays au monde où les inégalités sont les plus grandes; 40% des ménages y vivent encore en dessous du seuil de subsistance minimal». S’appuyant sur des données plus récentes et un autre indice de la pauvreté, un rapport sur la pauvreté au Cameroun, publié par le PNUD en juillet 2001, établit que 61% des Camerounais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Il s’agit, dans presque tous les cas, des ruraux, des habitants des quartiers pauvres des grandes villes dont plus de la moitié semblent «pris dans l’engrenage de la pauvreté» et vivent avec des revenus mensuels inférieurs à 25.000 FCFA (38 euros).

Par ailleurs, les inégalités entre les sexes n’ont pas non plus disparu. D’après le rapport sur le développement social au Cameroun de 1998, 60,2% des femmes adultes sont pauvres, alors que ce chiffre est de 48,7% chez les hommes. Certains observateurs se demandent si cette situation n’est pas en partie due au programme de libéralisation du gouvernement. «Le programme de relance m’inquiète», déclare une responsable de Women Stand Up, une ONG opérant dans les zones rurales. «D’une part, nous devons assurer notre survie économique. Nous devons disposer d’une bonne politique économique, nous devons vendre nos marchandises» a-t-elle constaté au cours d’une interview récente à la presse. «D’autre part, il semble que cela enrichisse ceux qui sont déjà riches». En pratique, la situation des pauvres ne change pas et va même en empirant.

Chômage et «flexibilité de l’emploi»

La pénurie d’emplois stables est le principal problème auquel se heurtent les habitants de New-Bell et d’autres zones urbaines. On estime à environ 180.000 le nombre de suppressions de postes effectuées dans le secteur privé entre 1990 et 2000. D’après les calculs du gouvernement, pendant les années 90, 50% en moyenne de la population active n’a pas pu trouver d’emploi dans le secteur structuré, le secteur manufacturier était durement touché par le chômage. A l’heure actuelle, ces réductions d’effectifs sont partiellement compensées par des créations d’emplois. Certains de ces emplois sont «de très haute qualité», indique le directeur du travail au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale: les salaires sont tout à fait acceptables et le niveau de qualification reste moyen. Outre les salaires, qui dans certains secteurs demeurent relativement peu élevés, l’emploi a été, ces dernières années, l’une des principales revendications des syndicats, et un motif de grève de plus en plus fréquent.

Certains responsables gouvernementaux estiment également que la réglementation en vigueur est trop rigide, alors que le “Plan de relance” préconise «une plus grande flexibilité du marché de l’emploi». Les syndicalistes redoutent donc que la mise en œuvre de ce plan se traduise également dans le secteur public par de nombreuses suppressions de postes, notamment lorsque de grandes entreprises seront privatisées. D’où d’incessantes revendications liées à l’augmentation des salaires.

D’autres groupes, comme l’Union syndicale des travailleurs du Cameroun (USTC), ont formulé des recommandations d’un autre ordre visant à instaurer un «salaire social». D’après un rapport de l’USTC, non seulement un tel salaire permettrait aux pauvres de pourvoir à leurs besoins élémentaires, mais il améliorerait également les perspectives de stabilité du Cameroun en instaurant «un mécanisme central permettant de maintenir la cohésion sociale lors de la consolidation de la démocratie et face aux aléas de la mondialisation».


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