ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 442 - 15/10/2002

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Côte d’Ivoire
Des héritiers aux putschistes

 GUERRE CIVILE


500 morts? 1.000 ou 2.000 morts?
Le bilan des affrontements depuis le 19 septembre reste difficile.
L’important aujourd’hui est de connaître les causes profondes
de cette crise dans le pays d’Houphouët-Boigny,
naguère considéré comme une «oasis de paix» dans une Afrique déchirée

«Coup d’Etat» ou «putsch», «mutinerie» et «mutins», «insurrection» et «insurgés», «rebelles» et «rébellion», «zinzins» et «bahéfouès», «gbangban», «coups de feu», «couvre-feu», «état d’urgence»… Depuis 1999, le vocabulaire des Ivoiriens s’est enrichi de termes bizarres, de mots jusque-là inconnus d’un peuple habitué à la paix. Des mots qui expriment une réalité nouvelle, faite de violences avec leur suite de morts et de blessés. Est ainsi bien loin le credo du président Houphouët-Boigny affirmant que «le sang ne coulera jamais sur le sol ivoirien»! Aujourd’hui, le pays est inondé de sang dont les Ivoiriens, comme des «bahéfouès» (sorciers ou vampires), s’enivrent gaiement!

Comment ce peuple, qui avait fait de la paix sa «seconde religion» (un autre credo du président Houphouët-Boigny), en est-il arrivé là? Surtout en ce qui concerne la crise actuelle qui survient après le grand espoir suscité par le Forum de réconciliation nationale, tenu d’octobre à décembre 2001, suivi, le 5 août dernier, d’un gouvernement de large ouverture comprenant les principaux partis politiques, notamment le PDCI-RDA — Parti démocratique de Côte d’Ivoire, section ivoirienne du Rassemblement démocratique africain, créé en 1946 par le président Houphouët-Boigny, dirigé par l’ancien président de la République renversé par le coup d’Etat de 1999, M. Henri Konan Bédié —, et le RDR — Rassemblement des républicains, de l’ancien Premier ministre d’Houphouët-Boigny, M. Alassane Dramane Ouattara, ADO pour ses fidèles.

Sur le plan économique, l’espoir était né avec la normalisation des relations avec la communauté internationale, notamment les bailleurs de fonds: les institutions de Bretton Woods et l’Union européenne, qui ont toutes repris leur coopération financière avec la Côte d’Ivoire…

Les élections des conseils généraux, malgré les nombreuses contestations engendrées, se présentaient comme un autre motif d’espoir. Elles jetaient les bases d’une décentralisation considérée aujourd’hui comme la voie royale du développement national…

En gros, toutes les crises trouvent leur explication dans la succession mal assurée du charismatique Félix Houphouët-Boigny, père de l’indépendance, décédé en décembre 1999.

Cette succession était pourtant réglée par la Constitution, sur base du fameux article 11, qui faisait du président de l’Assemblée nationale le successeur du président de la République. Mais cela n’a pas empêché la «guerre de succession» entre les différents «héritiers», notamment entre M. Henri Konan Bédié, le «successeur constitutionnel», et le Premier ministre Alassane Dramane Ouattara.

Soutenu par certains dignitaires du PDCI-RDA qui ne portaient pas M. Bédié dans leur cœur, Alassane Ouattara a mené un combat souterrain, dont les manifestations les plus visibles ont été la création du RDR, né de la scission du PDCI-RDA; le «vrai faux» coup d’Etat manqué du général Robert Guéi, en 1995; et le «boycott actif» des élections de l995 qui avait fait plusieurs morts.

Les 3 tendances de l’“houphouétisme”

De son côté, le président Bédié a contre-attaqué en concoctant une loi électorale «nationaliste», qui barre la route de la présidence à l’ancien Premier ministre dont les parents seraient burkinabé. C’est la naissance du concept d’“ivoirité”, souvent mal expliqué et présenté comme fruit de la seule volonté de Bédié d’exclure un concurrent. Or, l’origine de ce mot est plus complexe, s’inscrivant dans une «guerre» entre des «héritiers» qui n’entendaient pas se faire de cadeaux!

Le coup d’Etat du 24 décembre 1999 était ainsi considéré comme le résultat de toutes ces querelles des héritiers d’Houphouët, faisant apparaître trois grandes tendances de l’«houphouétisme»:

Quant au général Guéi, qui se réclamait aussi de l’houphouétisme, il n’avait pas une position clairement définie, se présentant tantôt proche d’ADO contre Bédié, tantôt plus près de Bédié contre ADO, selon ses intérêts immédiats! Ainsi, après avoir manœuvré pour écarter ADO de l’élection présidentielle d’octobre 2000 pour «nationalité douteuse», il en était devenu, depuis son échec à cette présidentielle, son principal allié!

Les principaux accusés

Les nouvelles autorités ivoiriennes n’ont donc pas hésité à accuser Guéi et ADO, d’être les principaux instigateurs des violences actuelles: le premier a été «assassiné» par les forces loyalistes, et le second a vu son domicile pillé et incendié et son aide de camp assassiné… Mais la preuve de leur responsabilité dans cette nouvelle crise n’a pas été formellement établie.

Ce qui est sûr, c’est que, si le coup d’Etat de 1999 prend son origine dans les querelles entre les «héritiers» d’Houphouët, celui du 19 septembre trouve son explication dans le conflit des «bénéficiaires» de ce coup d’Etat de 1999, en l’occurrence Laurent Gbagbo et le général Guéi.

Pendant la transition militaro-civile, ils se seraient entendus pour «confisquer» le pouvoir, en éliminant tous les autres candidats potentiels — ceux du PDCI-RDA et du RDR notamment. L’objectif de ce «deal» étant surtout de faire en sorte que le pouvoir reste à l’ouest du pays, partagé entre le général Guéi, comme président de la République, et Laurent Gbagbo, comme Premier ministre.

La volte-face de ce dernier qui, à l’issue des élections, s’est proclamé président de la République, a été considérée par Guéi comme une trahison qui ne saurait être tolérée par un général! Sa mort le 19 septembre peut ainsi être interprétée comme un règlement de comptes entre les deux hommes dans lequel Gbagbo a tiré le premier!

Gbagbo, l’ennemi commun

Quant à Alassane Ouattara, s’il en voulait un moment au général Guéi pour l’avoir «injustement» éliminé à la présidentielle d’octobre 2000, il comptait s’appuyer sur ce militaire pour, dit-on, faire un coup d’Etat! Le président du RDR était convaincu d’avoir été éliminé par Laurent Gbagbo qui, briguant le pouvoir, aurait tout mis en œuvre pour en convaincre le général. Tout comme pour l’élimination des candidats du PDCI-RDA. On parlait ainsi, avant les événements du 19 septembre, des démarches pour «l’union des houphouétistes».

Seul Henri Konan Bédié, trop rancunier, et qui n’avait pas encore digéré le coup d’Etat de Guéi, hésitait encore. On comprend donc que celui-ci n’ait pas été inquiété par le pouvoir lors des événements.

En tout cas, pour le président du RDR — qui estime son parti sociologiquement majoritaire, surtout après sa victoire aux municipales — il ne faut pas laisser le FPI (Front populaire ivoirien) de Laurent Gbagbo, parti minoritaire, gouverner le pays.

Pour lui, il faut reprendre les élections, du moins les législatives desquelles le RDR a été exclu, pour obliger le président Gbagbo à démissionner ou à accepter la cohabitation. L’objectif étant ici d’«imposer» une révision de la Constitution, bien que celle-ci ait été votée à 86,56% par le peuple. Cette loi fondamentale, dans sa forme actuelle, est en effet défavorable à ADO, dont la nationalité demeure «douteuse»! Avec la participation du RDR au gouvernement d’ouverture, on était toutefois en droit de penser que la reprise des élections n’était plus de mise.

Et les militaires?...

Mais, plus encore que les leaders politiques, ceux qui fomentent les coups permanents sont les militaires, les «jeunes gens» qui ont renversé le président Bédié en 1999 et qui ont été roulés dans la farine par le général Guéi. On parle, entre autres, du sergent Ibrahim Diarrassouba dit «IB», de Zaga Zaga, etc., de tous ceux qui ont dû s’exiler pour échapper au général. Et aussi du sergent Boka Yapi, la terreur de la transition, un des plus fidèles du général Guéi, qui a dû également s’exiler pour échapper à la vindicte populaire, après la défaite de son patron à la présidentielle d’octobre 2000.

Bien sûr, il y a aussi d’autres jeunes soldats dangereux, comme ce Tuo Fozié qui vient de se signaler à l’occasion de la présente crise.

Ces jeunes soldats roulent le plus souvent pour ADO et n’ont qu’une idée dans la tête: refaire le coup d’Etat de 1999 pour remettre leur «idole» en selle. Pour eux, la «révolution ivoirienne» restera inachevée tant que tous les leaders politiques n’auront pas pris part aux présidentielles.

On peut donc dire que l’une des raisons fondamentales des coups d’Etat à répétition en Côte d’Ivoire vient des divisions au sein de l’armée et la politisation des soldats qui se laissent manipuler par des leaders politiques. Et tout le monde pointe le doigt sur le leader du RDR (ADO) qui, depuis son apparition sur la scène politique (1989), n’a fait que créer des problèmes.

Le concept d’ivoirité

Revenons, enfin, au concept d’“ivoirité”, l’un des facteurs essentiels des conflits, aussi bien entre les Ivoiriens (division entre le Nord et le Sud, division entre musulmans et chrétiens) qu’entre les Ivoiriens et les étrangers, notamment les Burkinabé, de loin les plus nombreux parmi les étrangers vivant en Côte d’Ivoire. On estime leur nombre à plus de 4 millions, ce qui remet en cause le recensement de 1998, qui parle de 2,5 millions de Burkinabé.

Créé en 1995 par le président Bédié, officiellement pour développer la «conscience nationale» des Ivoiriens, mais, selon certains, pour régler ses comptes avec son principal adversaire, Alassane Ouattara, le concept connaît une grande fortune: tous les hommes politiques, à l’exception d’Alassane Ouattara, s’en emparent souvent pour des raisons électorales. Le socialiste Laurent Gbagbo, lui, sans parler d’ivoirité, prêche pour un «patriotisme», un «nationalisme» et une «identité ivoirienne». Ce qui revient au même!

De fait, le fort taux d’immigration (26% de la population!) a créé chez les Ivoiriens le sentiment d’être «envahis», sentiment accentué aujourd’hui par la crise économique, les étrangers devenant des boucs émissaires. Comme partout ailleurs dans le monde. Tout politicien désireux de soigner son électorat se sent donc obligé de tenir compte de cette donnée nationaliste.

Le Burkina Faso

Ce qui est certain, c’est que la plupart des Burkinabé travaillent dans les plantations ivoiriennes en tant que manœuvres ou propriétaires. La loi sur le foncier rural votée en 1998 a ainsi été ressentie à Ouagadougou comme un moyen d’exproprier ses ressortissants.

De plus, les conflits de terre réguliers entre les Burkinabé et les Ivoiriens sont interprétés par les autorités burkinabé comme une politique mise en place délibérément par les gouvernements ivoiriens pour expulser les paysans burkinabé.

Enfin, des rumeurs ont souvent fait état de ce que le Burkina Faso, qui accueille de nombreux opposants ivoiriens, prêtait à ceux-ci des camps d’entraînement en vue de déstabiliser la Côte d’Ivoire. Non pas pour «vassaliser» le pays d’Houphouët-Boigny, mais pour voir à sa tête un homme bienveillant à l’égard de ses ressortissants. Comme Alassane Ouattara!

Faut-il en conclure donc que le Burkina Faso participe à «l’agression» actuelle contre la Côte d’Ivoire? Les autorités ivoiriennes en semblent convaincues, fondant leur conviction sur les armes utilisées par les assaillants: armes d’assaut FN et M16AZ, mitrailleuses AMELI et RAW, mortiers Thomson-Brandt LT et anti-char, missiles sol-air avec Mistral et Stinger, et d’autres armes comme l’Olin américain et l’Enfield britannique… C’est-à-dire, des armes qui ne se trouvent pas dans l’armée ivoirienne.

De plus, les assaillants seraient venus du nord, c’est-à-dire le Mali ou le Burkina, avec une forte présomption sur ce dernier pays pour les raisons évoquées plus haut.

Mais «le pays des hommes intègres» nie toute implication. Seule peut-être une enquête internationale pourrait nous éclairer. Or, la première réunion sur la Côte d’Ivoire des chefs d’Etat de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) n’a pas reconnu la notion d’«agression extérieure», mais celle de «rébellion», donc d’une «affaire ivoiro-ivoirienne» qui implique un «règlement intérieur» par le dialogue. La CEDEAO propose au plus sa médiation et une force d’interposition entre les belligérants.


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