ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 445 - 01/12/2002

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Cameroun
L’économie otage du manque d’électricité


ECONOMIE

Le Cameroun souffre d’un grand déficit d’électricité depuis une décennie.
Son potentiel hydro-électrique est pourtant impressionnant.
La population est désabusée et résignée...

Avril 2002. Au palais présidentiel de Yaoundé, l’équipe nationale de football du Cameroun est reçue par le chef de l’Etat, Paul Biya. Pour la deuxième fois consécutive, elle vient de remporter au Mali la 23e Coupe d’Afrique des nations (CAN). Le président prononce un discours... et soudain la sonorisation ne répond plus. Brusque interruption de lumière. Cette histoire rapportée par l’AFP, loin d’être une anecdote, traduit l’acuité de la crise d’énergie au Cameroun. D’abord circonscrite aux zones rurales, cette crise n’épargne même plus les endroits névralgiques de la République

Les chiffres sont éloquents. Avec un potentiel de 7 milliards de kW/h, le Cameroun en produit à peine 2,8 milliards, soit 40% de la puissance installée, selon une étude du Comité d’étude et de prospective industrielle (CEPI) du ministère du Développement industriel et commercial, datée de décembre 2001. La situation risque même d’empirer, si l’on tient compte de la hausse constante des besoins dans le pays (environ 3% par an), tandis que l’offre ne suit pas.

Pourtant, le potentiel hydro-électrique du pays talonne de près celui de la République démocratique du Congo, de loin le plus important du continent. De quoi assurer son autosuffisance, voire même exporter vers ses voisins. Aujourd’hui, à peine 40% de citadins ont accès à l’électricité, et seuls 2.000 villages sur les 30.000 que compte le pays sont électrifiés. Au total, près de 11% des Camerounais ont accès à l’électricité.

Mauvaise gestion

De l’avis des experts, cette crise est imputable à la mauvaise gestion des dirigeants de la défunte SONEL, l’ancienne société d’Etat de gestion de l’électricité, privatisée depuis l’année dernière. La gestion de cette entreprise est considérée comme une illustration patente de la mauvaise gouvernance. Selon l’ingénieur Babissakana, «pendant longtemps, la SONEL n’a pas fait l’objet d’évaluation et de contrôle. Le conseil d’administration n’était consacré qu’aux formalités et à la distribution des jetons de rente. Un contrôle interne était quasiment inexistant, un contrôle supérieur de l’Etat non effectif. Le contrôle externe de la Cour des comptes n’a jamais vu le jour». Qui plus est, poursuit Babissakana, la SONEL était devenue une espèce d’agence de l’emploi, recrutant sans tenir compte des exigences de rentabilité économique.

Le nouvel acquéreur, la multinationale américaine AES SIROCCO, qui détient (depuis décembre 2001) 56% des actions, envisage de licencier 2.000 des 3.800 employés de la société. Résultat, «pendant longtemps, l’absence de veille technologique, la désuétude des équipements, les négligences et défaillances techniques, ainsi que la fraude, ont gravement compromis les performances de l’entreprise». Et la crise d’électricité s’est installée.

La sous-tarification de l’électricité destinée à ALUCAM (filiale locale de la multinationale d’aluminium Péchiney) a sans doute contribué àfragiliser considérablement le potentiel financier de la SONEL. Depuis une quarantaine d’années, ALUCAM paye le kW/h à 5 fcfa, contre les 50 fcfa payés pour les couches les plus pauvres de la population. Soit dix fois moins cher. En 1999, ALUCAM a consommé environ 1.357.272.000 kW. Soit un manque à gagner pour la SONEL de plus de 61 milliards de fcfa.

Pour fournir l’énergie au plus grand nombre, AES est obligée de procéder à des délestages (de quelques heures à deux jours) pendant la saison sèche (de janvier à mai, selon les cas), période pendant laquelle les cours d’eau sont assez bas et trop faibles pour produire suffisamment d’électricité.

Le lourd tribut de l’économie

L’économie du pays paye un lourd tribut à cette crise énergétique. Selon André Siaka, président du patronat, «le déficit de l’offre d’énergie entraîne la perte d’au moins un point de taux de croissance sur base annuelle». Dans une déclaration au quotidien gouvernemmental Cameroun Tribune, André Fotso, un chef d’entreprise, se veut plus pessimiste: «Je puis vous dire que sur les cinq dernières années, les pertes causées par les coupures intempestives d’énergie sont énormes. Cela affecte fortement notre bilan(...) Ce sont 10 à 15% que nous perdons».

Des tentatives d’investissement sont malheureusement refrénées au moment même où le pays a un besoin criant de relance, constate le rapport de la CEPI.

Pour se mettre au niveau des normes internationales en portant sa production d’aluminium de 85.000 tonnes à 220.000 tonnes par an (standard international dans ce secteur), ALUCAM aura besoin de 3,3 milliards de kWh, soit plus que la production nationale. La CIMENCAM pour sa part envisage de porter sa production de ciment à un million de tonnes par an, grâce à un supplément d’énergie de 0,6 mW. Une demande qui ne peut être satisfaite pour le moment.

La compétitivité du Chantier naval du Cameroun risque d’être compromise, au cas où sa demande supplémentaire de 20 mW pour son chantier de Limbe ne serait pas exaucée, comme cela semble se dessiner. Las d’attendre un supplément d’énergie (4 mW) commandé à la défunte SONEL, l’unique raffinerie de pétrole du pays (SONARA) s’est finalement résolue à produire elle-même son électricité, alourdissant ainsi sa structure de production.

Sur le plan social, les coupures intempestives d’électricité ont causé des drames, notamment dans des hôpitaux, à en croire la presse locale. A Douala, des prématurés sont morts dans des couveuses. D’autre part, la criminalité urbaine s’est accrue à la faveur des ténèbres...

Diversifier l’offre

Comme solution d’urgence, AES a entrepris de rationner la lumière à huit heures en moyenne dans les divers quartiers des villes camerounaises. Au grand dam de la population qui a de la peine à contenir son mécontentement. De plus, en janvier dernier, les prix de l’électricité ont été revus à la hausse pour, parmi d’autres raisons officielles, pénaliser les gaspilleurs d’énergie. Au-delà de 110 kW, les consommateurs payent désormais 64 fcfa au lieu de 58,15 fcfa précédemment.

Les spécialistes estiment plutôt que la solution réside dans un investissement lourd, par la construction de barrages hydro-électriques, comme le prévoyait du reste le sixième plan quinquenal de développement. En attendant, AES a installé des centrales thermiques dans les villes de Douala, Bafoussam et Yaoundé. Par ailleurs, on pourrait utiliser le gaz naturel dans la production de l’électricité. Une usine est en construction à Limbe (sud-ouest) à cet effet.

Le Cameroun pourrait utilement diversifier son offre d’énergie et limiter ainsi sa dépendance par rapport à l’électricité. La Côte d’Ivoire a expérimenté cette solution avec succès. L’exploitation d’autres sources d’énergie, comme le solaire et l’éolienne, sont à explorer, suggère l’écologiste Belmond Tchoumba.

En attendant, la population, manifestement résignée, s’attend encore à des pénibles délestages électriques dès le début de l’année prochaine.


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