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Zimbabwe
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VIE SOCIALE
Les librairies sur les trottoirs, une caractéristique des villes zimbabwéennes, répondent à un véritable besoin
Quand Richard Wright écrivait son livre «Survivre, c’est comme la lutte d’un train en montagne», il aurait pu faire allusion aux libraires du Zimbabwe. Derrière leurs échoppes sur les trottoirs, on voit des figures maussades et hirsutes, au regard furieux ou affamé. Pour ces gens, leurs affaires sont une rude épreuve, mais comme cette histoire nous le montre, ils veulent à tout prix gagner la lutte contre la pauvreté.
Ces libraires tiennent leur commerce en plein air, parfois accompagnés d’une grande fanfare. Des autos klaxonnent et vrombissent au passage, les faisant rêver. Peut-être s’imaginent-ils qu’un jour ils possèderont eux aussi une si belle voiture. Malheureusement c’est prendre leurs rêves pour des réalités, et ils savent bien que cela ne se réalisera jamais.
Quand la saison du froid arrive, les choses se compliquent, et nos vendeurs se mettent à tousser et à cracher, tout en tenant leur commerce. Quant aux livres, ils subissent aussi les intempéries. Mais ceux-là, personne ne les plaint, car le rôle d’un livre c’est de faire gagner de l’argent.
Et puis il y a la pluie. Alors, les problèmes des livres se multiplient. Leurs propriétaires doivent les couvrir d’un blouson de plastique pour les protéger contre la pluie battante. Mais ils restent à terre, sur le trottoir... Qui sait, peut-être qu’un jour un client les achètera?...
Pourquoi ne pas y jeter un coup d’œil? Mais ne le faites pas la nuit, quand la cité est beaucoup plus calme, car alors les étals sont envahis par des clochards. Allez-y dans la journée, pendant les heures d’emplettes. Vous devrez probablement plisser les yeux pour lire les titres et le nom de l’auteur, qui ont la fâcheuse tendance à s’effacer.
Et puis une conversation s’engage entre le libraire et son client éventuel: «Quel livre cherches-tu, mon frère? Quelque chose sur la sociologie? Non, tu ne le trouveras pas ici. Essaye de l’autre côté de la rue».
La “super-librairie” de Mbare
Un de mes amis, rat de bibliothèque, me demandait l’autre jour: «Pourquoi tes amis, les libraires des trottoirs, ne sont-ils pas invités à la foire annuelle internationale du livre du Zimbabwe? Ils ont tout ce qui vaut la peine d’être acheté». De toute évidence, mon ami ignore que ces libraires des trottoirs ne seront jamais invités, parce que la foire y perdrait. Des livres pourraient disparaître des rayons sans laisser de traces, pour réapparaître un jour sur un trottoir de la ville, ayant changé de propriétaire et d’étiquette de prix...
Si vous ne trouvez pas ce que vous cherchez dans ces librairies des trottoirs à Harare, ne désespérez pas. Passez commande! Mais le prix sera plus élevé, surtout si vous voulez un livre à bon marché. Allez plutôt à Mbare (la plus importante station de bus du Zimbabwe), tout près du building de Machipisa. Là se trouve la «mère» de toutes les librairies des trottoirs. Si vous avez cherché partout au Zimbabwe un livre dont vous avez besoin et que vous ne l’avez pas trouvé, essayez donc à Mbare: vous l’y trouverez certainement. Bien sûr, non pas sur des rayons bien propres, mais plutôt par terre, sur un trottoir sale, mais vous le trouverez. L’étal de livres de Mbare ne manque jamais de clients.
L’escroquerie
Dans les librairies normales et dans les magasins, les vols sont très fréquents, et les gérants sont obligés de rembourser les livres qui ont disparu. Il est vrai que certains membres du personnel sont dans la combine: ils volent au travail, puis revendent les livres aux vendeurs des rues. Il y a toujours un pacte commercial entre un “frère” de la librairie normale, et un “frère” du libraire des trottoirs, pour un prix dérisoire: l’argent change de mains, et les livres aussi.
Mais l’escroquerie ne s’arrête pas là. Le bruit court qu’après avoir acheté un livre dans une librairie des trottoirs, votre achat pourrait fort bien disparaître de chez vous, après une ou deux semaines. Comment? Votre gentil vendeur surveille sa vente et vous garde à l’œil. Si possible, il essayera de vous localiser et de voler votre livre. Si le livre porte des marques dont vous vous souvenez, soyez patient; qui sait, un jour vous pourrez peut-être tomber dessus, mais dans une autre rue. Alors, sans faire attention, vous pourriez bien l’acheter une seconde fois.
Il n’y a pas de recours au Conseil des consommateurs du Zimbabwe, le protecteur des consommateurs du pays. En effet, les libraires installent leur étal, puis déménagent ailleurs, loin de là, sans avertir. Vous pouvez en appeler au tribunal, mais ce sera en pure perte, car ces librairies des trottoirs ne sont pas enregistrées.
Et que se passe-t-il si vous vous êtes trompé de livre? Si vous voulez le retourner à celui qui vous l’a vendu, cette même personne, qui était tout sourire lors de la vente, vous enverra promener disant qu’il ne vous a jamais vu!
Malgré tout, ces librairies des trottoirs rendent de réels services, en vendant à des prix dérisoires. Elles permettent au citoyen moins fortuné de lire quelque chose qui vaut la peine d’être lu ou du moins d’alimenter son esprit littéraire.