ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 449 - 01/02/2003

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Cameroun
Multinationales et déforestation


RESSOURCES NATUR.

Exploitation forestière illégale, indifférence face aux implications de la gestion durable et de régénération, manque de détermination de l’administration.
Amertume des populations riveraines...

Les populations riveraines de grands espaces de déforestation ne savent plus à quel saint se vouer, n’obtenant aucune réparation auprès de la justice camerounaise. Loin de se décourager comme les autres, sept villageois de Miatta, village du département du Dja et Lobo dans la province du Sud, n’ont pas hésité à saisir la justice française. Ils prennent à partie la Société forestière et industrielle de Doumé (SFID), fortement implantée au Cameroun grâce à l’influence de l’ancien actionnaire Jean Christophe Mitterrand, alors conseiller aux Affaires africaines à l’Elysée, sous la présidence de son père. La SFID mise en cause est une filiale du groupe français Rougier. Le 22 mars 2002, la plainte, avec constitution de parties civiles des paysans camerounais, à laquelle s’est jointe l’ONG “Les amis de la terre”, est déposée au tribunal de grande instance de Paris par Me William Boudon. Les chefs d’accusation sont: destructions massives de biens (cultures, arbres fruitiers), faux et usage de faux, corruption de fonctionnaires camerounais.

Le prologue de cette affaire remonte à mai 1999, quand les engins de déforestation de la SFID s’introduisent, sans titre d’exploitation valide, dans la forêt et les plantations des paysans au sud du Cameroun. Il s’en est suivi une coupe illégale de diverses essences au grand dam des villageois. Il ne leur restait plus que leurs yeux pour pleurer leurs champs transformés en routes, sans égards pour leurs semences. En septembre 1999, un constat des dégâts est dressé par un délégué du ministère de l’Agriculture en présence des victimes et du représentant de la société SFID. Celle-ci balaie d’un revers de la main les demandes de dédommagements.

Face à ce refus de compensation, les paysans déposent une plainte auprès du sous-préfet de Djoum au Sud Cameroun. Ils vivront avec amertume le manque de détermination de l’administration. «L’administration locale bénéficie directement ou indirectement de nombreux avantages qui lui sont procurés depuis plusieurs années par la SFID, avantages qui expliquent l’apathie devant les plaintes déposées par les plaignants”, explique Belmond Tchoumba, coordonnateur des programmes au Centre pour l’environnement et le développement, une ONG camerounaise qui assiste les villageois abusés. Leur conseil s’emploie maintenant à convaincre la justice française qu’elle est compétente à connaître cette affaire, qui oppose une entreprise française (le groupe Rougier) et des citoyens camerounais.

Pratiques illégales

Ces pratiques relèvent de coupes illégales qui touchent, selon les spécialistes, 50% de forêts dévastés au Cameroun. Une situation qui suscite les mises en garde des ONG mondialement reconnues, qui n’arrêtent plus de débusquer les multinationales occidentales qui détruisent les forêts.

Une enquête récemment menée au Cameroun par Forests Monitor et Greenpeace, accuse notamment Wijma, une entreprise néerlandaise d’exploitation forestière et de commerce de bois, qui s’est spécialisée dans l’exploitation illégale au Cameroun. Ces douze derniers mois, Wijma a été prise sur le fait trois fois de suite, en train de se livrer à des actes frauduleux. En juillet 2002, les enquêteurs ont mis à nu les manoeuvres de l’entreprise néerlandaise. Ainsi, Wijma a utilisé illégalement son permis d’exploitation VC 09-02-132, obtenu légalement pour une forêt de 2.500 hectares à exploiter jusqu’en mars 2004. Mais en procédant à la vérification de témoignages locaux, il a été prouvé que Wijma a procédé à des coupes frauduleuses largement en-dehors des limites officiellement permises. En outre, l’enquête de Forests Monitor et de Greenpeace a pu fournir les preuves irréfutables de l’existence d’un réseau illégal de pistes, d’aires de stockage et de grumes abandonnées, parfois à plus de cinq kilomètres des limites légales de la surface de coupes. La plupart de ces grumes sont marquées du numéro de permis légal de Wijma.

Selon les estimations des enquêteurs, la surface illégalement exploitée pourrait atteindre 2.000 hectares et aurait pu fournir des grumes d’une valeur de 1,4 milliard de francs FCFA (quelque 213.000 euros). Et d’ajouter que certaines de ces grumes ont été illégalement coupées dans la concession d’exploitation forestière légalement attribuée à un des concurrents de Wijma, Fipcam, une entreprise d’exploitation italienne.

Ce comportement amène souvent le gouvernement camerounais à sortir de sa réserve. En janvier 2002, Wijma a été condamné à payer une amende de 1.836.415 FCFA (2.800 euros) pour avoir abattu sans autorisation des arbres d’essences protégées sans autorisation, ainsi que de jeunes arbres. Selon un rapport non publié du ministère de l’Environnement et des Forêts (Minef), il a été suggéré d’infliger une amende de 2.500.000 FCFA (3.800 euros) à M. Bertin, directeur local de Wijma.

Le Minef peut infliger des sanctions et amendes aux exploitants forestiers, ainsi que d’autres mesures contraignantes telles que la suspension des activités ou le retrait d’agrément. Mais ce système de sanctions ne paraît pas encore très persuasif. Au ministère, un responsable explique: «On ne se débarrasse pas immédiatement des habitudes établies. Il nous faut du temps pour éduquer les forestiers. Certains redoutent de voir le nom de leur entreprise figurer dans la presse sous le titre des sanctionnés en matière d’exploitation illégale. Notre objectif à terme est de vulgariser la notion de gestion durable des forêts.»

Malgré ces sanctions et leur médiatisation, les exploitants forestiers se font toujours remarquer négativement. C’est le cas de la Compagnie forestière du Cameroun, filiale du groupe Thanry France. En 1996, par décret présidentiel et sans appel d’offre, on avait concédé à cette entreprise de vastes surfaces pour quinze ans. Mais cette compagnie opère dans un cadre de convention définitive et non provisoire, comme l’indique la loi. Elle devait, entre autres, effectuer des travaux d’inventaire, et élaborer un plan d’aménagement quinquennal de gestion, dans les six mois suivant la signature de la convention définitive. Or, elle ne l’a toujours pas fait, se contentant d’abattre les arbres. De même, la superficie concédée ne devait pas excéder les 200.000 hectares. Or, la superficie totale exploitée par cette entreprise française est estimée par des voies autorisées à près de 500.000 hectares, passant par de multiples filiales.

Contrôle ou magouilles

Entre corruption et laxisme, les responsables du ministère de l’Environnement et des Forêts ont leurs arguments. Les dérapages observés sont consécutifs au fait que la majorité des acteurs évoluant dans la filière bois ne sont pas des professionnels. Ils recherchent simplement des bénéfices en vendant du bois, et n’ont aucune notion de développement ou de gestion durable des forêts. On note également que beaucoup d’entre eux ne maîtrisent pas le processus de transformation du bois: ils s’intéressent uniquement à l’exploitation des grumes. Et pour les différentes multinationales, gérer une forêt se résume à la rentabilité.

Il faut reconnaître le manque de moyens humains et matériels du Minef, qui rencontre d’énormes difficultés pour contrôler le territoire national, où d’aucuns abattent et évacuent les arbres pendant la nuit. Pour y remédier, ce département ministériel a créé une structure centrale de contrôle. Il est aidé et soutenu par des ONG qui de plus en plus dénoncent la détérioration des conditions de vie des populations paysannes après le passage des multinationales et de leurs engins de déforestation. Certaines espèces, comme le Sapelli (Entandrophragma cylindricum) ou le Sipo (Entandrophragma utile), dont les écorces sont prisées par les herboristes, sont en voie de disparition.

L’industrie du bois est la deuxième source de revenus du Cameroun après le pétrole. Elle contribue au budget de l’Etat à hauteur de 100 milliards de FCFA (plus de 15 millions d’euros) par an, pour une main d’oeuvre estimée à près de 25.000 personnes. Malheureusement, les populations riveraines ont de la peine à recevoir, comme le prévoit la loi, le dixième de la redevance forestière à cause des magouilles entre l’exploitant, l’administration et la commune. L’unique avantage qu’ils peuvent tirer de la loi forestière est la constitution de forêts communautaires. Un parcours du combattant en termes de coût et de temps pour des villageois mal informés et illettrés. D’où l’importance des campagnes de sensibilisation des ONG qui ont très souvent l’impression de prêcher, comme l’apôtre, en plein désert.

  • François-Xavier Eya, Cameroun, décembre 2002 — © Reproduction autorisée en citant la source

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