ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 435 - 01/06/2002

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Afrique
L’Afrique contre l’exploitation des enfants


ENFANTS


Les Etats africains ont renforcé leur coopération pour lutter contre l’exploitation des enfants

A l’occasion d’une consultation sous-régionale sur le trafic transfrontalier des enfants, tenue à Libreville (Gabon) du 13 au 15 mars 2002, les Etats d’Afrique de l’Ouest et du Centre se sont engagés à renforcer leur coopération pour lutter contre l’exploitation des enfants. Les participants ont adopté un projet de Convention qui vise aussi à rapatrier les enfants exploités et à les réinsérer dans leur pays d’origine d’ici 2004.

Malgré la multiplicité et la complexité des aspects évoqués, pour la première fois la consultation a débouché sur un engagement fort des participants.

«Pour lutter efficacement contre le trafic des enfants, il nous faut en comprendre les causes profondes et mettre en évidence que la pauvreté en est une», avait précisé d’entrée Rima Salah, directrice régionale du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. «Leur trafic prend des formes variées, à la fois urbaines (petits vendeurs et employés domestiques) et rurales (travail agricole, souvent saisonnier dans les plantations)», a-t-elle souligné.

Pour résoudre ce fléau, l’approche développée par l’UNICEF s’appuie sur les principes définis par la Convention des droits de l’enfant. Entre autres elle privilégie «la sensibilisation du public, la promotion de l’éducation et la mise en place des services médicaux et de soutien psychologique pour les enfants traumatisés par ces expériences».

Le Gabon pointé du doigt

«Le Gabon, qui est un coupable désigné dans ce trafic, est malencontreusement au cœur du débat», a reconnu M. Didjob Divungi, vice-président de la République gabonaise. En février 2000, à Libreville, l’UNICEF avait déjà animé une consultation sous-régionale sur le “Développement des stratégies de lutte contre le trafic des enfants à des fins d’exploitation du travail en Afrique de l’Ouest et du Centre”. Mais aucune mesure concrète n’avait été prise.

Dans les rues de Libreville et des autres capitales africaines, l’exploitation des enfants perdure depuis plusieurs années, malgré l’arsenal juridique mis en place par les gouvernements pour sévir contre le trafic des enfants immigrés.

Les nouvelles dispositions prises pour protéger ces enfants incluent, entre autres, la condamnation par les tribunaux des personnes qui maltraitent les enfants immigrés et le rapatriement des mineurs victimes de mauvais traitements. Les responsables de mauvais traitements se verront infliger des amendes allant de 762 EUR à 4.580 EUR, selon les cas, et des condamnations allant de plusieurs mois à des années d’emprisonnement ferme.

Le gouvernement a récemment créé une commission pour proposer un plan d’action pour éradiquer le trafic des enfants dans les pays pourvoyeurs, de transit et d’accueil. Au Gabon, on dénombre quelque 25.000 enfants exploités, dont la moitié provient essentiellement du Togo, du Bénin et du Nigeria. Agés de 8 à 15 ans, ces enfants sont employés pour les travaux domestiques et dans la vente à la sauvette de divers produits. Les enquêtes réalisées par le service social de la mairie de Libreville révèlent que l’exploitation des enfants est fort répandue, ainsi que leurs mauvaises conditions d’existence.

«Généralement ces enfants sont achetés dans leur pays d’origine et vendus aux nouveaux maîtres pour des sommes pouvant atteindre 770 EUR», rapporte Virginie Bouka, assistante sociale. «Lorsque certains tentent de s’évader, ils sont sévèrement battus et leurs conditions d’existence ne s’améliorent guère. Rarement ils perçoivent de l’argent». Déjà en 1993, la Ligue gabonaise des droits de l’homme, à plusieurs reprises, avait alerté les autorités sur ce phénomène.

Avant l’adoption des nouvelles dispositions, les trafiquants et les responsables de mauvais traitements sur les enfants étaient quasiment impunis. «Nous interceptons les pirogues des clandestins et les occupants sont conduits à la gendarmerie avant qu’une décision ne soit prise par les autorités», explique un officier de la gendarmerie qui a requis l’anonymat. «Mais alors les passeurs interviennent pour les libérer, moyennant un apport financier, les ambassades se préoccupant rarement de la situation de leurs ressortissants en détention préventive».

Au Gabon, cette situation perdure depuis une trentaine d’années, mais elle n’avait pas particulièrement préoccupé les autorités, qui étaient bien sûr au courant des trafics d’enfants originaires d’Afrique de l’Ouest par familles interposées. En faisant le point sur le phénomène de l’immigration clandestine des enfants, le ministre des Affaires étrangères, Jean Ping, a déclaré: «Ce fléau va à l’encontre des lois de notre pays en matière de scolarisation, de protection juridique et sociale, de travail et d’immigration». Le regain d’attention du gouvernement gabonais face à ce phénomène est bien accueilli par les défenseurs des droits des enfants, mais aucune sanction n’a permis d’arrêter cette “pratique honteuse” sur le sol gabonais.

Les enfants enrichissent leurs parents

La main-d’œuvre enfantine bon marché fait l’objet d’un trafic international. Selon des études menées par l’UNICEF, certains pays sont des “pourvoyeurs” d’enfants: Togo, Bénin, Burkina Faso, Mali. Le Cameroun et la Guinée équatoriale servent de “transitaires”. Les pays “récepteurs”, qui les emploient comme domestiques ou vendeurs de rue, sont la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Nigeria.

L’exploitation des enfants est une activité lucrative qui rapporte aux “parents” des revenus confortables bien au-dessus du salaire minimum,lorsque plusieurs enfants d’un même toit sont lâchés dans la rue. Ces derniers, en échange de leurs services, perçoivent très peu d’argent. «Plusieurs milliers d’enfants d’Afrique de l’Ouest travaillent au Gabon pour leurs tuteurs, qui ne sont des parents que de nom. L’opinion a commencé à découvrir le phénomène du trafic des enfants et son ampleur», explique Anaclé Bissielo, consultant de l’UNICEF à Libreville.

«Je vends des cacahuètes bouillies et séchées à raison de 0,15 EUR le cornet et je réalise en moyenne des recettes de 6 à10 EUR par jour quand ça marche bien», témoigne Ablavi, une petite Togolaise, à peine âgée de 10 ans. Interrogée sur ses conditions de travail et de vie à la maison, elle déclare: «Je quitte la maison vers 7 heures du matin et je rentre à 17h30, ou plus tôt quand j’ai tout vendu. Tout est comptabilisé lorsque je prends ma cuvette sur la tête». «Mes parents me grondent quand la marchandise manque, mais nous sommes souvent pris en chasse par la police qui déverse le contenu de nos cuvettes dans la rue. Il est difficile d’expliquer à la maison que pareille aventure est arrivée», explique Marietou qui arbore encore un visage d’enfant.

Une autre vendeuse à la sauvette, âgée de 14 ans, ne semble pas se plaindre de ses conditions d’existence: «Je vends bien et mes tuteurs ne sont pas trop méchants avec moi. Mais ils s’inquiètent quand je suis malade». Le commerce fait vivre les bourreaux.

Les tuteurs — ou bourreaux — peuvent amasser de 150 à 300 EUR par enfant et par mois, selon la marchandise vendue, les fréquences de rotation et le lieu où est exercé le commerce, selon la direction générale du contrôle des prix. Nous avons interrogé les voisins d’une famille qui exploite sept mineurs et dont le tuteur n’avait pas voulu répondre à nos questions. Ils affirment que les fillettes ont une existence difficile et qu’elles sont souvent battues. «Le niveau de vie de nos voisins a beaucoup changé en deux ans et ils ne peuvent résister à révéler leur aisance. Le père adoptif a un emploi à temps plein et sa femme “gère” les fillettes qui vendent des “coupe-faim” le long de la journée, même le dimanche», explique Emilienne Mbourou.

Certaines familles béninoises, installées au Gabon depuis les années 70, vivent exclusivement de l’exploitation de ces enfants, sans qu’elles soient inquiétées. Comparativement à ce qu’elles dépensent pour habiller et nourrir ces enfants, les revenus sont conséquents, malgré la crise économique qui prévaut au Gabon. «Les fillettes vendent de la nourriture et les gens en consomment tous les jours. Il arrive que les filles arrivent aux bureaux administratifs pour vendre leurs marchandises. Ce commerce est presque légalisé», constate Palette Ndjimbi, secrétaire dans un ministère.

Une étude sociologique

Une étude sociologique a été menée à la demande d’Anaclé Bissielo. On a interrogés plus de 300 enfants victimes du trafic, parmi les communautés étrangères, notamment béninoises et togolaises. Elle a confirmé que ce phénomène existe au Gabon depuis 5 ans et a permis l’identification de 6 réseaux. Les tuteurs ouest-africains, qui généralement exercent un emploi rémunéré et légal dans les entreprises privées, perçoivent donc un salaire auquel vient s’ajouter le fruit du travail des enfants esclaves sous leur toit. «Au bout du compte, leurs revenus sont plus élevés que ceux que perçoivent certains cadres fonctionnaires, alors que des familles gabonaises vivent avec moins de 77 EUR par mois!», dit Anaclé. Les salaires des filles sont soit payés à leurs tuteurs, soit envoyés aux familles d’origine, selon la nature du contrat (quand il existe) passé avec la famille.

Les réseaux sont bien organisés. Les enfants viennent du Bénin, du Nigeria ou du Togo en pirogue, via la Guinée équatoriale ou le Cameroun, car il est difficile de débarquer directement sur les côtes gabonaises. De ces pays, un relais en voiture de transport de marchandises est assuré jusqu’au Gabon, avec la complicité de certains gendarmes et policiers à la frontière, moyennant de l’argent.

«Un autre aspect majeur est que la population féminine est dominante parmi les enfants victimes du trafic, et ce sont les femmes adultes qui sont les grandes animatrices de ces réseaux», indique A. Bissielo. D’après les observations sur le terrain et des recoupements réalisés par des associations de protection des enfants, la prépondérance des filles exploitées vient du fait qu’elles sont plus dociles, souvent illettrées, mais sachant compter, et respectueuses de traditions. Quand elles atteignent l’âge de la puberté, elles peuvent se fondre dans un réseau de prostitution soutenu par leur tuteur. Ou encore, celles qui émergent du lot par leur qualité de travailleuse, peuvent être sollicitées pour un mariage dans des familles ouest-africaines polygames. La rentabilité se construit par étapes et sur le long terme…

La mobilisation prend forme

Un centre d’accueil et de transit pour enfants a été mis en service début mars, dans la banlieue nord de Libreville. Il est né d’une convention signée le 19 janvier 2002 entre le ministère gabonais des Affaires sociales et la Commission européenne, pour accueillir les mineurs victimes du trafic ou fuyant leur situation d’esclavage. Les pensionnaires accèdent au centre d’elles-mêmes, ou bien conduites, quand c’est possible, orientées par des assistantes sociales ou les animatrices du centre, qui abordent les petites vendeuses dans les rues.

«J’ai été conduite au centre d’accueil par le frère d’une amie qui ne supportait pas que je sois battue. La décision a été difficile à prendre et j’ai quitté la maison un dimanche, alors que mes tuteurs étaient partis pour une fête de famille», raconte Flora Nguessan, une Togolaise de 13 ans arrivée au Gabon par pirogue, via le Nigeria, il y a plus d’un an. «Les responsables du centre ont alerté mon ambassade et les formalités sont en cours pour mon rapatriement au Togo, où j’habite au village d’Aneho, à 100 km de Lomé».

La rencontre des ministres, techniciens et représentants des ONG de 14 pays concernés par cette question cruciale du trafic d’enfants, a été perçue comme décisive dans la mise en place des instruments de coopération sous-régionale en vue d’éradiquer cette forme d’esclavage des temps modernes. A l’issue des travaux, les pays participants ont convenu de mener un combat efficace et concerté dans l’élimination de cette pratique inhumaine et avilissante. Le directeur adjoint de l’OIT (Organisation internationale du travail), Lambert Gbossa, a mesuré l’ampleur du combat à mener et a indiqué que «la lutte requiert nécessairement une mobilisation intersectorielle et internationale». Gbossa a rappelé que «l’OIT s’est résolument engagé dans ce combat à travers son programme international pour l’élimination du travail des enfants, qui concerne d’abord le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo».

Visiblement réceptifs et prêts à coopérer, les participants se sont montrés unanimes par rapport à la visée dissuasive de cette consultation sous-régionale, qui représente un engagement pour l’Afrique de demain.


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