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ELECTIONS
Après les présidentielles de 2000 et les législatives de 2001, les élections locales du 12 mai s’annoncent lourdement chargées, compte tenu des enjeux multiples dont elles sont porteuses et l’atmosphère socio-politique dans laquelle elles se déroulent.
(Ndlr - L’article a été écrit fin mars 2002. Des problèmes de rédaction en ont retardé la parution)En recevant le 18 mars — entre deux déplacements à l’extérieur — deux «poids lourds» de l’opposition sociale et politique du pays(1), après une tournée-marathon dans le bassin arachidier du Sénégal et à deux mois des «locales» prochaines (municipales et rurales), le président de la République, Me Abdoulaye Wade, a plutôt agi en chef de parti qui veut éviter aux candidats de sa formation, le PDS (Parti démocratique sénégalais), de sérieuses déconvenues et, par-là même, désamorcer des bombes pouvant exploser à tout moment, surtout pendant la campagne électorale et le jour du scrutin. Car, à la campagne comme à la ville, les conditions sont réunies pour, disent les populations, «un véritable changement».
L’attente des Sénégalais
Ce qu’un conseiller en finances, Adama Lam, écrivait dans le quotidien dakarois “Wal Fadjri/L’Aurore”, le 23 octobre 2000, reste toujours d’actualité et alimente les dossiers que les candidats de l’opposition se sont constitués pour la campagne électorale: «…que l’on arrête de nous servir comme justification les 40 ans de gabegie socialiste! écrivait-il. Nous le savons suffisamment au point d’imposer un changement par les urnes. Ce que nous attendons dans l’immédiat, c’est que des principes clairs soient posés, qui augurent que des mutations profondes auront lieu dans la vie des sénégalais…
«Si on prend les mêmes (ndlr: allusion sans doute aux ‘transhumants’ qui on rejoint le PDS après la victoire de celui-ci) pour recommencer, dit encore M. Lam, c’est que, peut-être, ces anciens n’étaient pas si mauvais, ou bien on n’a pas mieux. On ne refait pas du neuf avec du vieux. Des alternatives réelles existent pour consolider la démocratie, motiver les vainqueurs pour qu’ils fassent mieux, mais instruire aussi les perdants pour qu’ils ne retombent plus dans les mêmes travers si, d’aventure, ils revenaient aux affaires.
«Le Sénégalais qui n’a comme atout que sa bonne présentation, son discours léché mais vaseux dans le fond, doit céder la place à l’homme compétent, concis, qui sait aller à l’essentiel pour une application pratique des nombreux travaux et rapports qui dorment dans les tiroirs… Les populations attendent qu’on leur montre que la compétence, la rigueur et le travail prendront le pas sur le clientélisme, source de nivellement par le bas et de médiocrité…».
En ordre de bataille
Ce discours est, aujourd’hui, à quelques mots près, celui de toutes les oppositions, mais aussi celui de la société civile, dans sa très grande majorité. Elles parlent toutes de ratages dans la campagne agricole des deux dernières années qui a été «désastreuse» et qui plonge le monde rural dans «une famine grave», de «politique de privatisation cahoteuse», d’une «pauvreté de plus en plus étendue et profonde» avec «une masse de citoyens davantage portés vers la mendicité» à défaut d’emplois nouveaux, de «complaisance à l’égard des détourneurs de deniers publics», d’un «train de vie et de comportement indécents des nouveaux dirigeants», d’une «démocratie de façade», «d’élections locales prochaines frauduleuses»...
Tel est le langage constant tenu par les états–majors des partis d’opposition, pris individuellement, mais également des formations de la coalition de l’opposition la plus significative, regroupées au sein du CPC (Comité permanent de concertation), où l’on rencontre des ténors du paysage politique classique sénégalais comme les “vieux briscards” de ce qui reste du Parti socialiste (PS) de Senghor et Abdou Diouf; des transfuges célèbres de ce parti, Moustapha Niasse et Djibo Leïty Kâ; des éléments teigneux de la garde de la gauche sénégalaise; des éléments jeunes de la trempe de Talla Sylla qui, à peine désigné comme vice–président de l’Assemblée nationale (au titre d’un groupe de partis de l’opposition), démissionnait du Parlement pour défaut «d’atmosphère saine»; ainsi que l’actuelle équipe de direction du MSU (Mouvement pour le socialisme et l’unité), conduite par son redoutable débatteur, Tidjane Bâ, parti de l’ancien président du Conseil des ministres, Mamadou Dia.
Cette alliance s’est donné comme objectif de «combattre le gouvernement de la coalition SOPI »(2), en procédant, chaque fois qu’il en est besoin, à un ensemble d’analyses et en menant des unités d’actions communes. Malgré certaines visions différentes de ses membres, elle a réussi à produire des listes uniques presque partout dans le pays pour les «locales», mettant ainsi au devant de ses préoccupations son souci de solidarité, après avoir mesuré son erreur, avouée du reste, d’être allée individuellement aux dernières élections législatives d’avril 2001.
Le pouvoir divisé
Cela n’a pas été le cas de la CAP 21 (Coalition autour du président pour le 21ème siècle) dont l’objectif premier avoué était de «répondre du tac au tac aux attaques de l’opposition contre l’action de Me Wade». «Si nous n’avions pas été agressés, nous aurions peut-être attendu un peu plus longtemps» (ndlr: pour constituer cette coalition), avait alors dit Me Wade lui-même, qui ajoutait que «tout corps qui se sent menacé, se défend».
Mais cette CAP 21 a connu des fissures et même des déchirures importantes dans la constitution de ses listes pour les élections. A côté des listes officielles de la CAP, il a été retrouvé des listes individuelles de leaders de partis membres et de membres de cette coalition. Dans la confrontation, il n’a été exclu aucun moyen: ni les “combines beré” (combats truqués), ni l’investiture «de truands et d’incompétents…», pour parler comme Marie Angélique Savané.
Pourtant les enjeux sont si importants que «ces élections risquent de ne pas être seulement l’affaire des politiciens professionnels et de la faune habituelle qui grenouille autour de la chose politique», écrit Ibrahima Sall dans l’hebdomadaire “Nouvel Horizon”. Dans cette consultation électorale, il voit ces professionnels «faire face à une autre catégorie de citoyens qui entendent se faire voir et entendre durant ces joutes: la fameuse société civile…». Cette catégorie ayant reçu interdiction de présenter des listes elle-même, ses éléments ont investi les partis et coalitions de partis engagés dans la bataille.
Engouement et opportunité
L’engouement qui se manifeste ainsi pour ces élections tient à un certain nombre de considérations dont les plus manifestes sont, d’une part, le fait qu’elles sont les dernières de la série de trois élections de l’alternance et, d’autre part, qu’elles comportent des enjeux politiques, sociaux et économiques de haute portée. Autrement dit, passé ce cap de 2002, les prochaines consultations ne sont prévues que dans quatre ans, en 2006. Quant aux enjeux, il s’agit de désigner des hommes et des femmes qui auront mission de gérer le pouvoir au niveau de la base.
La décentralisation — telle que conçue et pratiquée par sa dernière réforme, il y a un peu plus de cinq ans, avec l’avènement de municipalités d’arrondissements dans les centres urbains et de communautés rurales dans les campagnes — a conduit au transfert officiel d’un certain nombre de compétences (éducation et santé notamment). Mais en réalité, elle a consisté à reporter l’exercice du pouvoir de ces secteurs de l’administration centrale de l’Etat à l’administration communale. Les populations elles-mêmes (communautés, groupements, associations, individus…) n’ont pas participé à ce pouvoir. Et c’est là où la décentralisation a connu ses limites fondamentales, voire son échec. Autrement dit, les administrations municipales et rurales ont voulu faire la même chose que l’administration centrale, en initiant elles-mêmes des projets de développement, à la place des communautés de base et sans les grands moyens de l’Etat.
Un choix décisif
C’est ce qu’ont compris les uns et les autres. Chaque partie fait tout pour gagner ces élections, car les opportunités sont nombreuses pour agir à la base et contrôler de ce fait l’électorat. D’autant que les bailleurs de fonds sont de plus en plus enclins à financer des actions concrètes des populations à la base, qui ont fait montre de sérieux dans la gestion des fonds qui leur sont affectés.
Ainsi, si l’opposition et, avec elle, la société civile qui lui est coalisée et dont le poids est loin d’être négligeable sur l’échiquier électoral, remportent les consultations, elles vont exercer un contre-pouvoir de poids, face à un exécutif et un législatif contrôlés entièrement par le président Abdoulaye Wade et ses alliés. Par contre, si le parti de Wade et ses compagnons (du moment…) sortent vainqueurs de cette confrontation, «la boucle sera bouclée»: les conditions seront prêtes pour un retour au Parti-Etat d’avant l’an 2000, avec de gros risques d’un glissement vers un «Etat–personne».
Ainsi, c’est l’avenir du Sénégal qui se joue à travers ces «locales» du 12 mai 2002.
(1)Il s’agit de M. Amath Dansokho, secrétaire général du PIT (Parti pour l’indépendance et le travail) et vice-président de l’Assemblée nationale, au titre d’un groupe parlementaire de l’Assemblée nationale; et de M. Iba Ndiaye Djadji, secrétaire général du puissant SUDES (Syndicat unique et démocratique des enseignants du Sénégal) et la centrale syndicale CSA (Confédération syndicale africaine). — (2) «SOPI» est le slogan de Me Wade et non de son parti. Il signifie “changement”.
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