ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 436 - 15/06/2002

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


 Côte d’Ivoire
La refondation à l’épreuve de la fronde sociale


ACTION SOCIALE


Alors que le pays normalise ses relations avec la communauté internationale, les revendications salariales reprennent

«Côte d’Ivoire is back!». Depuis l’élection, en juillet 2001, d’Amara Essy comme secrétaire général de l’OUA (Organisation de l’unité africaine), le président Laurent Gbagbo n’a que cette expression anglaise à la bouche, qui peut se traduire par: «La Côte d’Ivoire est de retour» (sous-entendu “sur la scène internationale”). Et le nouveau président ivoirien ne s’est pas trompé: depuis quelque temps, les bonnes nouvelles se succèdent à Abidjan, dans le sens de la normalisation des relations du pays avec la communauté internationale.

Arrivé au pouvoir dans un pays coupé du monde — suspension de toute aide extérieure pour cause de mauvaise gouvernance sous le régime Bédié, mise en quarantaine par la communauté internationale pour coup d’Etat militaire — le Front populaire ivoirien (FPI), au pouvoir depuis octobre 2000 à la suite d’une transition militaire chaotique et d’une élection présidentielle scandaleuse, tous les candidats potentiels ayant été éliminés par les militaires, s’est attelé et a réussi à normaliser toutes les relations extérieures. Il est vrai qu’en décembre, le Forum de la réconciliation nationale, auquel tenait la communauté internationale, a été dans l’ensemble une réussite.

En tout cas, depuis janvier 2002, les bonnes nouvelles se succèdent.

Il y a d’abord les institutions de Bretton Woods, dont dépendaient tous les autres déblocages. Jugeant satisfaisante l’exécution par le gouvernement ivoirien du “Programme intérimaire” signé en juillet 2001 et qui a nécessité six mois d’observation, le FMI et la Banque mondiale (BM) viennent de reprendre leur coopération «pleine et entière» avec la Côte d’Ivoire. Le FMI a débloqué un crédit de 365 millions de dollars au titre de la facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance économique. Quant à la BM, elle a procédé à des décaissements d’un montant global de 280 millions de dollars recouvrant onze projets notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé (sida) et des infrastructures routières. La BM prévoit aussi un appui budgétaire d’un montant de $200 millions pour compléter l’appui du FMI au titre du Crédit de relance économique, destiné à aider le gouvernement à atténuer les impacts négatifs de la transition politique et surtout la détérioration du niveau de vie des populations rurales.

Enfin, ce passage réussi, les négociations avec les institutions de Bretton Woods vont porter sur les conditions d’éligibilité de la Côte d’Ivoire au programme de réduction de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE), une initiative à laquelle la Côte d’Ivoire avait déjà été admise mais qui avait été suspendue en 1998 pour cause de mauvaise gouvernance sous le régime Bédié.

“Pluie de milliards” — Oui, mais...

La normalisation de ces relations avec les institutions de Bretton Woods a ouvert la voie aux autres partenaires, bilatéraux et multilatéraux: la BAD (Banque africaine de développement) vient d’accorder un prêt de 172 millions de dollars; la France, le partenaire traditionnel de la Côte d’Ivoire, octroie 183 millions d’euros, «l’aide financière la plus importante en Afrique depuis 1995», selon M. Charles Josselin, ministre français de la Coopération; et même les Etats-Unis, farouches partisans de la reprise des élections avant toute reprise de leur coopération, viennent de s’engager à «réexaminer» les sanctions (au total 58) qu’ils ont infligées à la Côte d’Ivoire à la suite du coup d’Etat de décembre 1999.

En tout cas, on parle de nouveau, comme en 1994-1995, de “pluie de milliards” sur le pays. Mais, comme conséquence immédiate et comme si ces “milliards” étaient destinés à être distribués, les travailleurs se sont levés comme un seul homme pour réclamer “leur part”. Mouvements de revendications tous azimuts: revendications salariales, demandes de révision de statuts, etc. Même des corps comme la police et les magistrats qui, d’ordinaire, étaient considérés comme interdits de grève, se sont mis dans la danse!

Le pouvoir voit derrière ces mouvements, des “mains occultes” destinées à le déstabiliser. En fait, ces mouvements obéissent à une logique du président Laurent Gbagbo lui-même, pour qui «qui ne risque rien n’a rien» et «la victoire appartient à ceux qui luttent». Il l’a dit à plusieurs reprises aux travailleurs. Et il a même donné satisfaction aux enseignants et aux policiers qui ont été les premiers à manifester...

A l’installation du premier gouvernement de la IIe République, en février 2001, le Premier ministre Affi N’guessan avait demandé et obtenu des travailleurs «une trêve d’un an pour dix ans de bonheur». Malheureusement, un an après, en février 2002, il est revenu pour dire que la situation, même améliorée, restait trop fragile pour penser à une distribution des revenus, et il a demandé une prolongation d’un an, c’est-à-dire jusqu’en 2003, pour l’augmentation des salaires. Les travailleurs alors ont dit non! «Nous voulons le déblocage des salaires maintenant!», réclament les fonctionnaires.

L’intransigeance du FMI

Ces revendications ont peu de chance d’aboutir, car le FMI se montre intransigeant. Dans une conférence de presse le 17 avril à Abidjan, son représentant en Côte d’Ivoire, M. Innocent Diogo, a été clair: «Il est impossible, eu égard aux accords signés avec le FMI, de débloquer les salaires de ceux qui défilent à longueur de journée!», a-t-il dit, avant d’exprimer ses inquiétudes devant les risques de dérapages qui pourraient subvenir dans la mise en œuvre du programme de relance économique.

En plus du déblocage des salaires, les institutions financières s’inquiètent des problèmes de gouvernance qui pourraient surgir dans le cadre de la décentralisation, où d’importantes ressources vont être transférées aux collectivités décentralisées. Voilà la situation qui prévaut aujourd’hui en Côte d’Ivoire et qui suscite des inquiétudes. La “Refondation” (le programme du FPI) est donc à l’épreuve de la fronde sociale.

L’inquiétude est d’autant plus sérieuse que le RDR (Rassemblement des républicains) de l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, jusque-là seul parti d’opposition véritable, vient de trouver un “allié” de poids après la réélection à la tête du PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, ex-parti au pouvoir jusqu’au coup d’Etat) de l’ancien président Henri Konan Bédié, qui n’entend pas “faire de cadeau” au pouvoir.

La coalition RDR-PDCI est une opposition qui fait peur. Surtout le RDR, qui réclame toujours la reprise des élections, notamment les législatives auxquelles il n’a pas participé par solidarité avec son mentor (Ouattara) éliminé pour «nationalité douteuse». «Nous ne pouvons pas attendre 2005. Il nous faut le pouvoir maintenant!», clament ses militants prêts à chasser le FPI du pouvoir.

Et il semble que la situation devienne de plus en plus favorable à ce dessein à cause des difficultés économiques, avec comme corollaire la cherté de la vie. Régulièrement les femmes marchent sur la présidence pour crier leur ras-le-bol. Ce qui, dans nos pays, est un mauvais signe pouvant conduire à tous les dérapages. Mais avec la reprise des décaissements des bailleurs de fonds, l’espoir est permis. Après les réformes macro-économiques, place à la lutte contre la pauvreté, clame Laurent Gbagbo. Dont acte.


SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2002 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement