ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 435 - 01/06/2002

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Burkina Faso
Les laissés-pour-compte de la société


VIE SOCIALE


Une proportion croissante de jeunes entre 15 et 24 ans vit en marge de la société, face à un avenir qui est loin de leur sourire

Aujourd’hui, la génération des jeunes de 15 à 24 ans dépasse le milliard d’individus dans le monde. Une proportion croissante d’entre eux vit en marge de la société, face à un avenir qui est loin de leur sourire. Or, les jeunes sont la ressource la plus précieuse des sociétés. Malheureusement, ils sont de plus en plus nombreux à ne pas aller à l’école et à se trouver sans emploi. Ils vivent dans les taudis ou dans la rue, dans des villages misérables ou dans le dénuement de ces enclaves urbaines qu’on appelle «périphériques» ou bidonvilles. Ils ont peu ou pas d’instruction scolaire. Enlisés dans le chômage, ils subissent la drogue, la maladie, la délinquance, la violence et les gangs. Ils sont exclus de la société alors même qu’ils devraient s’inscrire dans son avenir.

«Tous les jeunes aspirent à mener une vie productive, épanouissante», a dit Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, «mais ils sont de plus en plus nombreux à se voir opposer le chômage, la précarité, l’absence de toit, l’exclusion sociale et la discrimination ethnique». Et il ajoutait: «Une société qui se coupe de ses jeunes se coupe de sa source de vie; elle se condamne à mourir vidée de son sang».

Il n’y a pas de définition reconnue de la jeunesse; d’un pays à l’autre la perception peut être très différente. Aux yeux du FNUAP (Fonds des Nations unies pour la population), «les jeunes sont la population âgée de 15 à 24 ans. Ils sont 1,05 milliard, et ce groupe d’âge est en expansion rapide dans nombre de pays. Près d’une personne sur cinq dans le monde est un jeune et 84% d’entre eux vivent dans les pays en développement».

Marginalisés

Défavorisés, aliénés, délinquants, jeunes en difficulté, jeunes de la rue, exclus, non scolarisés..., les étiquettes abondent pour désigner les jeunes marginalisés. Parmi eux on rencontre un grand nombre qui “vit de la rue”. Victimes d’une société hyper-matérialiste et inégalitaire, les jeunes de la rue apparaissent avant tout comme les oubliés de notre société. “Laissés-pour-compte” d’une société en évolution permanente et vivant dans un cadre où l’abondance jouxte insolemment la misère, la grande majorité de ces jeunes de la rue sont exclus d’office des circuits normaux de formation scolaire ou professionnelle. Leur monde se limite à celui des activités de survie, où la notion même d’épanouissement est bannie. Un sentiment y prédomine: la peur et l’humiliation. Ils pratiquent toutes sortes de métiers: laveurs de pare-brise, cireurs de chaussures, gardiens de voitures ou porteurs au marché ou à l’aéroport, vendeurs aux carrefours, prostitués, etc.

Au Burkina, les jeunes de la rue plongent certains quartiers des villes dans “le temps des agressions”. Ils sont généralement organisés en bandes, dirigés par un ténor désigné à cet effet, dont le nom seul sème la panique et la terreur dans les rues. Ils menacent, souvent avec des couteaux à cran d’arrêt, leurs victimes favorites, les piétons. Certains de ces jeunes se contentent de “se shooter”. Devant les bars, bon nombre de ces jeunes gens et jeunes filles se retrouvent presque tous les soirs pour fumer l’herbe qui tue et absorber des comprimés en provenance des pays voisins. D’autres vont au-delà, en se livrant au trafic de drogue, ce qui les expose à de nombreux démêlés avec la police.

Autre caractéristique, ils deviennent des délinquants précocement. Agés seulement de 15 à 17 ans, ils ont déjà un palmarès des plus inquiétants. Un jeune âgé de 15 ans peut avoir à son actif une dizaine d’affaires à la police. Le vol semble être l’activité principale du jeune de la rue. Ils sont spécialistes du vol à la tire, aujourd’hui tournés surtout vers le vol de cellulaires. De temps en temps, quand l’occasion se présente, ils s’appliquent au vol des pièces de voitures ou de motocycles avec la complicité des adultes.

Causes multiples

Notre société de consommation, notre système éducatif produisant des rejets à tous les niveaux, et l’inconscience de parents irresponsables ou tout simplement leur situation sociale qui ne leur permet pas de s’occuper correctement de leurs enfants, ne sont pas étrangers à cet état de fait.

On peut aussi incriminer certaines pratiques qui sont à la base des abandons d’enfants, tel le cas de la fille-mère sans soutien, le divorce ou la polygamie. Privé d’amour et de compréhension des parents, l’enfant se tourne vers la rue. Outre l’éclatement de la famille, il y a l’exode rural lié aux mauvaises conditions d’existence dans les campagnes, le chômage et la pauvreté.

La crise économique ronge le tissu social lui-même. Avec la privatisation des entreprises et des sociétés d’Etat, des milliers de jeunes (appelés tôt à être des responsables de familles) ont été licenciés et, devenus incapables de nourrir leur famille, ils en perdent jusqu’à l’estime d’eux-mêmes. La pauvreté engendre le cercle vicieux de la négligence quand les parents sont si exténués par la seule lutte pour la survie qu’ils ne peuvent plus s’occuper convenablement de leurs enfants.

Ces enfants sont aussi victimes de négligence à l’école. Selon un rapport du Forum consultatif international sur l’éducation pour tous, le quart des 96 millions d’enfants qui ont fait leur première rentrée scolaire en 1998, a toutes les chances d’abandonner la scolarité avant la cinquième année. Le rapport observe que, «faute de savoir se mettre à l’écoute des besoins de beaucoup d’élèves ordinaires qui ont de mauvais résultats en classe, les écoles cessent d’être véritablement ouvertes et accessibles à tous».

D’innombrables jeunes redoublent ou abandonnent complètement leur scolarité. Le problème tient sans nul doute en partie à la rigidité et à l’imperméabilité de systèmes scolaires formels qui s’avèrent incapables de répondre aux besoins éducatifs de tous les enfants.

Un panorama… non homogène

Souvent il faut faire la part des choses. Le panorama des jeunes de la rue est loin d’être homogène. Certains sont honnêtes, pacifiques et très laborieux, comme les “fanicos” ou laveurs d’habits de la ville de Bobo, ces travailleurs bien tranquilles qui, pour la plupart des habitants, sont des braves gens, discrets et fidèles, qui ne volent pas. C’est également le cas des petits vendeurs de journaux des carrefours de la ville de Ouagadougou qui affrontent efficacement les servitudes quotidiennes de leur job. Prenons Sontôla, 19 ans, calme et effacé. Son job, il le connaît. Après cinq ans de pratique, il n’a plus besoin de zigzaguer entre les voitures pour écouler ses journaux. Il connaît parfaitement sa clientèle, ses habitudes, ses besoins et même les horaires de la plupart de ses clients.

Même si certains, tels que les petits gardiens de voitures, n’inspirent pas toujours confiance, il y en a qui ont des yeux de lynx. En effet, les jeunes de la rue semblent exceller dans l’art de découvrir des créneaux d’activités lucratives ignorées par la population. Ainsi, les petits vendeurs de journaux ont réussi à inculquer à la plupart des automobilistes l’habitude d’acheter leur journal aux feux rouges. Les écailleurs de poissons, les jeunes bouchers qui ont élu domicile à l’abattoir frigorifique de Ouagadougou ou de Bobo, ou les plumeurs de volailles aux abords des marchés sont parvenus à rendre paresseux de nombreuses ménagères, hôteliers, restaurateurs et rôtisseurs en créant chez eux un nouveau besoin: retourner à la maison avec du poisson, des boyaux, des têtes, des pattes de bœuf ou de mouton ou des volailles prêts à cuire.

Imaginatifs et créatifs, ils le sont aussi. La rue n’est pas seulement initiatrice et formatrice pour les jeunes qui s’y trouvent presque en permanence, elle est aussi créatrice de culture, de valeurs.

Ainsi, les jeunes de la rue ont inventé un langage branché. Un langage qui leur permet de trouver un palliatif affectif en même temps qu’un code, lequel peut avoir plusieurs fonctions: reconnaître les membres du clan, échapper à une autorité que l’on veut braver, revendiquer aussi un certain esprit créateur, autrement dit se protéger et s’identifier à la fois.

On peut donc y voir une sorte de mouvement de révolte vis-à-vis de l’autorité, recherche d’affirmation de la personnalité, tentative de se rallier sous la bannière d’un langage et d’un comportement identique, volonté de faire entendre une autre voix. En tous cas, les jeunes de la rue ne manquent pas d’imagination ni de potentialités créatrices.

La réinsertion sociale

Malheureusement, les perspectives d’emploi sont sombres et l’avenir sinistre. Que peut-on faire? Au Burkina, les ONG et associations travaillant seules ou en partenariat avec les pouvoirs publics et les institutions internationales, proposent un certain nombre de remèdes. Elles font passer en priorité la formation aux compétences pratiques et la création de possibilités d’emploi, souvent dans l’économie informelle où des jeunes sont employés comme mécaniciens auto, recycleurs ou vendeurs à la criée.

Etant donné que ces jeunes la plupart du temps sont traumatisés, il y a des programmes qui sont initiés afin de les intégrer dans le corps social en leur inculquant des valeurs et des aptitudes sociales, et en leur apprenant à se connaître et s’estimer eux-mêmes. Aussi, beaucoup d’ONG proposent des activités culturelles, sportives et sociales dont profitent non seulement les jeunes mais aussi l’ensemble de la communauté. Un exemple, le Centre d’étude de formation et d’information des jeunes, créé en 1995 par la commune de Ouagadougou, en partenariat avec des représentations internationales (ambassades et organismes). Malheureusement, le chômage des jeunes et d’autres formes d’exclusion sociale ont atteint des “niveaux intolérablement élevés” dans le pays.

Selon une enquête menée par l’Institut national de la statistique et de la démographie, le taux de chômage parmi les 16 à 24 ans est plus élevé que dans tous les autres groupes démographiques et atteint parfois le double de la moyenne nationale. Le taux de chômage des moins de 25 ans au Burkina Faso est de 70%. Dans certaines villes du pays par exemple, trois jeunes sur quatre sont au chômage, ce qui a valu aux jeunes d’être appelés la «génération salle d’attente».

Il ressort des analyses de l’OIT (Office international du travail) que les jeunes chômeurs, en Afrique, sont les plus exposés au risque d’exclusion sociale. Ici, trois jeunes sur cinq commencent à travailler après avoir quitté l’école (moins que vers la fin des années 90). Pour la moitié d’entre eux, il ne s’agit que d’un emploi temporaire et beaucoup connaissent des périodes de chômage prolongées et répétées. Ceci indépendamment de leur niveau d’instruction. Même dans les sociétés prospères, l’éducation a cessé d’être la garantie d’un emploi satisfaisant. «On fait des études, on fait des sacrifices, et au bout du compte, qu’obtient-on? Rien. Il m’arrive de me dire que cela n’en vaut pas la peine», dit Nafi, une jeune étudiante burkinabé.

L’année internationale de la jeunesse, décrétée en 1985, s’est amplifiée en 1995 avec l’adoption par l’assemblée générale des Nations unies d’un programme d’action mondial pour la jeunesse à l’horizon 2000 et au-delà. Dans ce programme, il est fait appel à toutes les nations à prendre des mesures dans des domaines tels que la participation, le développement, l’éducation et l’emploi des jeunes. «Accorder une attention prioritaire au problème des jeunes marginalisés vulnérables et défavorisés», tel est le principal message de ce programme. Le gouvernement burkinabé est invité à le faire sien et à mettre en place un cadre propice à l’épanouissement de sa jeunesse, pilier de son avenir. Les différents responsables en charge de l’emploi et de la jeunesse doivent accorder leurs violons afin d’ouvrir aux jeunes le maximum de perspectives et de possibilités,… car ce sont l’espoir, l’énergie et l’enthousiasme des jeunes qui font avancer la société.


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