ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 446 - 15/12/2002

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Cameroun
Soigner la santé pour vaincre la pauvreté


SANTE


D’après une étude d’un organisme privé
consultant auprès du ministère de la Santé publique,
investir dans la santé est rentable pour le développement

Déclarant que «c’est la pauvreté» qui est la principale cause des maladies au Cameroun, et que «les maladies dans certaines régions à faibles revenus, notamment dans les provinces de l’Est, Adamaoua, Nord et Extrême-Nord, constituent un obstacle considérable à la croissance économique», un groupe national d’économistes et d’experts de la santé a demandé que les dépenses nationales de santé consacrées à ces provinces soient considérablement augmentées. Réalisés par le Africa Population Research Group (APRG), dirigé par Emmanuel Fru Ebong, anthropologue, cette “Etude sur la macroéconomie et la santé” (septembre 2002) a montré que les répercussions économiques des problèmes de santé sur les individus et la société sont bien plus graves qu’on ne l’avait estimé auparavant.

Une facture salée...

Offrir des soins de santé de base aux populations pauvres, affirme le groupe, est à la fois techniquement réalisable et rentable. Le résultat pourrait être spectaculaire: chaque année, 300.000 vies humaines seraient sauvées et le développement serait alimenté par des dizaines de millions de FCFA de nouvelles activités économiques. «Oeuvrer ensemble pour la santé n’est pas seulement une question de charité, c’est aussi une bonne décision sur le plan économique», a dit le président de l’APRG, lors de la présentation de leur étude à Yaoundé, le 16 octobre 2002.

Mais la facture est élevée. Le groupe estime que les dépenses annuelles de santé au Cameroun devraient passer de leur niveau actuel de 25 milliards de FCFA (38,11 millions EUR) à 48 milliards de FCFA (73,17 millions EUR) d’ici à 2010, puis à 70 milliards FCFA (106,71 millions EUR) d’ici à 2015. Et on n’y compte pas les 2 à 3 milliards de FCFA supplémentaires requis chaque année au titre du Fonds de lutte contre le sida, alloués directement par l’Etat ou indirectement par des bailleurs extérieurs, au Comité national de lutte contre le sida et aux ONG oeuvrant dans ce domaine.

Les augmentations proposées dépassent largement les moyens de l’Etat et nécessiteraient une hausse énorme – et extrêmement improbable – de l’aide des pays donateurs. L’étude, reconnaissent ses auteurs, est donc «plus une projection de ce qu’il faudrait faire, qu’une image de ce qui sera fait». Toutefois, le coût de l’immobilisme, préviennent-ils, sera encore plus élevé, qu’il se mesure en vies perdues, en retard de développement ou en danger pour la paix et la sécurité nationales: «Les maladies déstabilisent davantage le tissu social et l’unité nationale du Cameroun, et par ricochet son économie».

Une médecine «de proximité»

Aussi importantes que soient ces sommes, elles ne devraient financer que les services «essentiels» permettant d’atteindre les objectifs de santé minima assignés par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au Cameroun, qui a fixé d’ambitieux objectifs de réduction de la pauvreté. Calqués sur des travaux antérieurement effectués par une commission nationale sur la santé vers la fin de l’année 1997, ces objectifs s’articulent autour des pôles suivants: réduire de moitié le taux de mortalité des moins de cinq ans d’ici 2010; réduire les taux de mortalité maternelle de 75% d’ici 2015; endiguer la progression du VIH/sida, du paludisme et de la tuberculose d’ici à 2015 et commencer à réduire les taux d’incidence de ces maladies.

On peut atteindre ces objectifs, avance le groupe, en ciblant un petit nombre de maladies transmissibles, notamment le sida, la tuberculose, le paludisme, les maladies infectieuses infantiles et les carences alimentaires responsables de la grande majorité des décès et des maladies dans les provinces les plus touchées.

De nombreux traitements et services, a expliqué M. Fru Ebong, «sont très efficaces et peuvent être dispensés dans des régions défavorisées. Mais, dans une grande mesure, et c’est tout à fait choquant, ces services et traitements n’atteignent pas les populations les plus défavorisées, car ni les pauvres eux-mêmes, ni l’Etat n’ont les moyens d’accéder à ces interventions salvatrices… Le problème n’est pas que ces interventions soient inefficaces, mais plutôt qu’elles touchent un nombre insuffisant de personnes».

Un nouveau partenariat

La solution, affirme le rapport, est de former un nouveau partenariat national entre la société civile camerounaise, les opérateurs privés et l’Etat dans le domaine des soins de santé. L’Etat augmenterait ses dépenses de santé, mais le groupe reconnaît que seule une fraction des coûts peut provenir des ressources nationales. Il faudrait donc que les pouvoirs publics s’accordent à redéfinir leurs priorités de santé, en privilégiant moins les élites urbaines et en favorisant au contraire les zones rurales et les pauvres, qui en ont le plus besoin.

En outre, le rapport suggère que pour veiller à la viabilité au Cameroun et plus particulièrement dans les régions où la pauvreté est la plus grande, il faudrait qu’une aide directe soit octroyée aux formations sanitaires privées sous forme de dons et non de prêts, et qu’elle s’accompagne de financements plus importants dans les secteurs connexes tels que l’éducation, l’eau salubre et l’assainissement, qui affectent directement la santé.

Pessimisme et optimisme

Certains «pessimistes» avancent que la mauvaise gestion, la corruption et le démantèlement des infrastructures sont tels qu’il est quasi impossible d’offrir des soins de santé efficaces au Cameroun.

Mais le groupe soutient qu’un système communautaire de «santé de proximité» — correctement financé et constitué de dispensaires et de postes de santé rudimentaires, gérés par des habitants avec une formation minimale et soutenus par de simples hôpitaux régionaux et quelques établissements provinciaux plus sophistiqués (hôpitaux de référence) — pourrait dispenser des services de santé de base dans tout le pays et être mis sur pied relativement rapidement.

«L’ironie, avec les pessimistes, dit M. Fru Ebong, c’est que pratiquement partout où l’on fait des investissements dans la santé, on constate des réussites quasiment miraculeuses, telles que les campagnes contre la variole, la poliomyélite ou l’onchocercose», qui ont en grande partie éradiqué ces maladies débilitantes.

Le groupe s’attaque également à ceux qu’il accuse «d’optimisme à tout crin», qui s’opposent à d’importantes augmentations des dépenses de santé, persuadés que l’amélioration de la santé sera naturellement engendrée par la croissance économique actuelle et le développement. D’après l’étude, il n’existe aucun rapport direct entre les taux de croissance élevés et l’amélioration de la santé. Par contre, «le poids de la maladie ralentit la croissance économique censée résoudre les problèmes de santé». Ce qu’il faut, c’est plutôt «une stratégie mondiale concertée, qui offre au Cameroun, un plus grand accès aux services de santé essentiels».

Investissements et rendements élevés

Toutefois, c’est en mettant en évidence le lien existant entre développement et maladies et en arguant en faveur d’une augmentation massive des dépenses, que le groupe a le plus attiré l’attention.

Les analyses économiques classiques sur l’impact des maladies, a expliqué M. Fru Ebong, considèrent les maladies comme une conséquence malheureuse de la pauvreté, et estiment que celles-ci reculeront avec le développement économique. Le groupe a totalement inversé ce raisonnement, en arguant que dans un pays comme le Cameroun qui est touché par des pandémies comme le sida et le paludisme, la pauvreté elle-même est la conséquence des maladies chroniques. «Nous avons découvert que non seulement le paludisme entraînait des rechutes repétées et des décès tragiques, mais qu’il nuisait également à l’investissement étranger direct au Cameroun. Il nuit au tourisme et au commerce».

«Les effets du paludisme, du sida et d’autres maladies sur l’ensemble du tissu social et économique n’ont pas été pris en compte dans les calculs de coûts standards des maladies», continue-t-il. Lorsqu’on prend ces effets en compte, «le coût des maladies est bien supérieur aux estimations antérieures, parce que les maladies affectent les individus, mais elles empêchent également la croissance économique et elles appauvrissent les régions».

Si les économistes classiques ont sous-estimé le coût des maladies, pense l’APRG, ils ont également sous-estimé les avantages économiques provenant de l’amélioration de la santé. «Nous avons montré de façon très convaincante que l’amélioration de la santé n’est pas seulement un avantage en termes de revenus individuels sur la durée d’une vie. Elle permet aussi de soutenir une croissance économique plus rapide», dit M. Fru Ebong.

Lorsqu’on prend en compte les revenus supplémentaires et les taux de croissance plus élevés (dus à l’amélioration de la santé), et que l’on multiplie cela par les 300.000 vies humaines qui, selon les estimations de l’APRG, pourraient être sauvées chaque année, on arrive à des gains économiques annuels de 10 milliards de FCFA (15,24 millions EUR). Et même cette évaluation est prudente. «Il est possible d’affirmer que les véritables avantages économiques seraient supérieurs. Ce serait presque irresponsable de ne pas se lancer dans ce genre d’investissements très rentables».

Mais les investissements requis à l’heure actuelle pour atteindre les objectifs de santé du millénaire, sont presque inabordables pour les quinze millions de Camerounais, la moyenne nationale annuelle des dépenses de santé par individu s’établissant à 17.700 FCFA (26,9 EUR). Selon le rapport de l’APRG, le gouvernement et les citoyens ont consacré à peu près 21 milliards de FCFA (32 millions EUR) aux soins de santé en 2001. Pour atteindre les objectifs mondiaux, le Cameroun devra recourir aux pays donateurs, et les agences multilatérales devraient accroître l’ensemble des financements de leurs programmes de santé pour atteindre les objectifs prioritaires définis par la communauté internationale.

  • Sylvestre Tetchiada, Cameroun, octobre 2002 — © Reproduction autorisée en citant la source

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