ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 431 - 01/04/2002

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 Cameroun
La lutte contre la corruption tourne en rond


CORRUPTION


Pour lutter contre la corruption, le gouvernement camerounais a créé un comité ad hoc pour coordonner le travail des observatoires et cellules de lutte contre la corruption. Mais le fléau ne semble pas avoir reculé d’un pouce.

En 1998 et 1999, le Cameroun a occupé la première place au classement mondial des pays les plus corrompus de l’ONG allemande Transparency International. En 2000 et 2001, il n’a guère fait mieux, se classant respectivement 6e et 7e de ce hit-parade déshonorant. Ces classements ont largement terni l’image de marque du Cameroun, et provoqué une prise de conscience de tous les Camerounais devant l’ampleur du fléau.

Dans la lettre pastorale publiée le 3 septembre 2000, l’épiscopat camerounais tirait déjà la sonnette d’alarme: «La corruption a atteint un niveau suicidaire dans notre société. Elle est acceptée aujourd’hui comme un mode de vie normal, à telle enseigne que l’on n’éprouve plus aucun sentiment de culpabilité en la pratiquant». Voilà schématisée une société camerounaise, où la corruption tend à devenir une sorte de maffia, un cercle vicieux, où ceux qui ne se prêtent pas au jeu, n’ont aucune chance de s’en sortir. Pour faire face à ce fléau qui ruine l’économie et les consciences, les autorités camerounaises ont mis en œuvre un plan gouvernemental de lutte contre la corruption.

Stratégie gouvernementale

Après avoir longtemps pratiqué la politique de l’autruche en refusant de considérer la corruption comme un fléau social, le gouvernement camerounais, sans doute sous la pression du FMI et de la Banque mondiale, s’est enfin décidé à s’attaquer à la corruption. En mars 1998, lancement d’une campagne nationale contre la corruption sous le thème: “La corruption tue”. L’objectif était de sensibiliser l’opinion et de faire comprendre aux Camerounais qu’ils sont tous victimes et coupables.

En août 1999, cette campagne a été suivie par la création d’un comité ad hoc chargé de coordonner les stratégies de lutte contre la corruption, placé sous la présidence du Premier ministre Peter Mafany Musonge. Celui-ci a créé à son tour un observatoire national de lutte contre la corruption, dont les actions de proximité sont conduites sur le terrain par les cellules anti-corruption installées dans tous les ministères et les services publics. Le rôle de ces cellules étant de répercuter auprès du ministre concerné, toutes les pratiques de corruption en cours et de préconiser des mesures de dissuasion.

Essoufflement

Avec ces structures, on a cru le gouvernement camerounais déterminé à éradiquer la corruption. Mais, après les arrestations et les incarcérations en 1999 du directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale, Pierre Désiré Engo, et du ministre des Postes et Télécommunications, Mounchipou Seydou, on connaît un essoufflement à cause des pressions politiques internes. Dans un pays où corrompus et corrupteurs invétérés se recrutent parmi les hauts commis de l’Etat, l’argument de la préservation de la paix sociale a été vite avancé pour que prenne fin la chasse aux corrompus.

Le gouvernement s’est alors trouvé dans l’embarras de dire une chose et de faire son contraire. Dans son discours de fin d’année à la nation le 31 décembre 2000, le chef de l’Etat, Paul Biya, a habilement trouvé une porte de sortie pour expliquer les difficultés de la restauration de la morale publique: «Ce n’est pas une tâche facile, car le mal s’est profondément enraciné dans les habitudes à la faveur de la crise économique. Le gouvernement s’efforce d’appliquer des stratégies de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Des exemples ont été faits, d’autres suivront».

Ce revirement implicite du gouvernement ne cesse de déclencher des critiques au sein de l’opinion nationale. Le Dr Moïse Albert Njambe, une personnalité de la société civile camerounaise, ne cache pas sa déception: «Je suis convaincu de la volonté de l’Etat d’éradiquer la corruption, mais je récuse les méthodes voyeuristes et tapageuses inutiles qui sont utilisées. En faisant arrêter Pierre Désiré Engo et Mounchipou Seydou, on a certes donné le ton. Mais en réalité il y a des milliers de corrompus qui sont impunis. La méthode camerounaise de punition à tête chercheuse apparaît partiale et partielle».

A partir de ce constat, on a comme l’impression que la multiplication des structures de lutte contre la corruption constitue une stratégie de séduction pour des bailleurs de fonds et des investisseurs, pas toujours bien informés des réalités quotidiennes de la vie nationale camerounaise. L’enlisement de la lutte contre la corruption révèle aussi la difficulté qu’éprouve l’Etat camerounais d’appliquer le principe sacro-saint de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, et de s’élever au dessus des considérations tribalo-ethniques. C’est cette tendance à la complaisance qui donne libre cours aux abus qui plongent le Cameroun dans une corruption généralisée, où chaque citoyen semble obligé de corrompre ou d’être corrompu.

Une loi anti-corruption?

Les différentes structures impliquées dans la lutte contre la corruption n’ont pas, jusqu’ici, réussi le pari de la faire reculer. Au contraire, on assiste à un pourrissement de la situation à cause d’un certain nombre d’obstacles: la définition peu claire de leurs attributions, l’impossibilité de faire appel à la force publique, une dépendance scandaleuse de la hiérarchie. Généralement, les membres de ces commissions sont des fonctionnaires en quête de promotion, et des personnalités de la société civile assoiffées de positionnement. Ils doivent tout faire pour ne pas déplaire à ceux qui les ont nommés. Conséquence, il suffit parfois d’un simple coup de fil pour que soient annulées les procédures engagées contre tel ou tel corrompu.

D’autre part, la moralité de ces membres demeure douteuse. Moïse Albert Njambe va plus loin: «Beaucoup d’observateurs indépendants impliqués dans la lutte contre la corruption au Cameroun sont eux-mêmes des corrompus. Ce sont d’anciens détourneurs de fonds qui ont jadis certifié de faux bilans. Ce sont des copains de ceux qui les nomment et qu’ils sont censés contrôler».

La réalité aujourd’hui est que la corruption est devenue endémique. Mais tout n’est pas perdu pour autant. A défaut de l’éradiquer, on peut faire reculer le fléau. Pour l’ancien Bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun, Me Akere Muna: «Pour vaincre la corruption dans notre pays, il faut créer une loi contre la corruption, et protéger les magistrats. Car notre système judiciaire est mal outillé et les magistrats mal protégés matériellement dans leur métier. Tout cela les expose aussi à la corruption».

En attendant, tant au comité ad hoc qu’à l’observatoire national de lutte contre la corruption et les cellules anti-corruption, les membres se tournent les pouces, et se défoulent tout de même sur les budgets qui leur sont alloués.


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