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Congo (RDC) |
EDUCATION
Les parents appauvris n’arrivent plus à payer les frais scolaires
«Babengani ngai na classe po na minerval» (je suis renvoyé de l’école pour n’avoir pas payé les frais d’inscription). C’est le cri de révolte d’un enfant de cinq ans, abandonné sur la route, tout en larmes et traitant son maître de méchant, de fils du diable, déçu de ne pouvoir pas réaliser son premier rêve, le rêve de tout gosse de fréquenter une école. C’est un refrain qui est devenu quotidien chez des enfants scolarisés de Kinshasa et de l’intérieur de la République démocratique du Congo. Le minerval, la contribution des parents, aussi appelé «frais de motivation des enseignants», pèse lourd sur la bourse des parents d’élèves dont la plupart sont mal payés ou simplement impayés.
L’annonce faite le 24 juillet par le ministre de l’Education nationale, Pr Kutumisa Kyota, de reconduire pour l’année scolaire 2002-2003 les “frais de motivation des enseignants”, a provoqué un tollé général auprès des responsables d’écoles et des parents. Ils ont exigé que le gouvernement reprenne ses responsabilités en décrétant la suppression de ces frais, qui permettent de donner des primes aux enseignants sous-payés pour les motiver. Après des concertations serrées entre ces différents partenaires de l’éducation (société civile, associations de parents et syndicats d’enseignants), un compromis a été trouvé, qui a permis la reprise des cours, le lundi 9 septembre 2002.
Les parties ont résolu de conclure un protocole d’accord devant identifier clairement la charge du gouvernement et la contribution des parents dans les frais scolaires de l’exercice 2002-2003. L’objectif était la suppression pure et simple des frais de motivation des enseignants payés par les parents.
En fait, un apport financier des parents a été maintenu pour cette année scolaire, mais il ne concernerait que les frais jugés utiles et nécessaires pour permettre le fonctionnement au quotidien de l’école. Sont reconnus: le minerval, les frais de fonctionnement et de motivation des enseignants, l’assurance scolaire, les frais de participation aux examens d’Etat et au test de fin d’études primaires.
Mais le gouvernement promet d’amorcer, dès l’année scolaire prochaine, le processus de gratuité des études au niveau primaire et d’allégement des charges des parents au cycle secondaire. Les autres frais tels que les frais d’inscription, de suivi, de réhabilitation des infrastructures, d’achat d’uniformes et de location des manuels scolaires, ainsi que les travaux manuels, sont supprimés.
Pour la ville de Kinshasa, les frais de fonctionnement pour le premier trimestre de cette année scolaire viennent d’être fixés par le gouverneur de la ville, Dr Nku Imbie, à raison de 550 francs congolais (2 euros) pour l’enseignement maternel et primaire, 700 Fc (2,5 euros) pour l’enseignement secondaire et professionnel et 850 Fc (3,2 euros) pour l’enseignement commercial, social et d’éducation physique.
Quant aux frais de motivation, «le taux ne peut pas dépasser le quintuple des frais de fonctionnement», note le gouverneur. Autrement dit, pour ces deux rubriques, les parents doivent débourser les chiffres indiqués multipliés par 6, soit l’équivalent de 15 à 20 euros pour chaque enfant. A cela, il faudra ajouter le minerval qui est fixé à 500 Fc pour l’école primaire et 800 pour le secondaire pour le premier trimestre, et l’assurance à 100 Fc pour tous les élèves.
Etudier est devenu une chance
Ces frais scolaires sont sans aucune mesure avec les salaires des parents. Vu l’extrême pauvreté de la population, il serait difficile, avec les frais ainsi sollicités, que l’on puisse freiner tant soit peu la montée de la déperdition scolaire.
Durant l’année scolaire, on retrouve les enfants à l’extérieur des écoles, traînant les pieds pour ne pas rentrer directement à la maison où ils ne savent pas comment occuper leur temps. L’école, censée les encadrer et les former pour leur avenir, refuse de les recevoir pour non-paiement des frais scolaires.Cette situation s’aggrave à la fin de l’année scolaire, où l’on voit les salles des cours se vider de la moitié de leur population. Par la reconduction des frais de motivation des enseignants pour l’année en cours, les parents d’élèves ont compris que leurs enfants risquent encore de ne pas pouvoir étudier.
«Etudier aujourd’hui est devenu une chance exceptionnelle», dit Misenga Nkishi Sarah, élève de 5e à l’Institut pédagogique Mokengeli à Kinshasa/Lemba. Le promoteur d’une école privée dans la commune de Mont-Ngafula, M. Maurice Diatezwa, évoque, pour sa part, les difficultés énormes de fonctionnement que connaît son école à cause de l’amenuisement sensible des recettes. «Ces dernières années, les enfants paient difficilement leurs frais scolaires, d’où nos difficultés à rémunérer les enseignants et à faire fonctionner l’école», dit ce responsable, qui poursuit: «Beaucoup d’élèves nous doivent encore des frais scolaires de l’année dernière de sorte que l’on n’a pas pu faire la délibération pour bon nombre d’entre eux».
Recul constant
La déperdition scolaire est effectivement devenue une réalité au pays depuis 1993, reconnaît-on au ministère de l’Education nationale, où l’on se dit préoccupé par cette situation. A l’époque, suite à l’accumulation des arriérés de salaires des enseignants, les responsables d’écoles et les enseignants, de commun accord avec les parents, avaient mis en place des stratégies pour la prise en charge du paiement des enseignants par les parents, pour suppléer à la carence de l’Etat.
Les écoles du réseau catholique n’avaient pas souscrit à cette démarche qui consistait à ce que l’Etat laisse la charge des écoles, même publiques, aux parents. Ce refus a coûté une année scolaire aux élèves de ces écoles dont les activités n’ont repris qu’à la rentrée scolaire 1993-1994 sous le régime de «contribution des parents».
L’instauration et la généralisation de la contribution des parents dans le fonctionnement des écoles ont entamé la scolarité, qui avait atteint dans le pays un taux proche de 90%, un chiffre record au niveau de l’Afrique. Actuellement, selon les statistiques fournies par les officiels congolais, 43% d’enfants ne vont pas à l’école.
Le vice-ministre en charge de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel, M. Mandango Madragule, qui faisait le point de la situation à la veille de la rentrée scolaire 2002-2003, a relevé que le taux de déperdition est le plus élevé dans la province du Kasaï occidental (où 80% des enfants ont abandonné), suivi de la province du Bandundu. L’association des parents parle de près de 60% d’enfants pour l’année scolaire 2001-2002.
Plusieurs raisons expliquent cette progression du taux de déperdition scolaire: l’appauvrissement des parents d’élèves qui n’arrivent plus à faire face aux frais scolaires; la baisse dans le budget national de l’enveloppe allouée à l’enseignement national, passée de 20% sous le régime du président Kasavubu à 1,9% à ce jour; la situation de guerre qui a provoqué la cessation de l’enseignement dans beaucoup de régions du pays; le niveau de vie non enviable de bon nombre de ceux qui ont terminé les études secondaires et universitaires.
Face à cette situation, le secrétaire permanent de l’Unesco a déclaré que «le système éducatif congolais est qualitativement et quantitativement inacceptable à cause d’un partenariat mal compris depuis les années 1992-1993». Le représentant de l’Unicef, lui, soutient que «l’Etat congolais, les parents d’élèves et les étudiants devraient comme dans tous les pays modernes, se partager clairement des responsabilités dans le financement du système éducatif».