ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 433 - 01/05/2002

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Cameroun
Chômage des femmes: la grande injustice


FEMMES

Epineux problème que celui du chômage, qui ne cesse de faire la «Une» des journaux camerounais. Mais on oublie trop souvent qu’une catégorie de la population y est plus exposée: les femmes. Une situation dont les causes sont multiples, sans pour autant être justifiables.

Relativement récente, l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail a contribué à aggraver le problème du chômage. En effet, lors du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) en 1987, elles étaient 1,8 million à être actives, contre seulement 600.000 au début des années 70. Malgré la forte croissance de cette époque, la multiplication des offres d’emploi n’a pas suffi à absorber près de 40% d’actifs en plus. Malheureusement, le dicton populaire voulant que les derniers arrivés soient les derniers servis, semble ici se vérifier. Mais il serait trop simple de se limiter à ce genre de réflexions: l’émergence de la crise économique qui a frappé le pays de 1987 à 1997, n’a fait que confirmer cette tendance.

Bonne ou mauvaise conjoncture, les femmes camerounaises seraient-elles vouées à être moins bien loties que les hommes, quelle que soit la situation? Difficile à croire, d’autant que leur niveau de compétence n’a cessé de croître, et que les mentalités ont, paraît-il, évolué… Il faut se rendre à l’évidence, et avouer qu’il reste aux femmes bon nombre d’obstacles à surmonter. Et si les médias citent en exemple de plus en plus de femmes «qui ont réussi», c’est peut-être précisément parce que le phénomène reste assez rare pour qu’on le souligne.

Un premier pas professionnel difficile

Si les femmes ont commencé à affluer vers le monde du travail, c’est bien sûr souvent par nécessité économique (il est loin le temps où les femmes étaient, par nature, cantonnées au foyer). Mais l’emploi est aussi le meilleur moyen d’acquérir une indépendance. Et force est de constater que l’émancipation de la gent féminine est toujours passée par l’obtention d’une place dans la société par le biais du travail, qui signifie à la fois un rôle actif et une reconnaissance de son individualité: «je contribue à l’activité, donc je suis».

Il ne faut pas sous-estimer l’aspect socialisant du travail, qui permet de se faire de nouvelles relations. Constat amer, une étude réalisée en 1997 par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance sociale, montre que parmi les personnes inscrites au chômage — suite à une reprise d’activité ou une première entrée dans le monde de l’emploi — 15,1% sont des hommes et 31,6% des femmes. Cela prouve bien qu’il est plus difficile pour une femme de franchir la première étape ou de se replonger dans la vie professionnelle.

Les activités traditionnellement à forte proportion de main-d’œuvre féminine ont subi ces dernières années de graves revers. Il en va ainsi des industries du textile, de la savonnerie ou encore de l’électronique, dont plusieurs sites de production ont fermé. Cependant, la frontière entre les métiers d’hommes et les métiers de femmes est de plus en plus floue, et cette notion a tendance à tomber en désuétude. Naturellement, certains métiers très physiques restent le domaine réservé des hommes, mais ce serait une erreur de croire que des secteurs entiers de l’économie camerounaise sont fermés aux femmes.

Tout secteur d’activité comprend des postes qu’elles peuvent occuper, encore faut-il que les dirigeants ne soient pas trop bornés, comme s’en plaignent parfois les femmes. On a ainsi vu ces dernières années, bon nombre d’entreprises de transport routier ou de gardiennage engager des femmes pour des emplois administratifs ou des tâches de coordination, alors que ces corporations ont plutôt une image «virile», voire machiste. Il s’agit bien là d’un état d’esprit, et, malheureusement, dans ce domaine, des progrès restent à faire: trop d’employeurs considèrent encore les femmes comme moins capables que les hommes.

Quelle égalité?

En observant les chiffres, on s’aperçoit que, même avec des diplômes équivalents, le chômage féminin est toujours plus important que celui des hommes, et ce, quel que soit le niveau de formation. En 1998, 30% de titulaires féminins d’un Certificat d’aptitude professionnel (CAP) ou d’un Brevet professionnel (BP) étaient au chômage, contre 12% pour leurs homologues masculins avec le même bagage. Un diplôme, c’est pourtant un critère objectif, pourrait-on croire… Apparemment pas pour tous les responsables de l’embauche.

Mais les préjugés ont toujours un poids important: on émet des réserves quant à la résistance des femmes au stress, on estime souvent que si elles sont capables d’apprendre et d’obtenir un diplôme, la situation est tout autre sur le terrain.

«Un recruteur avec qui j’avais obtenu un entretien d’embauche est allé jusqu’à me dire que le poste qu’il avait à proposer nécessitait quelqu’un avec les pieds sur terre, tout en insinuant qu’une femme passerait trop de temps à discuter ou à rêvasser», confie Christiane Malobé Penda, agent commercial. «Je lui ai donc demandé pourquoi il m’avait reçue, puisqu’il était clair qu’il voulait engager un homme. Il a simplement répondu qu’il ne fallait négliger aucune piste, mais je crois qu’il voulait se donner un alibi et voir des candidats pour ne pas passer pour un macho».

Même si heureusement tous les employeurs ne sont pas gouvernés par leurs préjugés, le phénomène persiste et les femmes entendent trop souvent des remarques désobligeantes en entretien d’embauche (on connaît la délicatesse avec laquelle certains employeurs évoquent la mauvaise humeur «cyclique» de leurs employées!). On se préoccupe généralement de leur situation de famille, alors qu’on devrait leur parler de leurs compétences. Pour beaucoup, il est normal qu’un homme fasse passer sa vie de famille après son job, alors que la femme est avant tout une mère. Certes, le nombre de femmes seules élevant des enfants n’a cessé de croître, mais il existe également de nombreuses structures leur permettant de concilier vie professionnelle et familiale.

C’est une des raisons pour lesquelles les Camerounaises se tournent vers des emplois d’intérimaires, avec toute la précarité que ces derniers impliquent. Pas toujours facile de trouver un emploi stable après des années à courir de l’un à l’autre. De fait, on considère trop souvent la main-d’œuvre féminine comme une solution de remplacement, surtout en ce qui concerne les femmes jeunes peu diplômées. Cette tendance à la précarité s’est accentuée pour tout le monde avec la crise, mais là encore, les femmes sont les moins bien loties.

En général, la vulnérabilité face au chômage diminue avec l’élévation du niveau des diplômes. En clair, plus les gens sont formés, moins ils risquent (en principe) de rester longtemps inactifs. Néanmoins, on le sait, une période de crise renforce la compétition entre les demandeurs d’emploi, et les employeurs peuvent se permettre d’être de plus en plus exigeants. On ne compte plus les «Bac+5» recrutés pour des emplois qui nécessitent un niveau de formation bien moindre.

Il est donc évident que l’accès aux hautes études, s’il n’est pas une garantie, présente au moins un avantage. Mais là encore, hommes et femmes n’ont pas toujours été égaux, puisqu’une formation aussi cotée que celle des Ponts et Chaussées à l’Ecole nationale supérieure polytechnique de Yaoundé est restée fermée aux femmes jusqu’en 1982! Anecdotique au premier abord, ce fait traduit bien un état d’esprit fortement ancré, même s’il a bien changé de nos jours. Mais la proportion de femmes y reste faible, alors que ce sont des secteurs en relative expansion (comme les technologies liées aux réseaux informatiques par exemple).

Sentiments d’échec et solutions

Les conséquences du chômage ne sont pas qu’économiques. Il a des répercussions psychologiques chez les individus qui le subissent. Ceci est particulièrement vrai pour les chômeurs de longue durée, et l’on sait que les femmes restent en général plus longtemps sans emploi que les hommes.

Perte de confiance en soi, démotivation progressive, autant de désagréments que Christiane connaît bien pour avoir prospecté en vain pendant près d’un an. «Il arrive un moment où l’on se demande si on va trouver un jour. J’avais beau avoir des amis qui me répétaient que c’était la crise économique qui rendait les choses dures, je commençais à croire que c’était moi seule la responsable de ma situation».

Dans ce cas, il est facile de comprendre que s’installe un cercle vicieux: manque de conviction dans la recherche d’emploi, attitude défaitiste aux entretiens d’embauche… «Pour un métier commercial comme le mien, le dynamisme est essentiel, continue Christiane. Lorsqu’on a du mal à se motiver après des mois de recherche et qu’en plus on tombe sur un employeur sexiste, le moral tombe encore d’un cran».

Il serait bien prétentieux de vouloir résoudre en quelques phrases un des grands fléaux de la société camerounaise moderne, mais il est tout de même possible d’avancer quelques pistes concernant les mentalités. Les femmes ont conquis des postes à responsabilités et ont réussi à s’imposer dans des métiers difficiles. Ce n’est cependant pas suffisant, puisqu’en 2001 on dénombrait encore 39,7% des femmes au chômage, contre 11% d’hommes. Il serait temps qu’une véritable égalité des sexes face au travail voie le jour. D’une manière générale, il est encourageant de constater que les effectifs féminins augmentent dans les grandes écoles et d’assister à l’émergence d’une nouvelle génération de patrons plus ouverts que leurs aînés. Mais c’est la société entière qui doit aller vers une vision plus égalitaire.


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