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Cameroun |
ENFANTS
La pauvreté consécutive à la décennie de crise 1985-1995 a fait naître de nouvelles stratégies de survie qui ont poussé certaines familles à associer les enfants à la recherche des moyens de subsistance. D’autres sont tout simplement enlevés et exploités.
Dans les provinces les plus pauvres du Cameroun, les campagnes sont régulièrement «vidées» de leurs enfants, ont affirmé les responsables du ministère des Affaires sociales (MINAS) qui se sont rendus, en avril dernier, dans plusieurs régions rurales du pays. Partout, le même phénomène: de très nombreux enfants, la plupart âgés de moins de 14 ans, quittent leur famille pour trouver des emplois subalternes dans d’autres régions du pays, notamment dans les grandes villes.
Certains partent «de plein gré», d’autres à la demande de leurs parents rongés par la misère et les maladies. Tous cherchent à échapper à la terrible pauvreté de leur région. Plusieurs sont pris au piège des trafiquants.
Dans la plupart des cas, raconte Pierre Edou Nanga, les enfants effectuent des travaux ardus et sous-rétribués, comme ouvriers dans des plantations ou comme domestiques, parfois battus, parfois victimes de prédateurs sexuels. Pierre Edou avait été kidnappé en 1999, à la lisière de la République centrafricaine. Il a pu s’échapper après trois années de tribulations et revenir chez ses parents, atteint de gangrène, a révélé sa mère.
Face à une nette augmentation de telles pratiques abominables, affirme Marie Madeleine Fouda, ministre des Affaires sociales, «les plus hautes autorités du pays ne pouvaient plus se contenter de se croiser les bras ou de fermer les yeux». En mai 2001, le gouvernement camerounais a ratifié la convention 182 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui interdit les pires formes de travail des enfants. Et, à l’instar d’un certain nombre de pays du continent, il a lancé une campagne financée par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et d’autres organismes, visant à interdire ces pratiques.
L’administration publique locale, les spécialistes de la protection de l’enfance, les responsables communautaires et les défenseurs des droits des enfants commencent à informer les parents des dangers encourus par les enfants qui travaillent. D’après la représentation camerounaise de l’OIT, un peu plus de 49% des enfants de 10 à 14 ans travaillent au Cameroun, bien que ce soit interdit par le code du travail. 46,4% de Camerounais ont moins de 15 ans!
Puisque le problème est lié à la pauvreté du pays et ne pourra être éliminé que grâce à une hausse des revenus des ménages et à l’accès à l’éducation, les représentations locales de l’Unicef, de l’OIT et d’autres groupes concentrent actuellement leurs efforts sur les pires formes d’exploitation des enfants: travail forcé, prostitution, participation au trafic de stupéfiants et à d’autres activités criminelles, ainsi que sur les activités particulièrement dangereuses pour la santé et la sécurité des enfants.
Les trafiquants dans le collimateur
L’annonce au mois d’avril 2001 par les médias du monde d’un «navire esclave», battant pavillon nigérian et voguant au large de l’Afrique de l’Ouest avec 250 enfants à son bord, «a mis au grand jour, la réalité du trafic des enfants dans la sous-région», affirme Jean Paul Bakang, conseiller auprès du Centre sous-régional des droits de l’homme à Yaoundé. «Le trafic commence à figurer à l’ordre du jour politique», renchérit Edouard Kougoué, président du United social front (USF), un parti politique nouvellement créé.
Arrachés à la protection de leur milieu familial et de leur communauté, les enfants victimes des trafiquants sont particulièrement vulnérables. Les rapports sur ce chapitre font penser que la plupart des enfants sont envoyés dans des pays voisins pour servir de domestiques, travailler dans des plantations, mendier, faire de petits métiers ou racoler. Des enfants sont vendus également pour être exploités sexuellement dans de nombreuses gargotes qui peuplent les grandes villes du Cameroun.
En juillet 2001, avec le concours financier de l’Unicef, le Centre de recherche Innocenti, a publié une étude titrée: “Trafic des enfants à des fins d’exploitation économique: réponses apportées par les politiques nationales au Cameroun”. D’après cette étude, les enfants victimes de trafic travaillent de 10 à 20 heures par jour, portent de lourds fardeaux et manient des outils dangereux. Ils manquent souvent de nourriture et d’eau. L’étude rapporte qu’au Cameroun, un sur cinq, parmi ces enfants, meurt de maladie ou d’accident. D’autres contractent des maladies sexuellement transmissibles, notamment le VIH/sida. Les parents se laissent parfois persuader par les recruteurs d’envoyer leurs enfants à l’extérieur afin de ramener un salaire supplémentaire. Mais assez souvent parents et enfants ne sont pas payés. En fait, nombre de ces enfants «vivent dans une situation d’extrême précarité», indique le secrétaire général du MINAS. Le trafic des enfants -– même s’il n’est pas considérable -– aux fins du travail est désormais «un problème grave» dans notre pays.
Parmi les raisons de ce phénomène, l’étude cite:
- la pauvreté, «raison majeure et omniprésente» qui limite beaucoup les possibilités économiques et professionnelles dans les zones rurales et incite les familles à recourir à tous les moyens d’accroître leurs maigres revenus;
- un accès à l’éducation insuffisant: «les enfants sont arrachés à la protection de leur famille plus souvent parce qu’ils cherchent à s’instruire que parce qu’ils cherchent à travailler»;
- la migration des adultes des villages vers les bidonvilles expose les enfants à de plus grands risques;
- une forte demande des employeurs qui veulent une main-d’œuvre bon marché et soumise, dans le secteur informel particulièrement;
- le désir des jeunes eux-mêmes qui veulent voyager et explorer;
- un engagement politique, une législation et des mécanismes judiciaires insuffisants face au trafic des enfants.
Toutefois, en 2001, le Cameroun a entrepris de façon systématique de remédier au problème. L’Assemblée nationale a interdit la traite des enfants et réuni une Commission nationale contre le trafic des enfants, dirigée par son vice-président. Certains programmes mettent l’accent sur la mobilisation des secteurs clés de la société. Les responsables de divers ministères rencontrent les pouvoirs publics et les chefs de villages des provinces les plus touchées. L’objectif est de mettre en place des structures de «vigilance» contre le trafic des enfants.
La pauvreté indexée
Le trafic des enfants est l’un des aspects les plus pernicieux d’un problème beaucoup plus vaste. L’Afrique en général est le continent sur lequel le travail des enfants est le plus fréquemment décrié. D’après l’OIT, 41% des enfants africains, âgés de 5 à 14 ans, participent à une activité économique, contre 21% en Asie et 17% en Amérique latine. Même constat chez les filles: 37% en Afrique, contre 20% en Asie et 11% en Amérique latine.
Ce n’est pas une coïncidence, car l’Afrique est la région la plus pauvre, dotée du système éducatif le plus faible. Du constat général, il ressort que les enfants des milieux défavorisés sont les plus susceptibles de chercher un emploi. En outre, quand on demande aux parents ou aux gardiens de ces enfants pourquoi ils les laissent travailler, ils répondent le plus souvent «pour compléter les revenus familiaux» ou pour «aider la famille à survivre». Généralement au Cameroun, les parents des familles à très faible revenu — 51% de la population totale du pays vit en dessous du seuil de pauvreté! — ne trouvent pas d’autres solutions que de se faire aider directement par les enfants à la ferme ou dans le secteur informel. Mme Cathy Mbembe, présidente de l’association “SOS Women”, déclare tout simplement que «le plus gros problème, c’est la pauvreté».
L’incidence du travail des enfants dans le pays s’en trouve du coup hypertrophiée en raison de la détérioration du système éducatif, lui-même dû au recul de l’économie. Des infrastructures insuffisantes, malgré quelques progrès impulsés par l’éducation primaire gratuite instaurée en 2000, et la démoralisation des enseignants dans la permanence de grèves pour salaires insuffisants, contribuent à la hausse des abandons scolaires et de l’absentéisme. 27% des enfants de 10 à 14 ans ne sont pas scolarisés et beaucoup finissent par travailler. Dans les villages des provinces du Nord et de l’Est, le taux d’abandon scolaire tourne autour de 30 à 40%.
Le sida est un autre facteur aggravant dont il faut tenir compte. Vu le nombre croissant des chefs de famille morts du sida, les familles s’enfoncent de plus en plus dans la pauvreté et les responsabilités sont de plus en plus lourdes pour les survivants, particulièrement les enfants. Selon le président du Comité national de lutte contre le sida, «le VIH/sida démantèle les familles et augmente les possibilités d’exploitation des enfants par le travail. Juste à l’âge où les enfants devraient aller à l’école, leurs lourdes et nouvelles responsabilités de chefs de famille les contraignent à abandonner leur scolarité».
Education et mobilisation
Reconnaissant que le travail des enfants est lié à la pauvreté des familles, et qu’il ne s’agit pas simplement de l’interdire en promulguant des lois, les ONG nationales font une distinction «entre les obligations familiales normales et le travail qui débouche sur l’exploitation et la maltraitance». Les réalités socio-culturelles camerounaises permettent aux enfants de travailler dans la famille et la communauté, mais les difficultés économiques, le VIH/sida et autres catastrophes ont changé la nature traditionnelle du travail des enfants pour la transformer en pratique abusive. Puisqu’il n’est pas encore possible d’interdire le travail des enfants sous toutes ses formes, la difficulté immédiate consiste à sensibiliser l’opinion aux dangers présentés par les formes les plus oppressives et abusives du travail des enfants, et à mobiliser les gouvernements et les sociétés.
Cathy Mbembe pense qu’en se concentrant sur les pires formes d’exploitation, il sera possible de dégager des priorités et de gagner l’appui des pouvoirs publics. Elle rappelle que la convention 138 de l’OIT — qui incite les pays à fixer à 14 ou 15 ans l’âge légal du travail — a fait des adeptes très lentement après son adoption en 1973. Mais la convention 182 —qui interdit les pires formes de travail des enfants — «a réussi sur le plan stratégique, car elle a permis d’atteindre un consensus sur le plan mondial», affirme-t-elle.
Mme Mbembe signale toutefois qu’en se focalisant uniquement sur les pires formes de travail des enfants, on risque «d’occulter» le problème général. «Une attention trop soutenue aux pires formes de travail pourrait nous entraîner à négliger des actions plus fondamentales, axées sur l’environnement macroéconomique, l’éducation et l’évolution des mentalités, qui elles-mêmes freineraient le travail des enfants». Aussi souhaiterait-elle l’adoption d’une perspective à long terme, afin d’élaborer «d’autres programmes visant à surmonter les obstacles éducatifs et à améliorer les revenus des familles qui se sentent obligées de laisser leurs enfants travailler dans de telles conditions».
Afrique du S. 87% | Cap Vert 99% | Gabon 83% | Libéria 34% | Mozambique 44% | S.Tomé y Pr. 93% | Tchad 39% |
Algérie 97% | Comores 60% | Gambie 52% | Libye 96% | Namibie 86% | Sénégal 49% | Togo 69% |
Angola 50% | Congo — | Ghana 74% | Madagascar 57% |
Niger 37% |
Seychelles 100% | Tunisie 94% |
Bénin 63% | Côte d’Ivoire 57% | Guinée 39% | Malawi 83% |
Nigeria 56% |
Sierra Leone 41% | Zambie 67% |
Botswana 84% | Djibouti 33% | Guinée-Bissau 42% | Mali 40% |
Ouganda 87% |
Somalie 64% | Zimbabwe 85% |
Burkina Faso 27% | Egypte 86% | Guinée équat. 89% |
Maroc 70% |
RCA 43% | Soudan 40% | |
Burundi 47% | Erythrée 37% | Kenya 74% | Maurice 97% | R.D. Congo 35% | Swaziland 100% | |
Cameroun 73% | Ethiopie 44% | Lesotho 65% |
Mauritanie 54% |
Rwanda 66% | Tanzanie 53% |
(dans Afriquespoir, Congo RDC, avril-juin 2002)
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