ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 436 - 15/06/2002

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 Congo RDC
Escadrons de la mort à Kisangani


GUERRE CIVILE


A la barbe du gouvernement Bilusa, l’Escadron de la mort, venu de Kigali et de Goma, tue à Kisangani — Une description et une analyse des tragiques événements du 14 et 15 mai derniers, par un journaliste qui vit sur place

Les journées du mardi 14 et mercredi 15 mai 2002 ont été tragiques pour Kisangani: le sang y a de nouveau coulé.

Dès 5 heures du matin, des détonations d’armes automatiques ont retenti alors que les «Boyomais» (habitants de Kisangani) s’apprêtaient a quitter leurs lits. Mais on ignorait de quel côté provenaient ces tirs, et leur raison.

Il a fallu attendre 7 heures pour être fixé. Un soldat de l’armée rebelle du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) à Kisangani, à la tête d’une trentaine de «mutins», avait pris possession du studio de la radio-télévision nationale (RTNC) et criait à tue-tête au micro sa colère contre le RCD qui avait refusé de contresigner l’accord de Sun City entre le gouvernement de la RDC et le MLC (Mouvement de libération du Congo) de Jean-Pierre Mbemba. Il invitait toute la population et même le gouverneur de province et le maire de la ville, sans oublier la Monuc (Mission de l’Onu au Congo), à descendre dans la rue pour l’aider à chasser les Rwandais qui ont déjà trop colonisé et humilié les Congolais. Tout le monde était donc impliqué.

La population n’attendait que cette occasion, semble-t-il. Elle est descendue en ville à la recherche de Rwandais —militaires ou civils — habitués à vivre en cachette et en tenue civile, depuis la décision du Conseil de sécurité de l’Onu de démilitariser Kisangani et de rapatrier les troupes étrangères de la RDC. Le building Lengemea, où est installée la Télé Boyoma, a été la première cible, car c’est le principal lieu de retranchement des Rwandais. Le premier, un civil, en a fait les frais. Le deuxième, un soldat, a succombé près de l’hôtel Congo Palace. Le troisième, un soldat aussi, a été tué devant le bureau de la commune de Mangobo. Atrocités liées à la culture de la violence que connaît le Congo depuis le début des guerres en 1996.

La réponse

Mais, à 8 heures, c’est le revers de la médaille.

On entend de nouveau des tirs du côté du studio de la radio. Le commandant intérimaire de la 7e brigade, M. Ivon, prenait lui-même le micro pour annoncer qu’il venait de mater la mutinerie et qu’il invitait tous les soldats et policiers à se rendre à l’état-major. Quant à la population civile, elle était invitée à jeter toute arme et à regagner immédiatement son domicile sous peine d’arrestation. L’«insurrection» était étouffée dans l’oeuf.

A 11h, le gouverneur de la province, Jean-Pierre Bilusa Baila, apparaît lui aussi au micro de la radio pour vociférer sa désapprobation et sa colère contre «le coup de force» qui a failli l’emporter, lui, son RCD et ses Rwandais. Ses principaux boucs émissaires sont la société civile et les étudiants: ce sont eux qui ont incité les soldats et la population à la haine contre les Rwandais qui, toujours d’après lui, n’existent à Kisangani que dans l’imagination populaire. Et il interdit les réunions des associations jusqu’à nouvel ordre.

Le président de la société civile/province Orientale, Abisa Bokanga, venait de regagner Kisangani en provenance de Sun City, où il avait contresigné l’accord entre le gouvernement et le MLC. Quant au gouverneur, il venait, la veille, de rentrer de Goma, capitale de la rébellion du RCD, où il avait probablement reçu des directives et des instructions relatives à: a) l’interdiction de restituer les travaux du Dialogue inter-congolais de Sun City par le président de la société civile; b) le refus de tenir le Symposium international pour la paix en Afrique, prévu du 23 au 26 mai 2002 et organisé par les Eglises et la société civile; c) et enfin, probablement, le refus de démilitariser la ville de Kisangani. Le prétexte était arrivé à propos.

Avec une rapidité extraordinaire, le véritable commandant de la 7e brigade, Laurent Kunda, d’origine tutsi, et le commandant Gabriel Amisi Tango Fort, chef d’état-major adjoint de l’armée du mouvement rebelle soutenu par le Rwanda, atterrissaient à Kisangani à la tête d’un renfort de commandos d’élite en provenance de Kigali, via Goma.

La chasse

C’est alors qu’a commencé la chasse aux sorcières. La commune visée était celle de Mangobo, où a grandi et vécu le gouverneur Bilusa. Elle abrite une association dénommée «Bana Etats-Unis», habituée à la résistance populaire, et qui avait eu le malheur d’avoir été invitée nommément par les «mutins» à descendre dans la rue. Tout l’après-midi de mardi, la nuit et matin du mercredi, c’est le carnage dans la commune, spécialement autour de la paroisse Christ-Roi. Pillages, vols, viols, tueries se sont succédé.

Bilan: la paroisse saccagée, le père curé «Zabalo» battu et enlevé; le père Verhagen battu et hospitalisé. Au total, plus de 100 morts: soldats et policiers «mutins», soldats et policiers venus chasser les mutins, policiers et soldats venus immédiatement après l’appel du RCD, et considérés comme complices des mutins, jeunes policiers en formation à la Monuc, au camp Kapalata, policiers du camp Mituku et civils de Mangobo. Le président de la société civile, ne se sentant pas en sécurité, a dû se cacher. Beaucoup de jeunes de Mangobo (les plus visés) se sont enfuis en brousse, d’autres se sont réfugiés à l’université de Kisangani.

Analyse

Quelle analyse faire de ces événements dramatiques? On peut se demander si c’était vraiment une mutinerie, ou bien une simple mascarade… Passons en revue les différentes déclarations faites par plusieurs personnalités à ce sujet.

Le mutin, au micro de la RTNC, qualifie le mouvement d’«insurrection contre l’armée rwandaise».

Le commandant intérimaire de la 7e brigade en chassant les gens qui occupaient le studio, les a qualifiés de mutins, qu’il venait d’ailleurs de mater.

Le gouverneur de province a attribué la responsabilité de ces événements à la société civile et aux étudiants qui, a-t-il proclamé, ont excité civils et militaires à la révolte. Et il précise qu’il n’interviendra pas pour sauver l’une ou l’autre personne arrêtée.

Le chef du département de la Justice et président secrétaire général a.i. du RCD-Goma, Me Moïse Nyarugabo, a attribué la cause de cette insurrection au gouvernement de Kinshasa.

Le Dr Lola Kisanga, chef de département adjoint de la Communication et porte-parole intérimaire du RCD, ne voit pas de mutinerie dans cette affaire: pour lui, ce seraient des éléments déserteurs de l’armée rebelle, venus semer la zizanie au sein du groupe.

Olivier Kamitatu, secrétaire général du MLC, le mouvement rebelle dirigé par Jean-Pierre Mbemba, soutenu par l’Ouganda, ne voit pas en quoi le gouvernement de Kinshasa et le MLC y seraient mêlés. Ce qui est arrivé à Kisangani est tout simplement la preuve que le RCD ne contrôle pas ses troupes. On peut même prévoir des soulèvements de la population et de l’armée dans le territoire occupé par le RCD, car tout le monde veut que celui-ci s’implique dans l’accord-cadre signé à Sun City.

Enfin, M. Dismas Kitenge, président du Groupe Lotus, une ONG de défense des droits de l’homme à Kisangani, y voit une pure mascarade pour museler la société civile. Elle s’apprêtait à communiquer les travaux de Sun City; elle s’évertue pour que la décision de la démilitarisation de Kisangani soit effective; et enfin, en collaboration avec les Eglises, elle prépare un Symposium international pour la paix en Afrique.

Hypothèses

Nous pouvons avancer plusieurs hypothèses au sujet de ces événements dramatiques.

Notre point de vue

 

En définitive, à qui incombe la responsabilité de cette tragédie? Elle est sans doute partagée.

Mais nous estimons que le véritable responsable de cette tragédie est bel et bien le gouverneur de province, M. Bilusa Baila. On dit toujours qu’il n y a pas de mauvaises troupes, il n’y a que de mauvais chefs. Le sang des Rwandais et des Congolais versé par sa faute à Kisangani crie vengeance au ciel.

En tout état de cause, cet événement dramatique est un signe des temps, un signe avant-coureur qui ne trompe pas. Et une question reste posée: doit-on tuer le peuple qu’on veut diriger coûte que coûte?

 


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