ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 434 - 15/05/2002

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Soudan
La dualité de l’islam au Soudan


ISLAM


Deux interprétations différentes de l’islam: celle du gouvernement et celle des gens ordinaires...

Au Soudan, il y a deux types d’islam. Celui des gens ordinaires, la plupart de descendance arabe, et celui du régime au pouvoir, une falsification sanguinaire. La religion des gens ordinaires ne pose pas de problèmes. Ils sont pieux et respectent les traditions religieuses d’autres croyances. Ils sont prêts à cohabiter et même à apprendre quelque chose des autres religions.

L’islam du régime est un islam politique, qui veut paralyser l’opposition pour rester au pouvoir et accaparer les richesses du pays. Il commence aussi à donner des signes de racisme, ce qui l’a poussé à une guerre génocide contre les Soudanais d’origine africaine, sans se soucier de savoir s’ils sont musulmans ou non. Même les musulmans noirs sont appelés des «infidèles». L’islam du régime est oppressif et a déjà causé la mort de plus de deux millions de personnes. Comment un Etat qui se dit religieux, peut-il bombarder ses propres citoyens ou violer les droits de l’homme, comme l’élimination extrajudiciaire des citoyens, pour la seule raison qu’ils ont osé dire ce qu’ils pensent?

Yildiz est le représentant de l’Alliance des communautés islamiques basée en Allemagne. Il est aussi conseiller du Qurban (les dons islamiques) et du Programme de dialogue qui cherche à aider les populations pauvres dans diverses parties du monde, surtout pendant les périodes festives du calendrier islamique. Une mission d’information qu’il a faite à Rumbek, une région du Sud-Soudan contrôlée par l’Armée pour la libération du peuple soudanais (SPLA), a été pour lui révélatrice. Il déclare: «Le fond du problème du conflit actuel au Soudan dépasse la sphère religieuse, contrairement à ce qu’on veut croire en Europe. Mes frères musulmans à Rumbek sont opprimés par le gouvernement soudanais tout autant que les autres groupes religieux. Les musulmans de Rumbek soutiennent la lutte pour l’autodétermination du Sud».

Le facteur racial

Il est clair comme le jour que le fin fond de la guerre civile au Soudan est l’injustice. Si le prétendu régime islamique veut vraiment mettre en œuvre un programme islamique, pourquoi opprime-t-il les musulmans d’origine africaine et pourquoi ces derniers sont-ils victimes de discriminations? L’imposition de la sharia à une société multireligieuse peut être considérée comme un apartheid religieux.

Numériquement, les Soudanais d’origine africaine sont plus nombreux que ceux de descendance arabe. Mais comme ce sont les Arabes du Nord qui ont hérité le pouvoir des Anglais, ils sont décidés à le garder définitivement. Pour s’en assurer ils ont recours à ce qu’ils appellent la «religion».

Cela semble leur réussir, non pas parce que les citoyens musulmans du Nord sont d’accord sur cette façon de penser et d’agir, mais parce que la plupart des musulmans de descendance africaine sont illettrés et n’ont pas de conscience politique. Dans la partie occidentale du Soudan, la population est généralement africaine et presque tous sont musulmans, mais la plupart n’ont jamais vu un tableau noir. La seule exclamation de “Alla wa Akhbar” (Dieu est grand) suffit pour devenir un fidèle, mais ils sont incapables de comprendre si cette fidélité est religieuse ou politique. Bien que le Soudan occidental soit presqu’à 100% musulman (et on s’attendrait donc à ce qu’il reçoive une aide généreuse de ses maîtres), c’est la région la plus arriérée du pays au niveau de l’éducation (suivie par le Soudan de l’Est et du Sud). Le développement s’est surtout concentré sur le centre, où se trouvent les villes de Khartoum et de Medani.

Le facteur économique

Le Soudan est classé à tort parmi les pays les moins développés du monde. Il a d’énormes ressources non encore exploitées. «Récemment, peu après la levée de l’embargo sur les exportations du cheptel soudanais vers les Etats du Golfe, le Soudan a pu exporter 625.000 moutons qui lui ont rapporté plus de 44 millions de dollars», rappelait un éditorial du Khartoum Monitor, un des deux quotidiens du pays publiés en anglais. Et il continuait: «Avec des affaires aussi lucratives, nous pouvons difficilement classer le Soudan parmi les pays pauvres. Il ne faut pas oublier que nous avons d’autres produits qui font entrer de solides devises étrangères: le pétrole, l’or, la gomme arabique, le sucre et le simsim. Si nous pouvions nous servir à bon escient de ces revenus, notre niveau de vie s’accroîtrait dix fois plus, ce qui diminuerait les frustrations sociales qui sont la cause de tant de crimes, et la dissidence politique diminuerait pour autant. Mais comment pouvons-nous nous assurer que cet argent ne disparaîtra pas dans les mains du gouvernement? Peut-être en obligeant les gardiens de la trésorerie nationale de porter des pantalons et des chemises sans poches», concluait le journal.

Chaque jour, plus de 500 barils de pétrole brut sont vendus, et pourtant on rencontre encore des mendiants dans les rues de Khartoum. Ils sont souvent originaires du Sud, des montagnes Nouba et des collines Ingessana au Soudan oriental. Des citoyens s’appauvrissent alors qu’ils vivent dans un milieu d’opulence!

L’éditorial du Monitor n’indique qu’une partie de la vérité. Il ne montre pas que la trésorerie nationale assure les besoins de ceux qui professent la religion de l’Etat. Et même ceux-ci sont divisés en plusieurs classes. Il y a les citoyens de “première classe”, les musulmans de descendance arabe d’accord avec le régime islamique. La “seconde classe” est celle des Africains noirs musulmans qui ont accepté l’interprétation de l’islam du régime. D’autres groupes suivent en ordre descendant. Mais ne vous y trompez pas, la couleur de la peau a une grande importance.

Le désaccord entre le Dr Mohammed Hassen El-Tourabi, l’idéologue islamique du Soudan, et Omar El-Béchir, a fait apparaître l’agenda racial caché derrière le rideau islamique. Tourabi a écrit un livre intitulé «Le Livre noir». Ce livre, interdit par le régime, révèle que tous les gouvernements islamistes successifs du Soudan ont eu une tendance raciste, tout en se couvrant du manteau de l’islam.

L’appel à l’autodétermination

«Déjà bien avant que le Soudan n’arrive à son indépendance, les administrateurs anglais et les Arabes fermaient les yeux sur le sort du Sud-Soudan», dit Abel Alier, ex-vice-président et avocat. Alier a été le leader du Parti du front du Sud (SFP) qui se battait pour plus d’autonomie pour le Sud-Soudan. Les gens du Sud, dit-il, étaient supposés avoir opté pour l’union avec le Nord, lors de la Conférence de Juba en 1947. Mais les Soudanais du Sud considéraient cette conférence comme une réunion consultative, organisée pour tester les réactions des sudistes au mémorandum de 1946 sur la politique du Sud. «En protestation, le Commissaire de district de Gogrial, une ville du Sud, a donné sa démission, parce que les administrateurs anglais étaient eux-mêmes divisés sur la question du Sud-Soudan», dit encore Alier. Cela démontre que la population du Sud n’a pas eu la possibilité de décider elle-même.

Le ministre anglais des Affaires civiles, Sir James Robertson, a contesté que les Soudanais du Sud aient accepté l’unité lors de la conférence de 1947. «Pour moi, cette conférence n’était qu’un moyen de me rendre compte de l’attitude des gens du Sud, déclara-t-il. Il est donc inexact de dire, comme le font certains, qu’à cette conférence de Juba, les représentants du Sud ont accepté l’union avec le Nord. Aucune décision ne pouvait être prise à cette réunion, les membres de la conférence n’ayant pas été mandatés par le peuple».

Il ne faut pas oublier que, pour la représenter, la population du Sud dépendait de ses chefs tribaux, qui n’avaient jamais été à l’école, alors que les représentants du Nord avaient déjà acquis des diplômes universitaires dans différentes disciplines.

Dans une lettre commune, datée du 10 mars 1947, M. Hunter (un des administrateurs anglais) et ses collègues de Wau (une ville du Sud) ont déploré le procès-verbal de la conférence. «Ce rapport, ont-ils dit, donne l’impression que l’avenir du Sud-Soudan a été discuté par des hommes qui n’en avaient ni la compétence ni l’autorité, et que le gouvernement a probablement pris une mauvaise décision».

En 1955, beaucoup d’efforts ont été faits pour intervenir entre les factions en guerre. En janvier, une réunion a eu lieu sous les auspices de l’Organisation inter-gouvernementale pour le développement (IGAD), mais comme toutes les précédentes, elle est restée sans résultats. Ensuite, un groupe de gouvernements occidentaux a essayé de persuader l’IGAD de reprendre sa médiation, et en mai de la même année, le président du Kenya, M. Moi, réussit à convaincre le Soudan de prolonger de deux mois le cessez-le feu (annoncé en mars par le président El-Béchir). Mais les hostilités ont repris. En juin 1995, lors d’une réunion des exilés, trois groupes de l’opposition se sont ralliés à l’Alliance nationale démocratique. L’opposition a reçu l’ancienne ambassade du Soudan à Asmara, en Erythrée, pour en faire son quartier général.

Le droit à l’autodétermination

Quand le gouvernement a réalisé que le Sud voulait vraiment l’autodétermination, il n’a plus cherché de compromis et a eu recours à d’autres initiatives, comme l’Initiative conjointe Egypte-Libye. Cette initiative n’inclut pas le droit des sudistes à l’autodétermination.

Le Soudan est une mosaïque ethnique et religieuse. La population est divisée en deux parties, apparemment inconciliables. La population africaine du Sud a une culture complètement différente de celle du Nord qui se dit de descendance arabe. Bâtir un pays uni sur une telle diversité est une tâche quasiment impossible.

Lors d’un forum œcuménique, du 4 au 6 mars 2002 à Londres, les dirigeants des Eglises du Soudan ont publié un communiqué demandant à la communauté internationale d’aider à mettre fin à cette guerre civile en organisant un référendum sur l’autodétermination pour les Soudanais du Sud. Ce référendum devrait déterminer les liens des Soudanais du Sud avec leurs compatriotes du Nord. «Notre peuple qui souffre devrait pouvoir déterminer librement son statut politique et s’occuper de son développement économique, social et culturel. Nous croyons que personne n’est assez sage ni assez bien informé pour pouvoir faire ce choix à sa place», ont conclu les dirigeants des Eglises.

Les signataires de ce communiqué sont: l’archevêque Paolino Lukudu Loro de Juba, qui est aussi le président de la Conférence épiscopale des évêques catholiques du Soudan; l’archevêque Joseph Marona, primat de l’Eglise épiscopale du Soudan; le révérend Peter Makuac Nyakmat, modérateur associé de l’Eglise presbytérienne du Soudan; le révérend Taban Elonai Darago, président du Conseil soudanais des Eglises (SCC) et le père Mark Kumbonayki, président du Nouveau conseil soudanais des Eglises (NSCC).

Le communiqué ajoute: «Jusqu’à maintenant, plus de 2,9 millions de Soudanais ont perdu la vie; plus de 4 millions ont été déplacés; des milliers sont estropiés et blessés; il y a des milliers de veuves et orphelins. Et les pertes en termes d’éducation et de développement sont incalculables. C’est plus qu’assez!».

La direction de l’Union des étudiants du Sud-Soudan (SOSSU) a aussi écrit une lettre ouverte au gouvernement britannique, revendiquant le droit à l’autodétermination. «La Déclaration des principes de l’IGAD devrait être le forum principal pour arriver à la paix. Toute initiative qui exclut l’initiative IGAD n’est qu’une perte de temps et de ressources. Le gouvernement du Soudan s’évertue à ignorer les initiatives de l’IGAD pour la paix parce qu’elles comprennent le droit à l’autodétermination pour le Sud-Soudan. Cela ressort de son support à l’initiative Libye-Egypte, qui n’accepte pas le droit à l’autodétermination reconnu par les Nations unies».


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