ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 436 - 15/06/2002

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 Cameroun 
Pipe-line: des ONG dénoncent...


DROITS DE L’HOMME


Des ONG dénoncent les conditions d’exploitation du chantier du pipe-line Tchad-Cameroun

Un groupe d’ONG camerounaises a publié le mois dernier un rapport assez accablant sur les travaux du pipe-line tchado-camerounais. Le SEP (Service oecuménique pour la paix), le CED (Centre pour l’environnement et le développement), la FOCARFE (Fondation camerounaise pour une action rationalisée des femmes sur l’environnement), ERA-CAMEROUN (Environnement, recherche et action-Cameroun), appuyés par le CRS (Catholic Relief Service), proposent de «contribuer à veiller tout au long des 891 kilomètres en territoire camerounais, pour que la mise en oeuvre du projet soit conforme aux engagements solennellement pris sur les plans social, économique, environnemental et politique. Tout ceci dans le respect de la dignité humaine, de la justice et de la paix».

Plaintes

D’emblée, le rapport s’attaque aux pratiques discriminatoires entretenues par la COTCO (Cameroon Oil Transportation Co), le consortium pétrolier — composé des américains EXXON-MOBIL et CHEVRON, et du malaisien PETRONAS — chargé de la construction et de l’exploitation de l’oléoduc. Les ONG dénoncent un véritable apartheid entre les cadres expatriés et les nationaux sur les questions de logement. Les logements des Européens plus confortables — dotés d’aires de jeux, de piscines — sont rigoureusement séparés de ceux de leurs collègues nationaux qui, du reste, ne peuvent pas habiter avec leur famille, un privilège accordé aux cadres expatriés. La nourriture dans les camps est de type européen et ne tient pas compte des habitudes alimentaires locales. Aucun aménagement n’est prévu.

Quant à la gestion de l’information, notent les ONG, les populations riveraines du pipe-line se plaignent du manque ou de l’insuffisance d’informations sur le nombre et le type d’emplois disponibles, les modalités de recrutement, etc. Résultat: de nombreux emplois échappent aux populations riveraines, ainsi frustrées au profit de travailleurs venant des villes.

Les ONG s’inquiètent aussi des déplacements forcés, déguisés en déplacements volontaires. C’est le cas notamment du village Kpockea, dans la sous-préfecture de Bétaré-Oya, dans l’est du Cameroun. Certains habitants de ce hameau, souligne le rapport, apeurés par les intimidations du député de la localité, ont abandonné leurs maisons, aujourd’hui en ruine. Ce qui va à l’encontre des promesses de la COTCO de ne pas déplacer les populations sans les informer au préalable. Tout cela ne respecte pas la directive 4.30 de la Banque mondiale (BM) et «fait croire qu’au lieu de d’avoir une attention particulière pour les pauvres, la COTCO veut profiter de l’extrême pauvreté des populations et de leur extrême ignorance, pour les faire déguerpir sans dédommagement conséquent».

Les dédommagements consécutifs aux destructions des plantations des habitants vont à l’encontre du satisfecit de la BM, des autorités camerounaises et du consortium. «La qualité médiocre du matériel remis en nature au titre des compensations est patente». Il n’est pas rare de voir dans un village toutes les machines à grains en état de mauvais fonctionnement. «Le sentiment général des populations est d’avoir été flouées».

Qui plus est, les populations — mal ou pas du tout préparées — n’ont pas toujours utilisé à bon escient les sommes mises à leur disposition à titre de compensation. Une enquête effectuée auprès de 357 ménages dans le territoire traversé par l’oléoduc dans la province du centre, montre que 7% seulement de familles ont investi dans l’amélioration des plantations, tandis que 22% au moins ont consacré cet argent à l’achat de nouveaux équipements domestiques et à des dépenses de prestige, et «certains en ont profité pour devenir polygames».

En plus, contrairement aux promesses du consortium, l’oléoduc n’est pas un chantier à grande potentialité de main-d’oeuvre. Les emplois sont essentiellement précaires et mal rémunérés. Des soudeurs colombiens ont été préférés aux nationaux, pourtant compétents, au mépris de la convention entre la COTCO et l’Etat camerounais, qui stipulait la priorité pour les nationaux dans le recrutement. En définitive, les observateurs relèvent que l’impact socio-économique du méga-projet est plutôt insignifiant dans les régions traversées. Au contraire, elles sont devenues des champs du vice, où alcoolisme et prostitution font bon ménage.

Recommandations

Les ONG formulent des recommandations pour préserver la paix sociale en danger, du fait de nombreuses frustrations encore latentes. Un audit indépendant sur le processus de compensation, qui permettrait de recenser les conflits sournois «afin d’y apporter des solutions concrètes et définitives», est vivement recommandé. Il est aussi demandé à la COTCO d’apporter des éclaircissements sur les sujets à controverse, comme le déplacement des populations par exemple. Les ONG demandent aussi au consortium de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux pratiques discriminatoires. Enfin, un cadre de concertation tripartite entre les ONG, le consortium et le gouvernement est vivement souhaité.

Pour mémoire, c’est en 1969 que furent découverts à Doba, au sud du Tchad, des gisements de pétrole évalués à 150 millions de tonnes de réserve. Pays enclavé, le Tchad se tourne vers le Cameroun pour l’évacuation de son brut. En février 1996, une convention est signée à cet effet avec le Cameroun. Objectif: définir un cadre légal pour le transport du pétrole tchadien sur les 890 kilomètres de pipe-line qui traversent le Cameroun (la longueur globale est d’environ 1.050 km). Le coût global du projet est estimé à 3 milliards de dollars. Le consortium finance les travaux à hauteur de 80%, contre 15% pour le Cameroun et 5% pour le Tchad.

La participation de la BM pour 370 millions de dollars est perçue comme une caution morale destinée à crédibiliser le projet aux yeux des financiers. C’est finalement en octobre 2000 que les chefs d’Etat du Tchad (Idriss Déby) et du Cameroun (Paul Biya) ont donné le coup d’envoi du chantier du méga-projet pétrolier.


Cfr ANB-BIA n. 384, 15/02/2000, pg i-ii (Dossier), et IV (Suppl.); n.395, 01/06/2000, pg I (Suppl.); Jeune Afrique Economie, 16-29 nov. 1998, dans ANB-BIA n. 357, 1/12/1998, pg 18.


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