ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 437 - 01/07/2002

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


 Cameroun
Plainte contre le président Biya


DOITS DE L’HOMME


Des opposants ont déposé en Belgique une plainte contre le président Biya, l’accusant de crimes de tortures et d’arrestations arbitraires. Jeu malsain?

Le 18 décembre 2001, des opposants rassemblés au sein du Collectif national contre l’impunité (CNI) ont déposé à Bruxelles en Belgique, une plainte contre le président de la République du Cameroun, Paul Biya, et onze personnalités du pays, pour crimes de tortures et arrestations arbitraires.

La plainte, déposée par M. Dominique Djeukam Tchameni en tant que président du CNI prévoit, entre autres, les chefs d’accusation suivants: crimes contre l’humanité, crimes de tortures, actes de barbarie et crimes d’arrestations arbitraires. Un extrait de la plainte précise: «La présente plainte vise les exactions, et notamment les exécutions extrajudiciaires qui se sont déroulées à Douala dans la province du Littoral, sous la responsabilité du service de sécurité appelé “Commandement opérationnel”. Elle concerne également les actes similaires commis dans la province de l’Extrême-Nord par un autre organe fonctionnant selon le même mode et appliquant la même répression violente et arbitraire: le Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie».

Me Henri-Georges Beauthier, l’avocat belge de la partie civile camerounaise, explique: «Les faits reprochés à M. Biya sont la création et la mise en place d’organes de répression arbitraire qui ont eu pour cible une partie importante de la population civile. Il lui est également reproché d’avoir, par ses ordres ou par manque de surveillance, encouragé ces organes à commettre des exactions qui se sont soldées par la mort de milliers de victimes civiles. Ces faits constituent bien un crime contre l’humanité, puisqu’il s’agit d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et qui se traduit par des actes tels que des meurtres, emprisonnements, tortures, viols…».

Désillusion

Alors que le CNI attendait la suite de l’affaire avec impatience, deux événements sont venus semer le doute quant à l’aboutissement de la plainte.

Premièrement, malgré l’étonnement et le malaise que cette plainte a suscités dans les milieux du pouvoir, le gouvernement camerounais n’en a fait aucun commentaire officiel, et n’a intenté aucune action publique de défense contre les accusations graves dont le président fait l’objet. Cependant, la réaction des autorités de Yaoundé a été discrète et efficace. Le 12 janvier 2002, à la surprise générale, le président du CNI Djeukam Tchameni est déposé à l’issue d’un conseil extraordinaire de l’association, et remplacé par M. Sani Alhadji. Il lui était reproché sa très grande personnalisation du mouvement. Son éviction a été suivie par la publication dans la presse privée nationale d’une correspondance secrète qu’il avait adressée au cabinet civil de la présidence de la République, demandant à rencontrer le président Biya pour discuter avec lui de l’éventualité du retrait de la plainte déposée en Belgique, afin d’éviter de traîner la souveraineté nationale dans la boue.

Deuxièmement, la Cour internationale de justice de La Haye a pris, le 14 février 2002, un arrêt limitant les possibilités de faire passer en jugement des dirigeants en fonction, même pour crimes contre l’humanité. Cette décision faisait suite à une requête de la République démocratique du Congo, dans le cadre d’un mandat d’arrêt international lancé en Belgique contre l’ex-ministre congolais des Affaires étrangères Yerodia Ndombasi. Déçu, Me Beauthier fait son analyse: «La vérité oblige à dire que, depuis l’arrêt de la Cour internationale de justice, il va y avoir des problèmes pour les plaintes déposées contre les dictateurs en exercice. Il faut considérer que cet arrêt est inacceptable et rétrograde. Nous allons trouver les arguments dans les procédures nationales et internationales pour contrer cet arrêt avec des méthodes raisonnables et équitables. L’une des possibilités pour nous, c’est de bien rappeler que l’immunité ne concerne que la fonction. Cela veut dire qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec cette fonction, et je crois qu’être président ne signifie pas qu’on peut tuer à grande échelle».

Chantage

Cette plainte contre le président Paul Biya a créé la division au sein de l’opinion camerounaise. Certains citoyens modérés estiment que le CNI est coupable d’une grossière erreur. En saisissant un tribunal étranger pour juger le président de la République, le CNI a fait preuve de mépris à l’égard du peuple camerounais et des institutions nationales. De l’autre côté, les opposants au régime criaient victoire. Pour eux, c’était l’aboutissement d’un long combat qui ne vise en réalité que la chute du pouvoir en place.

Une déclaration anodine du Dr Kaptue Tabwe, chef du secrétariat du CNI, a révélé quelques contradictions de cette association dite de défense des droits de l’homme: «Nous avons choisi cette méthode légaliste et pacifique, car elle constitue l’ultime chance d’éviter de plonger le pays dans la spirale de la guerre civile vers laquelle le président Biya et sa bande veulent nous entraîner en bloquant toute possibilité d’alternance par les urnes».

Loin de militer en faveur de la restauration d’un Etat de droit au Cameroun, l’alternance au pouvoir constitue donc la face cachée de la plainte déposée à Bruxelles. Le CNI a enfilé un masque humanitaire pour servir une cause politique dont les ficelles sont tirées dans l’ombre par des lobbies puissants qui mènent une guerre sans merci pour la conquête du pouvoir. Les Camerounais ont ainsi découvert la supercherie. En réalité, la plainte contre le président Biya n’était qu’un moyen de chantage, dont les membres du CNI espéraient tirer le maximum d’avantages en se faisant une place au soleil.

En examinant cette plainte avec plus de lucidité, en faisant des rapprochements avec les événements récents survenus au Cameroun, on peut aisément comprendre le jeu malsain de ces associations qui prétendent défendre les droits de l’homme. Il s’agit en effet de groupuscules qui, par leur activisme, abusent les organismes internationaux, récoltent des dons à travers le monde, et font croire à l’opinion internationale que le Cameroun est au bord du chaos. La communauté internationale doit être prudente à l’égard des informations en provenance du Cameroun. Si ce n’est pas un paradis, il n’est pas non plus cet enfer grossièrement présenté à la face du monde.

Toutefois, même si elle n’a aucune suite, cette plainte a tout de même le mérite d’amener les autorités camerounaises à faire leur examen de conscience et à réfléchir sur la nécessité de jeter les bases d’une société où les droits humains élémentaires des citoyens sont respectés. Elle met une fois de plus en évidence la barbarie de certains éléments des forces de l’ordre, ainsi que la difficulté et l’embarras qu’éprouvent les chefs militaires à sanctionner leurs hommes, afin de décourager ces violences gratuites qui ternissent tant l’image du Cameroun.

Diversion

Le CNI ne baisse pas les bras, et multiplie des déclarations de diversion pour se racheter auprès de l’opinion. Pour ses dirigeants, «ces violations systématiques et préméditées des droits de l’homme, ces pratiques inhumaines, ne se seraient pas répétées, si les auteurs de ces crimes avaient été convaincus qu’ils pourraient avoir à répondre de leurs actes devant une cour de justice. Ne pas traduire en justice et ne pas punir les auteurs de ces crimes, c’est en fait les encourager».

Que deviendra la plainte de Bruxelles? Le Conseil du CNI demande avec insistance à ses représentants de continuer à suivre sereinement le dossier. Mais personne n’y croit plus. Le CNI a trompé les Camerounais. Ses membres sont autant coupables et condamnables que ceux qu’ils accusent. Ils apparaissent comme des complices de ceux qui violent les droits de l’homme au Cameroun, car ils les aident à se dédouaner à travers des plaintes fictives. Ils ont ruiné les attentes d’une population qui a cru que quelque chose pouvait évoluer dans la gestion des droits de l’homme, afin que tous vivent dans un Etat à visage humain.

  • Sylvestre Ndoumou Ntonga, Cameroun, mai 2002 — © Reproduction autorisée en citant la source

SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2002 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement