ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 434 - 15/05/2002

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Congo-Brazza
Pauvreté et blanchiment d’argent


CORRUPTION


Un pays pauvre, à la recherche de moyens pour se développer, peut-il lutter contre ce phénomène?

Dans un pays en reconstruction, à l’économie sinistrée, d’abord par trente ans de communisme, puis par dix ans de guerres civiles, le blanchiment d’argent sale a encore de beaux jours devant lui. Il permet l’enrichissement rapide d’hommes d’affaires locaux et étrangers, qui excellent dans ce phénomène en se couvrant des chapeaux de hautes personnalités du pays.

«L’existence d’une corruption endémique, qui n’épargne aucun niveau de l’administration, explique tout. C’est pourquoi même l’adoption de projets de loi antidrogues et antiblanchiment fait toujours l’objet d’incessantes difficultés à tous les niveaux, sans jamais aboutir», soulignait Grégoire Mouzita, représentant pour l’Afrique centrale du Programme des Nations unies pour le contrôle internationale des drogues (PNUCID), lors d’un séminaire sur les stupéfiants tenu à Brazzaville à la mi-décembre. Selon cet expert, la situation serait la même au sein de bien des pays de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) et de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA).

Un taux d’intérêt de 30% en 45 jours...

Au cours de cette rencontre, les séminaristes ont pointé du doigt une étrange société d’import-export qui blanchirait de l’argent sale: la “Salu Humberto Brada” (SHB ), qu’ils craignaient, jusqu’à hier, de citer nommément. Dirigée par un Anglais et une personne originaire de la République démocratique du Congo, cette société, qui fait du crédit à Brazzaville depuis un an, n’est ni une banque ni une caisse d’épargne. Fort curieusement, elle pratique un taux d’intérêt hors norme: une plus-value de 30% en 45 jours...

Dans son numéro du 18 janvier 2002, l’hebdomadaire catholique La semaine Africaine a publié l’article d’un auteur qui n’a signé que de son adresse électronique “PaulCongo@yahoo.fr”. Ce “PaulCongo” s’interroge et demande qu’on «explique à l’opinion nationale comment il est possible de déposer des sommes importantes (plusieurs centaines de millions de francs cfa) dans un établissement, et de les retirer après 45 jours avec un intérêt de 30%. Dans ce cas, que fait encore notre argent dans les banques?». Comment est-ce possible? Surtout dans un pays pauvre comme le Congo, où le tissu économique est moribond, et doublé d’une déliquescence du système bancaire? «Pour que l’argent collecté en épargne par une institution génère des intérêts», poursuit l’auteur anonyme, «il faut qu’il soit placé en crédit sur le marché financier. Les agents économiques (ménages, entreprises, Etat…) qui empruntent, ne seront en mesure de rembourser en principe qu’après 2 ou 3 ans au minimum. Dans une économie sinistrée, à peine renaissante comme la nôtre, on ne voit pas comment un investissement pourrait produire une plus-value de 30% en 45 jours… On parle de blanchiment».

La “Salu Humberto Brada”

Des rumeurs non vérifiées racontent aussi que la SHB aurait été chassée de certains pays d’Afrique centrale, où elle avait essayé de s’installer. Son choix du Congo viendrait du fait qu’on y ferme les yeux. Aujourd’hui, cette société attire une foule de clients qui désertent les petites structures de microfinance appelées “Banques des pauvres”, dont plusieurs voient baisser leur trésorerie.

La SHB , dont la présidente d’honneur serait l’épouse du chef de l’Etat congolais, promet de construire des logements, des écoles, des dispensaires… Cependant, le besoin pressant d’argent au sein d’une population appauvrie par les violences et victime du chômage des jeunes, a multiplié la naissance de salles de jeux, tant à Brazzaville qu’à Pointe-Noire, ville du pétrole à 510 km au sud de la capitale. Ces affaires sont tenues par des Libanais, qui se lancent aussi dans le commerce des cafés-restaurants de luxe, en plein centre ville de Brazza.

En décembre 2000, pour tenter de mettre un frein au blanchiment qui prend de l’ampleur dans les pays de la sous-région, la CEMAC a mis en place un Groupe d’action contre le blanchiment en Afrique centrale (GABAC). Mais, depuis qu’il existe, cet organisme est inopérant. Manque de volonté politique, dénonce l’expert du PNUCID. Et les experts congolais de la lutte contre la drogue de s’insurger: «Si les gouvernements qui se sont succédé au Congo restent froids devant ce problème de blanchiment, c’est qu’ils ont été eux-mêmes complices». Les rumeurs parlent également de l’ESCOM: cette société, qui construit des routes au Congo, le ferait avec de l’argent sale.

Mais les experts — toujours embarrassés devant la question du blanchiment, par crainte de perdre leur place et de se voir bloquer les avancements dans la fonction publique — avouent que l’argent est librement blanchi au Congo. «Le pays, étant à la recherche de moyens pour se développer, ne peut malheureusement pas lutter contre ce phénomène», explique un magistrat du comité technique de lutte contre la drogue.

Depuis quelques semaines un bras de fer oppose la SHB et le gouvernement congolais. Le 18 avril, en effet, le ministre congolais des finances, M. Mathias Dzon, a demandé à la SHB la cessation de toute activité, et à ses partenaires de procéder aux retraits de leurs avoirs. Déjà en janvier 2002, la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac), basée à Yaoundé, au Cameroun, avait réprimandé la SHB et lui avait demandé de mettre un terme à ses activités, car elles ne répondent pas aux normes exigées par la Cobac en matière de micro-finance. La mise en garde de la Cobac visait à éviter que ce genre d’activités ne s’étende à l’ensemble des cinq autres pays membres de la Banque des Etats d’Afrique centrale. Car le Cameroun avait déjà fait les frais d’une telle expérience, à travers une société qui s’appelait “Leadership Academy sa”.

L’action énergique de l’autorité monétaire camerounaise avait permis de mettre fin aux activités de cette société et de faire ainsi échouer sa tentative d’implantation dans les Etats de la CEMAC. «Mais, malheureusement, une fraction importante des sommes collectées a été perdue, les promoteurs ayant réussi à quitter le pays en dépit des dispositions prises par les autorités», écrit Jean Félix Mamalepot, gouverneur de la Banque des Etas d’Afrique centrale, dans une correspondance au ministre congolais des finances.


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