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VIE SOCIALE
Rencontre d’autorités locales sur la gestion des conflits sociaux entre exploitants agricoles et éleveurs nomades
Du 18 au 21 mars 2002, une rencontre a regroupé sultans et chefs de cantons au Centre d’études et de formation pour le développement à N’Djaména. La réunion a porté sur le thème: “La chefferie traditionnelle et la gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs”. Des points significatifs ont été abordés et des recommandations ont été faites à l’intention des pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales.
Couloirs de transhumance
Le premier point abordé a été la question du respect des couloirs de transhumance. A ce propos, il faut évoquer l’histoire des grandes sécheresses successives (1974, 1984 et 1994) qui ont considérablement réduit le potentiel pastoral dans nombre de pays du Sahel et singulièrement au Tchad. Quelques poches de terres restées légèrement arrosées qui abritaient des champs, étaient prises d’assaut par le bétail, occasionnant des querelles parfois meurtrières entre exploitants agricoles et pastoraux.
A cela s’ajoute la démographie galopante qui se traduit par l’extension des terres cultivables. Les couloirs de transhumance qui étaient respectés ont été touchés par des champs, suite à l’introduction de la culture attelée. Il s’en est suivi une obstruction des pistes d’accès aux pâturages et aux points d’eau. Des modes de règlement traditionnel de litige sont remis en cause, et la loi du 31 octobre 1959, portant réglementation du nomadisme sur le territoire national, connaît elle aussi des difficultés d’application à cause des rapports de force en présence.
Chaque camp essaie de courtiser les milieux politiques pour bénéficier de l’impunité. Deux exemples parmi tant d’autres expliquent clairement la situation. Dans le canton Béboni, au sud du pays, dans la nuit du 29 janvier 2002, trois éleveurs, armés de fusils de guerre, font irruption dans le village de M’Baïro pour exiger des villageois qu’ils payent des dommages et intérêts pour une vache tuée dans un champ. Sinongar Ngardoum, un paysan, qui demandait des explications, est abattu et 19 boeufs d’attelage enlevés par les éleveurs. De même, au canton Komé situé sur le site pétrolifère, le 2 février 2002, un affrontement a opposé les cultivateurs aux éleveurs, suite à la dévastation d’un champ de cultures vivrières et de coton. Les éleveurs avaient utilisé des armes à feu, blessant trois paysans. Du côté des éleveurs, on avait dénombré un mort et un boeuf tué. Informées, les autorités administratives avaient envoyé un corps expéditionnaire qui a procédé au ramassage pur et simple des boeufs d’attelage des paysans sans résoudre le différend.
Salariés et bouviers
Le deuxième point analysé est l’émergence d’un nouveau type d’éleveurs. Jadis, au Tchad, on en comptait deux: le nomade et le sédentaire. Ces deux catégories d’éleveurs sont respectueuses des règles administratives et traditionnelles. Leur présence près des champs ne soulève pas de problèmes de cohabitation avec les agriculteurs. Bien au contraire, il règne une sorte de pacte de solidarité entre les deux communautés. L’éleveur échange ses produits pastoraux contre les graines de mil de l’agriculteur. Ce dernier autorise l’éleveur à parquer ses animaux dans ses champs récoltés, pour leur fertilisation. L’éleveur reçoit une petite quantité de mil en récompense. Aujourd’hui, certains éleveurs deviennent des salariés pour le compte d’hommes proches des milieux politiques. Armés de fusils de guerre, ils narguent les villageois et font paître leur bétail dans les champs non encore récoltés. Cette troisième catégorie d’éleveurs qui travaille pour le compte des barons du régime et des autorités administratives et militaires, détruit ainsi toutes les règles élémentaires de cohabitation. Lorsqu’un conflit éclate, l’éleveur salarié est couvert et c’est l’agriculteur dont le champ est détruit qui se retrouve en prison.
Le troisième point soulevé est lié à la mobilité des animaux et à la nouvelle technique de gardiennage. Devant l’ampleur que prennent ces conflits, certains éleveurs arrivent à recruter des bouviers, la plupart des mineurs, au sein de la population agraire. L’éleveur cherche ainsi à créer des conflits entre les agriculteurs eux-mêmes. Lorsque les animaux détruisent tel ou tel champ, il dit à agriculteur que le bétail est conduit par son propre fils et non par un éleveur nomade. Cette stratégie permet aux éleveurs de ne pas payer les frais de réparation du champ endommagé et d’éviter de se faire blesser ou tuer par les agriculteurs. Mais ce n’est qu’une vue de l’esprit. Cette manière de faire augmente plutôt les querelles et rend quasi impossible la cohabitation pacifique entre les deux communautés.
Recherche de solutions
Que fait-on sur le terrain pour freiner cette situation? L’Association des chefs traditionnels du Tchad (ACTT), en collaboration avec des ONG nationales et internationales, ont entrepris depuis deux ans des réflexions sur la question. Après des séminaires de rencontres, d’échanges d’informations et de sensibilisation qui ont été organisés à cet effet, un comité de médiation, un cadre de concertation et de négociation, a été mis sur pied, mais il connaît des difficultés de fonctionnement à cause des interférences politico-administratives malgré la dénonciation faite par les Associations de défense des droits de l’homme.
Les chefs traditionnels souhaitent que cette affaire leur soit entièrement confiée afin qu’ils lui trouvent des solutions définitives. Ce souhait survient dans un contexte démocratique où face aux aspirations de la décentralisation, on se demande comment une telle responsabilité pourrait être confiée aux pouvoirs traditionnels et non aux élus locaux. Beaucoup émettent des réserves sur le souhait des chefs traditionnels. Ils demandent plutôt au gouvernement de publier dans les meilleurs délais une nouvelle loi sur la transhumance, parce que celle qui est en vigueur est obsolète face à l’évolution politique et socio-économique actuelle.
D’autres recommandations ambitionnent la création de puits pastoraux, et la récupération d’armes de guerre détenues par les éleveurs salariés, conformément au décret 293 du 13 mai 1993 relatif au désarmement des populations et la restauration de la chefferie traditionnelle. L’immixtion des autorités administratives et militaires dans la gestion coutumière, en violation des textes, a fait elle aussi l’objet d’une recommandation formulée par M. Malick Ali Mahamoud, secrétaire général de l’ACTT.
Le secrétaire d’État à l’Intérieur et à la Sécurité, M. Moctar Diffane, qui représente son ministre de tutelle aux assises, rassure les sultans et chefs de cantons, disant que «le gouvernement est disposé à leur apporter son appui indéfectible pour trouver des solutions satisfaisantes aux conflits intercommunautaires». Espérons que ces mots ne soient pas des voeux pieux. C’est l’autorité de l’État qui fait ici défaut à cause des pratiques de la corruption, de l’impunité et de la gestion partisane de la chose publique.
- Missé Nanando, Tchad, mai 2002 — © Reproduction autorisée en citant la source
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