ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 446 - 15/12/2002

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Côte d’Ivoire
Chaîne de solidarité


ACTION SOCIALE


Face au cauchemar que vivent les personnes déplacées,
les gens ordinaires et l’Eglise se mobilisent

Des gosses amaigris tendant leur bol pour un peu de riz, des hommes et des femmes suppliant les humanitaires d’augmenter leurs parts de vivres parce qu’ils n’ont pas mangé depuis plusieurs jours…, ou encore des hordes humaines sur les routes fuyant les zones de combat, le baluchon sur la tête, et jouant parfois à cache-cache avec les rebelles qui ne veulent pas les voir partir... Et même des réfugiés dans les pays voisins, notamment au Mali, dont le nombre a dépassé un moment les 5.000, mais qui ont cependant commencé à regagner la Côte d’Ivoire...

Un cauchemar plus que réel!

Les Ivoiriens croyaient faire des cauchemars! Ce genre d’images, ils en ont certes souvent vus, mais c’était à travers leur petit écran. Et ils avaient toujours cru qu’elles ne se produiraient jamais en Côte d’Ivoire, «une oasis de paix dans une Afrique déchirée»! Et pourtant, la réalité est là, crue...

Depuis le déclenchement de la rébellion armée contre le régime du président Laurent Gbagbo le 19 septembre, les populations des villes occupées par les rebelles vivent un véritable enfer et une psychose permanente de la reprise des combats, ce qui les fait fuir vers les «zones sécurisées». Et celles qui ne peuvent ou ne veulent pas partir, meurent de faim et de maladies, notamment à Bouaké. Deuxième ville de la Côte d’Ivoire après Abidjan, avec une population estimée entre 600.000 et un million d’habitants, Bouaké paye ainsi un lourd tribut à cette «sale guerre» créée par des politiciens véreux.

Catastrophe humanitaire (sanitaire et alimentaire) due aux difficultés d’approvisionnement par les organisations humanitaires, qui éprouvent toutes les peines du monde à accéder aux zones occupées malgré l’existence supposée de «couloirs humanitaires», et aussi à la «négligence» du gouvernement qui a mis du temps à s’occuper de la dimension humanitaire et sociale du conflit. On s’est plutôt préoccupé de l’équipement de l’armée.

Ainsi, la quasi-totalité des premières contributions de la population était allée à l’achat des armes. Comme les 10 milliards (FCFA) des producteurs de café-cacao offerts aux FANCI (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire), un don un peu forcé par les autorités qui avaient besoin d’argent frais pour une armée cruellement sous-équipée!

Mais pour la ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Sécurité sociale, Mme Clotilde Ohouochi, ce «flottement» était dû au fait que le gouvernement concentrait ses efforts dans un premier temps sur «l’évacuation des populations déplacées vers des zones d’accueil et de transit (Yamoussoukro, Daoukro, M’Bahiakro, Tiébissou) avant de s’attaquer à l’épineuse question de l’approvisionnement des régions occupées».

Le gouvernement n’a mis en place une structure humanitaire que le 30 septembre: la Cellule solidarité et action humanitaire, dont l’objectif était, selon Mme Ohouochi, de «coordonner les actions en faveur des populations sinistrées», c’est-à-dire, «organiser les collectes des dons, déterminer les priorités et acheminer l’aide sur le terrain».

En fait, cette structure gouvernementale avait pour but de coordonner les actions diverses qui, en l’absence d’un service officiel, se faisaient un peu de façon anarchique par de nombreuses organisations humanitaires internationales (CICR, HCR, MSF, UNICEF, OMS, PAM, etc.), qui se sont mobilisées pour venir en aide aux populations sinistrées, surtout les «déguerpis» des quartiers précaires d’Abidjan, détruits par le gouvernement après l’attaque des rebelles. Pour l’intérieur du pays, et particulièrement dans les zones occupées, ces organisations se faisaient rares.

Les populations sinistrées se divisent en trois groupes: les populations «séquestrées» des zones occupées, notamment celles de Bouaké; les populations «déplacées» dans les zones d’accueil et de transit; enfin, les «déguerpis» des quartiers précaires d’Abidjan. Le problème se pose de façon plus cruciale dans les sites d’accueil et de transit, et surtout dans les zones occupées où le gouvernement ne peut aller et où les organisations humanitaires internationales sont en nombre réduit. Ici oeuvrent surtout les institutions catholiques, comme l’association caritative Caritas-Côte d’Ivoire et l’hôpital Saint Camille.

Les actions de l’Eglise catholique

Créé en 1983 pour venir au secours des malades mentaux, le Centre Saint Camille a ensuite étendu son action aux prisonniers et, à l’occasion de cette crise, à «l’humanitaire», précise son responsable, Grégoire Ahongbonon. «J’avais un stock de 22 tonnes de riz offertes par Caritas, le ministère de la Santé et certains amis d’ici et de France pour nos pensionnaires malades et prisonniers. C’est ce stock que j’ai accepté de partager avec les populations affamées et les nécessiteux», explique-t-il.

Il est vrai que la mauvaise organisation qui a souvent caractérisé les distributions par le canal des organisations humanitaires internationales, conduisait les populations affamées à «envahir» le centre Saint Camille, dont le portail a maintes fois été forcé par la foule qui criait: «Nous avons faim, nous allons mourir!».

L’autre institution catholique qui fait beaucoup pour les victimes de cette guerre, est la Caritas-Côte d’Ivoire. «En tant que structure sociale de l’Eglise catholique, nous ne pouvions pas être en marge de ce que la Côte d’Ivoire vit aujourd’hui», explique M. Yacinthe N’Datien, secrétaire général de cette association. Dès le déclenchement des hostilités, celle-ci s’est organisée, mettant en place un comité de crise qui travaille avec les Caritas de toutes les paroisses du pays. Elle a suscité un grand mouvement de solidarité nationale, et a invité les chrétiens à participer aux actions en faveur des victimes de la guerre.

Après un premier travail pour les déguerpis des quartiers précaires d’Abidjan (accueil, nourriture, médicaments, relogements), l’organisation a mis le cap sur les zones d’accueil et de transit des populations fuyant les zones de guerre, notamment celles de Bouaké, et arrivant à Yamoussoukro, M’Bahiakro, Didiévi, Tiébissou et Sakassou. Caritas leur distribue, sans distinction de religion ni de tendance politique, des vivres, des vêtements, des couvertures et des médicaments, et participe parfois aux frais de transport de ceux qui partent ailleurs. Car, dans les sites d’accueil, se pose le problème de places.

Fin octobre, on parlait de quelque 500 déplacés à Yamoussoukro qui ne savaient où aller. M. N’Datien a aussi pu visiter la ville de Bouaké, où la Caritas est cependant relayée par les paroisses locales et certaines institutions caritatives catholiques comme le centre Saint Camille, qui faisait déjà du bon travail malgré ses maigres moyens. Et il négociait — aussi bien avec les autorités gouvernementales qu’avec les rebelles — pour aller jusqu’à Korhogo, au Nord, pour se rendre compte de la situation dans cette partie de la Côte d’Ivoire occupée, mais dont on parlait très peu.

Les ressources de Caritas

D’où viennent les ressources de Caritas? Ce sont essentiellement les contributions des fidèles de l’Eglise catholique qui répondent favorablement à son appel de solidarité, chacun apportant à la Caritas de sa paroisse de l’argent, des vêtements, des médicaments ou des vivres. Et aussi des partenaires de l’organisation à travers le monde, Caritas-Côte d’Ivoire faisant partie d’une confédération de 154 Caritas qui couvre 198 pays dans le monde et qui s’aident mutuellement.

«Le premier réflexe des populations en détresse est de se tourner vers les missions catholiques», dit Yacinthe N’Datien. En effet, pendant longtemps, en l’absence de services publics à Yamoussoukro, les populations arrivant dans cette ville allaient directement à la cathédrale Saint Augustin qui a eu à gérer seule, et continue de gérer, tout ce flot humain. L’église avait souvent à gérer plus de 10.000 personnes!

D’où le SOS lancé par les responsables de la cathédrale, qui a reçu une énorme réponse de solidarité. Comme ces femmes qui, 24h/24, font la cuisine de manière bénévole. «A cause du couvre-feu, nous dormons sur place. Les déplacés peuvent arriver à tout moment et nous devons leur donner à manger!», explique Mme Suzanne Brou, présidente de la Légion de Marie et responsable de la cuisine.

Quant aux autres confessions religieuses (protestante, évangélique, musulmane), elles se signalent beaucoup plus dans le domaine du «combat spirituel»: prières de délivrance, d’intercession et d’exorcisme, jeûnes, repentance. Il est vrai que l’Eglise catholique possède plus d’organisations caritatives. Mais ce qui est le plus extraordinaire, c’est la solidarité de la population qui, comme un seul homme, s’est mise au service des personnes en détresse: les familles des soldats tombés sur le front, les populations déplacées... En général, en pareilles circonstances dans les pays du tiers-monde, on fait appel à l’aide de la communauté internationale. Ici, le peuple s’est levée spontanément, individuellement ou par groupes, pour apporter sa contribution à «l’effort de paix» qui a commencé par des dons de sang, puis par des contributions en argent, en vivres, etc.

Esprit patriotique

Au 15 septembre déjà, le bilan de la contribution nationale se chiffrait à 15 milliards (FCFA), incluant les 10 milliards des planteurs de cacao/café, mais sans compter les autres types de dons, comme par exemple l’opération «1.000 déplacés» initiée par une petite ONG, «Le Cri», qui consistait pour chaque citoyen volontaire à aller chercher bénévolement, avec son propre véhicule, des personnes dans les zones d’accueil.

Il y a aussi les étudiants d’Abidjan qui, d’ordinaire frondeurs et insensibles, se cotisent pour accueillir et héberger dans leurs chambres leurs camarades de Bouaké, Korhogo et Daloa qui ont pu regagner Abidjan. Et ce n’est pas tout, les travailleurs (du secteur public et privé) ont décidé, de leur propre gré, de céder 5% de leurs salaires à l’Etat pour l’effort de paix. Quant aux «ressortissants des régions», ils ont été les premiers à venir en aide à leurs parents restés dans les zones assiégées. Comme ceux de Bouaké, dont les contributions atteignaient 100 millions FCFA fin octobre: aides en nature et en espèces.

Pour certains, ce «sursaut national» est l’un des fruits positifs du concept d’ivoirité entendu comme «une prise de conscience nationale», autre appellation de «l’esprit patriotique». Mais ce patriotisme doit être canalisé pour éviter tout fanatisme. Malheureusement, il commence déjà à gagner les «jeunes patriotes» qui, depuis le déclenchement des hostilités, organisent des marches et des meetings, mais se disent aussi «prêts à se faire enrôler».

Il y a aussi ces «comités d’autodéfense» qui veulent pallier l’insuffisance en nombre de l’armée, mais qui commencent déjà à se distinguer par des dérapages: rackets, brimades, etc. Et le pire risque de venir après la guerre: ces jeunes, qui apprennent aujourd’hui la «culture de la violence», peuvent être dangereux pour la paix, demain. Cette violence existe d’ailleurs déjà avec de véritables escadrons de la mort sévissant notamment dans les «zones gouvernementales».

On enregistre presque tous les jours à Abidjan des enlèvements, des arrestations et détentions arbitraires, et des assassinats dont on ignore toujours les auteurs.

Une chose est cependant positive dans cet élan patriotique. Pour ces «patriotes», plus jamais en Côte d’Ivoire on ne pourra accéder au pouvoir par la force. Désormais, la seule voie, c’est la voie démocratique qui passe par les urnes.

Est également positive, cette «chaîne de solidarité» de la population qui fait éviter à l’Etat ivoirien l’humiliation des pays pauvres qui doivent s’adresser, en pareil cas, à l’aide extérieure pour sauver leurs populations. Même si on peut se demander pour combien de temps cette extraordinaire «chaîne de solidarité» peut durer.

  • K.K. Man Jusu, Côte d’Ivoire, novembre 2002 — © Reproduction autorisée en citant la source

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