ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 431 - 01/04/2002

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Mauritanie
Démocratie: le revers de la médaille


DEMOCRATIE


Avec les résultats des élections municipales et législatives d’octobre 2001,
l’on pensait que la Mauritanie s’était engagée sur une voie de démocratisation irréversible.
Mais voilà qu’une nouvelle interdiction a frappé un parti politique
et les détenus politiques sont toujours en prison...

“Action pour le changement” (AC) — un parti d’opposition dirigé par le leader des haratines (ndlr: Maures noirs, descendants de captifs), Messaoud Ould Boulkheir — a été dissous le 2 janvier 2002, lors du premier Conseil des ministres de la nouvelle année. Le gouvernement mauritanien a pris cette mesure sur la foi d’un rapport du ministère de l’Intérieur, dans lequel AC est défini comme «un parti dont les activités et les comportements portent atteinte aux intérêts suprêmes de la Nation et menace l’unité nationale par un discours raciste et extrémiste». Cette mesure constitue ainsi l’une des conséquences que tout le monde attendait après les scrutins relativement transparents et salués par toute la classe politique mauritanienne et les partenaires au développement.

Action pour le changement s’était révélé comme le premier parti d’opposition lors des élections des 19 et 26 octobre 2001, devenant le principal challenger du PRDS (parti au pouvoir, dirigé par le président de la République, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya). Au plan national, il avait obtenu 5,37% au premier tour. Au Parlement, il était représenté par quatre députés, dont Messaoud. Il avait aussi conquis quatre communes dont trois à Nouakchott, la capitale.

Action pour le changement

Créé en 1995 par des dissidents de l’ex-Union des forces démocratiques, AC était un front d’hommes politiques qui prétendaient parler au nom des couches défavorisées, et militer en faveur de la justice sociale. La question de l’esclavage, qui persiste en Mauritanie, et les purges ethniques des années 1990 et 1991, figuraient au premier plan de son programme politique et social. D’ailleurs, c’est l’évocation de ces thèmes au sein de l’Assemblée nationale qui aurait conduit le pouvoir mauritanien à son interdiction. Comme les débats étaient retransmis en différé par la télévision nationale, une large couche de la population mauritanienne avait commencé à être sensible au message de ce parti très démuni. D’aucuns pensent que le régime a pris cette mesure pour asphyxier davantage le parti, en le privant des cinq millions d’ouguiya (environ 200.000 euros) que lui confère la législation en fonction de ses résultats électoraux.

AC se faisait entendre particulièrement dans les grands centres urbains: Nouakchott, la capitale, où il avait obtenu 2 députés, 3 maires et 49 conseillers municipaux; Nouadhibou, la capitale économique, où il disposait d’un député et de 9 conseillers municipaux; Sélibaby (sud), où il avait obtenu un député et le maire de la commune; et Rosso (sud) où il avait 10 conseillers municipaux sur 21.

Considéré par certains comme un parti radical, et comparé par d’autres à l’ANC sud-africain du temps de l’apartheid, Action pour le changement focalisait toute l’attention du pouvoir depuis la fin des scrutins et l’ouverture de la session parlementaire 2001/2002. C’est pourquoi sa dissolution n’a pas trop surpris les observateurs, même si elle a porté un coup dur à la démocratie mauritanienne.

Depuis le début du processus démocratique en 1991, c’est le troisième parti politique interdit en Mauritanie. L’Avant-garde nationale (un parti nationaliste arabe) a été la première victime en août 1999, suivie par l’Union des forces démocratiques en octobre 2000.

Que sera la présidentielle de 2003?

Si les réactions ont été hésitantes, il y en a eu de très violentes. Ces graffiti retrouvés sur un tableau à l’université de Nouakchott, le lendemain de la dissolution du parti, en est une. «Il n’y a pas de différence entre Ariel Sharon, Hitler et Ould Taya. Mais on dit que toute chose a sa fin, sinon qui aurait imaginé que des présidents comme Mobutu, Kabila, Peter Botta, Milosevic et Bokassa quitteraient le pouvoir d’une manière humiliante? Sans doute le pire est à craindre, car celui que nous avons à la tête de notre gouvernement n’a pas encore fini de dormir. Son heure sonnera bientôt», a pu écrire l’auteur.

L’opposition, organisée au sein du Front des partis d’opposition (FPO), a aussi vigoureusement réagi en soulignant la volonté du pouvoir de neutraliser toute force politique susceptible de déranger le parti au pouvoir au cours de l’élection présidentielle à la fin de l’année 2002. Si au niveau national les réactions de contestation n’ont pas manqué, aucune puissance étrangère n’a cependant condamné cette mesure. Le mutisme des puissances étrangères, notamment la France et les Etats-Unis, a été expliqué par les observateurs nationaux en relation avec l’engagement de la Mauritanie à lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes. D’ailleurs, le discours a été bien codé pour justifier la décision en qualifiant AC de “parti extrémiste et raciste”.

Conscients de la menace qui pèse sur l’avenir de la démocratie dans le pays, les dirigeants de l’opposition cherchent déjà à renforcer leur union. Le FPO, qui comprenait seulement Action pour le changement, le Front populaire (dont le président est en prison depuis le 8 avril 2001) et l’Alliance progresiste populaire, a entamé les démarches pour l’intégration en son sein du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et de l’Union des forces du progrès.

Par ailleurs, la présidence du RFD a été confiée mi-janvier à M. Ahmed Ould Daddah, leader historique de l’Union des forces démocratiques/Ere nouvelle, dissoute en octobre 2000. Candidat malheureux à la présidentielle de 1992, il pourrait être le seul candidat sérieux de l’opposition face à l’actuel président pour l’échéance de 2003. Aura-t-il l’appui de tous les partis de l’opposition?

Le prix de la transparence électorale

Depuis la célèbre conférence de La Baule, les relations entre les pays du tiers monde et les pays occidentaux se basent en partie sur les progrès démocratiques accomplis par ceux-là. En Occident, on dit lier l’aide au développement à ces progrès. Cependant, le cas de la Mauritanie parait un peu paradoxal. En effet, la violation des droits de l’homme et le non-respect des libertés politiques et publiques (interdiction des partis politiques, saisie des journaux indépendants) sont rarement pris en compte dans ce cadre. La coopération entre la Mauritanie et les bailleurs de fonds est à son meilleur niveau. En décembre dernier, la Banque mondiale et le FMI ont accordé au gouvernement mauritanien une enveloppe de 412 millions de dollars pour financer les programmes de lutte contre la pauverté. Les Etats-Unis ont ouvert leurs frontières à la Mauritanie, en lui accordant des arrangements préférentiels sur le plan commercial. Avec les Européens, c’est aussi la lune de miel depuis la reconduction des accords de pêche le 1er août dernier. Les 430 millions d’euros attendus des Européens au cours des cinq prochaines années, témoignent bien de la bonne coopération entre la Mauritanie et l’Union européenne, qui s’était particulièrement félicitée des élections d’octobre 2001 en saluant la transparence qui les avait entourées.

Ces élections avaient dessiné une nouvelle carte politique en Mauritanie et amorcé la décrispation du processus démocratique. Mais, avec la dissolution d’AC, tout le processus démocratique est remis en cause. Grâce à l’introduction d’une carte nationale d’identité «infalsifiable», à la promesse de financement des partis politiques ayant obtenu 1% des suffrages au plan national et à la neutralité relative de l’administration publique, douze partis politiques, toutes tendances confondues, avaient participé à ces scrutins. L’opposition avait fait ainsi son entrée à l’Assemblée nationale avec onze députés représentant quatre partis, et arraché à la majorité présidentielle treize communes dont six à Nouakchott. Qu’en sera-t-il du prochain scrutin présidentiel? Connaîtra-t-il le même engouement?

Comment un pays ayant pris toutes ces mesures pour améliorer son processus démocratique, peut-il ainsi retourner en arrière en dissolvant des partis politiques? Il faut avoir sans doute la bénédiction de Washington et de Bruxelles!


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