ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 442 - 15/10/2002

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Cameroun
Le cannabis gagne du terrain


DROGUE


La drogue envahit le Cameroun, de Yaoundé jusqu’aux montagnes de l’ouest et du nord-ouest en passant par les circuits de la capitale économique Douala

Le trafic de drogue apparaît de plus en plus comme une source d’enrichissement illicite. Beaucoup de trafiquants s’en sortent sans se faire prendre, mais parfois leur jour de malheur arrive.

Fin janvier 2002, le Camerounais Monkoué Lawrence est appréhendé à l’aéroport international de Roissy en France, avec 30 kilos de cannabis. Interpellé par la police, il brandit ses attributions d’honorable député à l’Assemblée nationale du Cameroun et d’avocat au barreau. Immunité parlementaire oblige, le député trafiquant de cannabis est relaxé par la police française. Relayée par les médias internationaux et camerounais, cette nouvelle relance au sein de l’opinion nationale un débat sur le comportement des membres de l’Assemblée nationale dont les agissements sont loin d’être exempts de tout reproche.

Au nombre des surpris par cette nouvelle, figure le Social Democratic Front (SDF), principal parti politique de l’opposition, auquel appartient le député mis en cause. Son président de parti, Ni John Fru Ndi, n’en revient pas: “Je suis absolument confus. Je fais campagne contre ce fléau, et voilà qu’un député censé être le représentant du peuple, se compromet lui-même dans la drogue. C’est proprement scandaleux. Il a sali non seulement l’image de l’Assemblée nationale, mais aussi celle du corps des avocats et du Cameroun tout entier”.

Cela n’a pas empêché l’honorable Monkoué Lawrence de retrouver son siège au Parlement. Va pour le mutisme de ses pairs et de la justice camerounaise.

Cultures de cannabis

A l’intérieur du pays, depuis la chute des cours des cultures de rente traditionnelles comme le cacao, le café et le coton, nombre d’agriculteurs se sont lancé dans la culture du chanvre indien.

Des sources policières affirment que la petite ville de Kumbo, dans la province du Nord-Ouest, s’apparente de plus en plus à une plaque tournante du cannabis. On note la présence de curieux intermédiaires qui font le tour de l’arrière-pays. Il s’agit de missions de repérages, de prospections et de commandes de quantités importantes de chanvre indien. En livrant sur place, les villageois peuvent économiser les frais de transport et ne courent pas de risques de tomber dans les filets des forces de l’ordre.

Il arrive que celles-ci mettent la main sur des convois. Au mois de mars 2002, un coup de filet de la gendarmerie de Bafoussam a permis de saisis 500 kilos de cannabis dans les montagnes des Bamboutos, village du député trafiquant Monkoué Lawrence. Dans la même province de l’Ouest, Souop Bougoun, un sexagénaire du village Bouhan, est tombé dans un piège de la police. Sa plantation, un hectare de chanvre indien, a été détruite en 1998 par les forces de l’ordre. Il avait été dénoncé par un groupe d’autodéfense contre les cultures illicites. Le Bulletin du réseau d’échanges sur les drogues en Afrique centrale, qui rapporte cette histoire, ajoute que Bougoun a avoué être à la tête d’une équipe de six anciens cultivateurs de café reconvertis au chanvre indien. Les plantations de ses collaborateurs connurent le même sort.

Selon des agronomes, les terres du Cameroun, Afrique en miniature, conviennent fort bien à la culture du cannabis. C’est une plante dotée d’une grande capacité d’adaptation aux conditions climatiques et qui pousse aussi bien en zone équatoriale, en milieu sahélien, que sur les hauts plateaux à une altitude supérieure à 1000 mètres. De plus, le chanvre indien étant moins exigeant en eau que d’autres plantes, il croît même sur les sols pauvres.

Les observateurs situent le phénomène de la drogue dans le contexte économique des années 80. Une période marquée par la chute des prix du coton, de l’arachide, du cacao et du café. Entre-temps, la baisse du pouvoir d’achat des cultivateurs est suivie par la hausse des coûts des produits nécessaires à l’entretien des plantations. On relève également d’autres contraintes, comme la réduction des surfaces cultivables. Dans certaines régions on évoque la dégradation des sols imputée à la pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis.

Dans ce contexte, il s’avère difficile pour les agriculteurs de faire face à leurs charges familiales. D’où la recherche par certains d’alternatives aux cultures de rente désormais moins rentables. Ce qui fait dire à un spécialiste de l’Organisation géopolitique des drogues, que le cannabis apparaît à la fois comme une réponse à la nouvelle situation des exploitations paysannes et comme l’un des révélateurs de la crise économique et sociale qu’elles traversent.

Toxicomanie

Selon une étude effectuée par le chercheur Emmanuel Wansi, 60% des toxicomanes vivent dans les villes de seconde zone, contre 40% dans les capitales politique (Yaoundé) et économique (Douala). A Maroua, chef-lieu de la province de l’Extrême-Nord, les mêmes études montrent que des enfants de sept ans se droguent avec des solvants utilisés pour la réparation des pneus des motocyclettes.

Pour la plupart, la tendance à la toxicomanie s’acquiert dès le bas âge, révèle ce chercheur. Ainsi, près de 25% de jeunes âgés de 15 ans consomment de la drogue. Chez les adultes, près de 33% des femmes quadragénaires tentent l’expérience, contre à peine 15% des hommes du même âge. On note en outre des disparités socio-professionnelles parmi les consommateurs. Seulement 8% de personnes ayant reçu une éducation supérieure ont pris des drogues avant l’âge de 16 ans, contre 22% de ceux qui n’ont pas pu poursuivre leurs études. La consommation de la drogue est particulièrement accentuée dans les maisons d’arrêt.

L’abus des drogues au Cameroun, dont la plus répandue est le chanvre indien, ne dépend pas uniquement de leur disponibilité dans les microcircuits de distribution. Plusieurs consommateurs disent avoir débuté sous l’influence d’amis. Le chômage, la crise économique et les rigueurs de la vie qu’elle a entraînées y sont pour beaucoup. 80% de drogués sont aussi de grands consommateurs d’alcool.

De nombreuses idées reçues sont là pour convaincre certaines personnes à consommer de la drogue. Pourvoyeuse de sensations fortes, la drogue est réputée avoir des vertus aphrodisiaques. Les uns pensent qu’elle décuple leur potentiel sexuel. Les autres, notamment les femmes, estiment qu’elles leur procure plus de charme et de pouvoir. C’est aussi parmi les toxicomanes que se recrutent le plus grand nombre de violeurs et autres malfrats de nuit.

Pour le sociologue Valentin Nga Ndongo, la drogue ferait partie des techniques que l’homme a toujours utilisées pour s’évader. “Il se réfugie dans la drogue qui lui permet d’agir... Les drogués sont des gens comme vous et moi”. Et il poursuit; “La drogue au Cameroun est un problème aussi grave que le sida. Sinon plus. On voit les méfaits de la drogue non seulement sur le physique des hommes, mais aussi sur la sécurité dans les villes et bientôt même dans les campagnes”.

Face à la montée du phénomène de la drogue, le gouvernement camerounais a pris un certain nombre d’initiatives.

Ainsi, un “Comité national de lutte contre la drogue” a vu le jour par décret du Premier ministre en 1992. Il se veut une structure de coordination et d’examen de tous les problèmes relatifs à l’usage illicite de stupéfiants et à l’abus des drogues. Ce comité doit participer à la lutte contre toute forme de consommation abusive et illicite de substances toxiques, naturelles ou synthétiques ayant en commun d’être des substances psychotropes.

Mais pour l’instant, il a de la peine à fonctionner normalement, faute de moyens. Il lui manque par exemple des statistiques fiables: “Nous ne pouvons pas mettre à la disposition du public des chiffres exacts, mais on se rend compte que la consommation de la drogue est en nette augmentation”, explique le Dr Flore Ndembiyembe, secrétaire permanent du comité. Celui-ci ne parvient pas encore à “collaborer comme prévu avec les autorités médicales et les ministères des Affaires sociales en vue de l’insertion des toxicomanes. Il en est de même avec les autorités judiciaires et officiers de police”.


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