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SIDA
Des campagnes actuellement menées visent à modifier les comportements masculins
Comme la plupart des pays africains, le Cameroun connaît une «société patriarcale», constate M. Bebey Ekindi, un dirigeant de la Confédération syndicale des travailleurs du Cameroun (CSTC). «Les hommes se croient libres d’avoir autant de femmes ou de petites amies qu’ils le souhaitent», contribuant ainsi pour beaucoup à la propagation du sida. Dans ces conditions, explique-t-il, la CSTC estime qu’il faut accorder une place importante aux hommes dans la lutte contre la maladie.
M. Alphonse Etonde, qui travaille dans une station de radio rurale, est du même avis. Il souligne le pouvoir démesuré qu’exercent les hommes sur les femmes dans la vie économique, politique et familiale: «L’homme a la supériorité financière, ainsi que l’appui de la tradition». Dans de nombreuses régions, indique-t-il, l’adultère est considéré comme un crime pour les femmes, tandis que les hommes ont le droit de s‘afficher en compagnie de multiples compagnes.
D’après Mme Colette Kenfack de Women Stand Up, une ONG opérant dans les deux provinces anglophones du pays, on peut modifier les comportements masculins en se basant sur certains aspects de la culture traditionnelle. Si dans la culture camerounaise les hommes exercent un pouvoir considérable sur les femmes, cette même norme sociale les oblige également de s’occuper de leur femme, de leurs enfants et d’autres membres de la famille. «Les vrais hommes protègent les femmes du sida»: tel était le slogan imprimé sur les tee-shirts des participants à un atelier organisé par cette ONG à Mbalmayo, près de Yaoundé, à l’intention des professionnels des médias. A Bafoussam, dans la province de l’Ouest, un autre groupe, du nom de Po’o Binam (littéralement, Les enfants du village), estime qu’on peut modifier les rôles et les comportements masculins, en dialoguant plus librement avec les femmes et en amenant les hommes à porter sur la situation un regard plus critique.
Fondé à l’origine par un groupe d’amis, Po’o Binam se compose maintenant de seize groupes d’hommes répartis sur le territoire camerounais. «Il est temps de relever le défi et de commencer à définir qui nous sommes, et à nous encourager les uns les autres à donner une image positive de la masculinité qui ne dépende pas de l’oppression ou du mauvais traitement des femmes», affirme M. Assongkeng Fosso.
Lorganisation ne se contente pas de mettre en question les préjugés sexistes; elle combat également le sida, en posant aux hommes la question suivante: «En quoi les hommes ont-ils contribué aux idées reçues qui conduisent les femmes à assumer les plus lourdes responsabilités face au VIH et au sida?».
Ces exemples d’actions positives cadrent tout à fait avec la campagne «Les hommes font la différence», du programme des Nations unies sur le sida (ONUSIDA) et d’autres organisations de lutte contre le sida. Leur objectif est de compléter les programmes de prévention destinés aux femmes et aux filles en faisant directement appel à la participation des hommes. D’après un rapport de l’ONUSIDA publié en mai 2000, «l’heure est venue de commencer à considérer les hommes non comme une source de problèmes, mais comme l’un des éléments de la solution».
L’usage des préservatifs
Comme les femmes ont peu de pouvoir de négociation en ce qui concerne les relations sexuelles, la CSTC adopte une approche très concrète, en essayant de convaincre ses nombreux adhérents masculins d’utiliser des préservatifs. La confédération ne prêche pas, explique M. Bebey Ekindi. Elle ne dit pas non plus à ses adhérents de «ne pas faire ceci ou cela». Elle cherche plutôt à les aider à comprendre les risques. «Tout ce qu’on peut faire, c’est aider un homme à parvenir à ses propres conclusions et à prendre ses propres décisions».
La CSTC regroupe des syndicats de tous les secteurs industriels du Cameroun, ainsi que des enseignants et autre personnel des établissements scolaires et universitaires et des employés des secteurs publics et parapublics. «La plupart de nos adhérents sont des hommes», observe M. Ekindi, en ajoutant que, par sa taille et sa composition, la CSTC est particulièrement bien placée pour faire passer le message anti-sida auprès du plus grand nombre.
Dans le cadre de cette campagne, la CSTC a organisé plusieurs réunions de dirigeants syndicaux, coordonnées par des membres s’occupant à plein temps de la campagne de lutte contre le sida. «La politique consiste à faire en sorte que les dirigeants syndicaux soient suffisamment éclairés et organisés et à les laisser mobiliser leurs propres adhérents», explique Bebey Ekindi. Par exemple, lors d’un rassemblement contre le sida, organisé le 12 décembre 2001 à Yaoundé, la CSTC a invité les dirigeants syndicaux à organiser des rassemblements similaires dans leurs localités respectives.
La confédération soulève cependant quelques problèmes rencontrés dans la promotion de l’utilisation des préservatifs. «Il y a une prise de conscience importante, explique M. Ekindi, mais pour un homme marié, il est très difficile d’accepter d’utiliser un préservatif avec sa femme, car les préservatifs sont presque associés aux prostituées». C’est l’une des idées reçues qu’il faut combattre, dit-il, si l’on veut obtenir des résultats.
D’après l’ONUSIDA, «dans de nombreuses cultures, concevoir un enfant est considéré comme une preuve de masculinité. Cette attitude proscrit quasiment tout usage des préservatifs, ce qui multiplie les risques de transmettre le virus au sein de la famille et éventuellement à la prochaine génération, par la transmission de la mère à l’enfant».
Les acteurs du changement
L’Association des parents responsables du Cameroun (APRC), qui étend son assise sur six des 10 provinces camerounaises, participe également à la campagne menée en direction des hommes. Elle recrute des agents communautaires chargés de parler aux hommes des régions rurales de sexualité, de santé et de planification familiale. Ces agents (p.ex. des tailleurs, des barbiers, des cordonniers ou des membres d’autres professions) reçoivent de l’APRC une formation en matière de sexualité et de santé, et transmettent ensuite leurs connaissances à d’autres hommes, dans l’exercice de leur métier.
«L’idée est la suivante: à mesure que des clients viennent les voir dans leur boutique, les agents les informent et leur vendent également des kits de santé», explique Guillaume Kamdem, responsable de la communication à l’APRC. Le programme part du principe que les agents recrutés «connaissent les hommes de leur communauté qui courent des risques et peuvent leur recommander de modifier leurs pratiques sexuelles et d’utiliser des préservatifs». L’APRC vend aux agents des contraceptifs et des préservatifs qui sont obtenus sans ordonnance. Les agents les revendent ensuite à leurs clients, en touchant une petite commission.
Cibler les chauffeurs routiers
L’APRC met actuellement au point une autre campagne s’adressant plus particulièrement aux chauffeurs routiers. «Ils sont responsables, en grande partie, de la propagation du sida», déclare M. Kamdem. L’ONUSIDA considère que les routiers qui parcourent de longues distances sont particulièrement exposés. En raison de leur métier, ils sont loin de chez eux, parfois durant des semaines, et changent souvent de région, en ayant des relations sexuelles avec différentes femmes au cours de leur trajet. Lancé en mars 2002, le programme de l’APRC vise à recruter et à former des chauffeurs routiers afin qu’ils informent leurs collègues de l’importance des préservatifs et d’autres aspects de la prévention du sida. Par la suite, des spectacles de théâtre communautaire seront organisés aux principaux relais routiers. Le programme vise ainsi à fournir également aux routiers des loisirs autres que la fréquentation des prostituées le long des grands axes routiers.
La participation des Eglises
A Bonadibong, un quartier de Douala, l’Eglise dite de l’Assemblée de Dieu organise le dimanche soir des programmes visant à informer ses 2.000 fidèles des dangers du sida. Elle invite des intervenants extérieurs, comme le Dr. Atangana Raphaël de l’hôpital central de Douala, qui a récemment expliqué aux paroissiens que les hommes transmettaient beaucoup plus souvent le VIH aux femmes que l’inverse. «Nous voulons sensibiliser les gens en invitant des experts à venir parler de cette maladie mortelle», explique le pasteur Nteppe Samuel. Si le programme éducatif s’adresse à tous les fidèles, ce sont les jeunes qui sont visés en priorité.
Toutes les personnes qui souhaitent se marier dans cette Eglise sont maintenant tenues de se soumettre à un test de dépistage du VIH, «pour qu’aucune partie innocente ne se retrouve sans le savoir dans une situation difficile», indique le pasteur Nteppe. Il sait que la campagne ne sera pas facile, mais estime qu’elle obtiendra des résultats «si nous pouvons prêcher davantage et mieux enseigner la finalité du mariage. Nous devrions arriver à expliquer aux hommes que cette finalité n’est pas seulement sexuelle». Il rappelle que d’après la Bible, les hommes doivent respecter leur femme et bien la traiter.
Nécessité d’un dialogue
Le Dr. Atangana mentionne le cas d’un couple dont le mari était séropositif et dont la femme, séronégative, tenait à avoir des relations sexuelles sans préservatif afin de concevoir un autre enfant. Face à des situations complexes, les acteurs de la campagne doivent s’efforcer de favoriser le dialogue sur la sexualité et les questions familiales, entre les hommes et les femmes et au sein de ces deux groupes. Ils souhaitent que les hommes, les femmes, les enfants et d’autres membres de la communauté discutent librement et franchement de questions qui étaient auparavant considérées comme étant du ressort exclusif des hommes. Pour ce dialogue, il faut faire preuve de diplomatie et renoncer à toute récrimination, disent-ils, puisque ni les hommes ni les femmes ne peuvent être tenus pour responsables de la propagation de la maladie.
Avec leurs enfants en particulier, les pères doivent, d’après Mme Njankouo Fatima de Women Stand Up, apprendre à écouter afin d’ouvrir le dialogue sur des questions relatives à la sexualité qui ont longtemps été considérées comme taboues. Ils doivent aussi savoir que «ordonner à leurs enfants de se taire n’est pas une solution».
Il faut également trouver des moyens d’aider les femmes à négocier avec leur partenaire pour avoir des relations sexuelles protégées, ajoute Mme Njankouo. Une meilleure éducation sera à cet égard décisive, car les femmes «ne savent souvent pas comment procéder». Avant tout, conclut-elle, il faut encourager les femmes à s’affirmer.