ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 445 - 01/12/2002

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Ouganda
Démocratie en danger


DEMOCRATIE

Il faut absolument des réformes dans le système électoral actuel.
Mais lesquelles?

Les récents événements pendant les dernières élections en Ouganda ont rendu le public très méfiant à l’égard du gouvernement et de sa capacité d’organiser des élections pacifiques, libres et honnêtes. La population craint que la violence électorale, qui a atteint des niveaux sans précédent, menace le processus fragile de la démocratisation, jusqu’ici applaudi tant dans le pays qu’à l’extérieur.

En mars 2002, le Parlement a créé un comité de 15 membres pour enquêter sur les accusations de violence et de mauvaise gestion durant les élections. Ce comité a pu constater la mort de 17 personnes, dans le cycle électoral de 2001-2002. Ce qui constitue une grave menace pour la démocratie. Lors des présidentielles de mars 2001, la police a reçu le signalement de 742 cas de violence électorale et arrêté 408 personnes. Lors des législatives de juin 2001, on avait signalé 474 cas de violence, et 205 personnes avaient été arrêtées. Mais très peu d’entre elles ont été poursuivies en justice.

Dans le rapport établi par les 15 parlemententaires, les candidats et leurs agents de campagne, les agents de l’Etat responsables de l’organisation des élections, occupent les premières places de la liste des coupables de violences électorales: les candidats viennent en premier lieu (22% des cas rapportés), suivis par l’armée avec 10%. Certains cas de violence ont été inspirés par le gouvernement à travers son appareil de sécurité, y compris les Forces populaires de défense de l’Ouganda (UPDF), l’Unité de protection présidentielle (PPU), l’Organisation de la sécurité interne (ISO), le Plan d’action Kalagala (KAP) et les Unités de défense locale (LDU). C’était le cas surtout dans l’ouest du pays.

Les causes

Cette violence a de nombreuses causes:

  • Un manque général de culture démocratique, tolérant des opinions divergentes, parmi les politiciens en particulier, et les Ougandais en général. Cette intolérance va s’intensifiant dans le feu de la campagne au fur et à mesure que les élections approchent.
  • La corruption, le sectarisme, la méfiance et l’ignorance sont d’autres causes des violences pendant les élections.

Si dans le passé, dit le comité d’enquête, la violence se limitait à quelques affrontements spontanés, avec coups et destructions de biens, actuellement c’est devenu une question de vie ou de mort. «La violence s’avère bien planifiée en épisodes organisés, causant des morts, des blessures graves et la destruction massive de biens», indique le rapport de 355 pages publié en septembre dernier.

Le groupe d’ONG de surveillance des élections (NEMGROUP-U ) avait déjà signalé, lors d’une série d’élections pour les conseils locaux entre janvier et février 2002, que si certains cas d’intimidation et de violence étaient spontanés, d’autres ne l’étaient pas. «Certaines tendances peuvent être identifiées. Elles montrent que certaines intimidations et violences sont orchestrées et que les instigateurs pourraient les arrêter. De plus, puisque ces incidents sont si bien orchestrés, les autorités pourraient trouver et arrêter ceux qui les organisent», dit le groupe.

Violences et intimidations constatées

Le NEMGROUP-U est un consortium de six ONG locales qui ont fait régulièrement rapport sur les élections de 2000-2002 en Ouganda. Il a surveillé et constaté plusieurs cas de violence et d’intimidation: perturbations des meetings par des jeunes et des partisans des candidats, émeutes, meurtres et tentatives de meurtre, enlèvements, blessures, dégâts matériels, menaces et insultes proférées par les politiciens ou les candidats, intimidation par des soldats en armes ou par la police, destruction de registres des électeurs et attaques contre des responsables des élections.

«La violence et l’intimidation empêchent les citoyens d’assister aux meetings, de faire connaître leurs opinions, d’aller écouter les candidats, d’aller voter, et faire tant de petites choses qui accompagnent normalement les campagnes électorales démocratiques. Même les candidats peuvent être intimidés. Ils peuvent être tellement effrayés par les violences ou les menaces, qu’ils renoncent à parler en public ou à continuer leur campagne. Parfois même, ils se retirent de la politique. Quand cela se produit, c’est la démocratie qui est ébranlée», note le NEMGROUP-U.

Parcourant le pays, le comité d’enquête a pu constater beaucoup d’appréhension, de frustration, de désespoir et de colère à cause des violences, des trucages et d’autres fraudes électorales. Selon son rapport, «les gens ont de plus en plus l’impression que leur vote ne changera rien dans la direction du pays. Cette tendance est très dangereuse, parce qu’elle incite certains à recourir à des moyens non démocratiques pour changer cette direction.»

Certaines personnes pensent même que, puisque les élections ne reflètent pas la volonté des citoyens, elles devraient être simplement supprimées «pour épargner aux Ougandais les souffrances causées par la violence pendant les élections».

La Commission électorale

La Commission électorale (CE), l’organisation mandatée par la Constitution pour organiser, superviser et conduire les élections dans le pays, a été critiquée pour son incompétence, sa partialité, sa malhonnêteté et son manque d’indépendance. On a reproché à son président, Aziz Kasujja, un manque de direction «claire, sûre et impartiale». Par manque d’effectifs, le personnel est débordé; 525 membres du cadre supérieur, dont le secrétaire Sam Rwakoojo, n’étaient pas qualifiés pour le poste. Certains auraient même été recrutés frauduleusement.

En août dernier, avant même la publication du rapport, mais suite à une recommandation de l’inspecteur général du gouvernement (IGG), le président Yoweri Museveni avait viré Kasujja et cinq de ses commissaires. Leurs remplaçants n’ont pas encore été nommés. Seule une des commissaires, Margaret Magoba, est restée en place et fait maintenant fonction de présidente.

Le comité, l’IGG et l’auditeur général à la Cour des comptes ont aussi découvert que la CE a fait perdre au gouvernement plus de 1,1 million de dollars. Selon Margaret Magoba, des mesures correctives ont toutefois été prises maintenant.

Manquements dans l’organisation

Un des manquements de la CE est la manière dont elle a organisé les élections. Le NEMGROUP-U a fait une critique cinglante des élections des LCIII (gouvernements locaux des districts), en janvier 2002. Il affirme que le processus n’a pas permis à tous les électeurs d’exercer leurs droits constitutionnels.

Il a surtout dénoncé certains problèmes clefs signalés à plusieurs reprises aux institutions chargées de ces élections, sans que rien ne change. Les principaux indices de l’échec des élections LCIII sont les suivants:

  • Les élections LCIII avaient été fixées au 4 janvier mais, dans la plupart des districts, elles n’ont pas eu lieu ce jour-là parce que le matériel n’était pas arrivé dans les 48 heures statutaires, avant l’ouverture des bureaux de vote. Par conséquent, dans certains districts, les élections ont eu lieu le 5 janvier et dans d’autres le 6.
  • Contrairement aux recommandations faites par le NEMGROUP-U de renoncer au Système d’enregistrement photographique des identités des électeurs (PVRIS) jusqu’après le scrutin, la CE a maintenu ce système. Elle a supprimé l’ancienne liste des électeurs et essayé d’en reconstituer une nouvelle, alors qu’elle n’en avait ni la capacité ni la préparation logistique, vu le temps limité.
  • La CE n’a pas pu honorer les derniers changements faits à la loi électorale, ce qui a provoqué une paralysie administrative avec plusieurs conséquences: bulletins de vote incorrects; photographies floues des candidats sur les bulletins de vote; bulletins — qui venaient d’Afrique du Sud — arrivés en retard; matériel électoral arrivé dans les districts mal empaqueté et en retard; dans certains cas il n’a même pas été distribué.

Une démocratie sapée

Selon le NEMGROUP-U , la performance désastreuse de la CE dans l’organisation de ces élections sont symptomatiques des échecs constants des institutions clefs dans le processus électoral. Cela implique de flagrants manquements de la part d’autres institutions gouvernementales appelées à faciliter la tâche de la CE dans l’organisation des élections.

Le Parlement n’a pas passé à temps la loi électorale. Souvent des nouvelles lois électorales ou des amendements sont votés quelques semaines avant les élections; ce qui complique la tâche de la CE.

Se basant sur l’expérience des élections LCIII, le NEMGROUP-U note que le processus de démocratisation en Ouganda a été profondément sapé et que la confiance du public dans le système électoral s’est gravement érodée. Car ces nombreux manquements peuvent inciter les électeurs à se décourager et à perdre toute confiance dans la CE. Le gouvernement devrait assumer la responsabilité de toutes les fautes commises dans les élections «car, dans le processus électoral, le gouvernement contrôle toutes les agences et les institutions clefs supposées aider la CE à faire convenablement son travail».

Recommandations

En vue de réformer le processus électoral, le comité parlementaire a aussi proposé une large gamme de recommandations d’une portée considérable:

  • Les bureaux de vote réservés aux militaires devraient être abolis.
  • Le président devrait quitter sa fonction avant d’être déclaré candidat.
  • Le président, le gouvernement et les responsables du secrétariat du Mouvement (le système politique ougandais sans partis) ne devraient pas s’ingérer dans les élections. Le ministère des Services publics devrait aussi défendre à ses fonctionnaires de s’immiscer dans des politiques partisanes et, s’ils le font, ils devraient être punis. Les observateurs des élections ont remarqué l’ingérence de responsables gouvernementaux pendant les campagnes électorales, mais aussi dans les élections et le comptage des votes.
  • Le président et les autres responsables du Mouvement et du gouvernement devraient cesser de se servir de l’armée ou d’autres organismes de sécurité pour promouvoir des intérêts partisans. L’armée et les services de sécurité ne devraient pas s’identifier à quelque candidat que ce soit, ni soutenir ses activités.
  • L’armée et la police devraient veiller, surtout durant la période des élections, à ce que soient respectés les droits démocratiques de tout citoyen de voter librement.
  • Les élections présidentielles et législatives devraient être programmées le même jour, par souci financier. Le comité recommande qu’aussi longtemps que le système du Mouvement sans partis politiques reste en vigueur, le système d’élections basées sur le mérite personnel soit à l’abri de tout sectarisme et favoritisme.
  • Et, ce qui est capital, tout trucage des élections devrait être éradiqué. Cela a été fait surtout par des électeurs peu scrupuleux et des partisans du gouvernement, qui remplissaient des bulletins de vote à l’avance et s’ingéraient dans le compte et le pointage des résultats. On a même vu des responsables des élections forcer les électeurs à cocher leur bulletin de vote devant eux et mettre dans les urnes des bulletins remplis d’avance. Ils ont aussi autorisé certaines personnes, même des mineurs, à voter plusieurs fois. Et ils ont modifié les résultats des élections.

Derniers événements

Début novembre 2002, le président Museveni a nommé à la Commission électorale une nouvelle équipe de sept commissaires, présidée par le prof. Badru Kiggundu. Le Comité parlementaire qui devait approuver ces nominations, a toutefois rejeté un de ces commissaires proposés, Aisha Lubega, parce que son mari est le président de la Commission du service d’éducation. Son cas reste en suspens. Les nouveaux commissaires sont nommés pour sept ans et leur nomination est renouvelable une fois.

Tenant compte de tout cela, on peut se demander si l’Ouganda avance ou recule. Il faut absolument améliorer le processus électoral. Mais la question reste: le gouvernement va-t-il promouvoir la démocratie en soutenant et investissant dans des institutions qui aideront à la consolider, et assurer la transparence lors du prochain cycle électoral?

  • Peter Bahemuka, Ouganda, novembre 2002 — © Reproduction autorisée en citant la source

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