ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 449 - 01/02/2003

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Sénégal
Après le naufrage du Joola


VIE SOCIALE

Douleur humaine sur fond de malaise économique

Le temps passe inexorablement, mais ne dissipe pas pour autant la douleur des familles des victimes du naufrage du Joola. Ce bateau a coulé le 26 septembre 2002, alors qu’il reliait Ziguinchor (principale ville de la Casamance) à Dakar. Plus de trois mois après le drame, trop de questions restent en suspens alors que les familles des victimes crient ouvertement leur détresse et leur soif de justice. En somme, un dossier hypersensible dans lequel le pouvoir joue sa crédibilité.

Décidément, le régime du président Wade n’a d’autre choix que d’inscrire le dossier «Joola» dans son agenda politique de l’année 2003. Un dossier récurrent qui, dès les premiers jours de l’année nouvelle, a réussi à se faire une place dans le programme de la cérémonie de présentation de vœux du chef de l’Etat à la nation sénégalaise. Dans son message radio-télévisé, Abdoulaye Wade n’y est pas allé par quatre chemins pour tancer la commission d’enquête – mise en place par le gouvernement pour situer les responsabilités dans ce drame – qu’il accuse de «n’avoir pas su prendre ses responsabilités en instruisant les présumés coupables». Cette fermeté de ton intervient alors qu’un dernier bilan fourni par l’Association régionale des familles des victimes du Joola (AVF-Joola) fait état de 1.340 morts rien que pour la région de la Casamance, contre 1.200 précédemment annoncés par la commission d’enquête. Ce qui vient en rajouter à l’émotion et à la désolation.

Ainsi, plusieurs mois après ce naufrage, rien ne semble pouvoir sécher les larmes de ces milliers de personnes, affligées de près ou de loin par ce drame d’une ampleur inédite dans le record des catastrophes maritimes en Afrique.

Au Sénégal, il ne se passe pas une semaine sans qu’une annonce, un communiqué de presse, une initiative citoyenne, une conférence publique, une opération de solidarité, une action revendicative, un coup de cœur ou coup de gueule ne viennent rappeler à quel point l’équation sociale et humaine engendrée par le drame du Joola demeure entière. Impossible pour les acteurs concernés, l’Etat au premier rang, de s’y dérober, malgré cette forte impression de blocage qu’éprouvent les familles des victimes du fait du changement de gouvernement intervenu en octobre 2002.

Pour longtemps encore, le pouvoir devra cultiver écoute et compassion pour se plier aux récriminations et interpellations fusant de toutes parts pour lui rappeler sa responsabilité et ses engagements. Et Dieu sait qu’en fait d’engagements, le pouvoir n’a pas fait la fine bouche, sous l’effet certainement du choc émotionnel et surtout dans le souci de faire amende honorable.

Ressentiments et espoirs déçus

Seulement, à l’épreuve des faits, l’espoir semble progressivement se réduire en peau de chagrin devant l’impatience du collectif des familles des victimes. Ce collectif qui s’est constitué au lendemain de la tragédie pour suivre les volets relatifs à l’identification des corps et leur inhumation, est depuis lors confronté à une véritable course d’obstacles en ce qui concerne notamment le règlement de la question, toujours pendante, de l’indemnisation des familles. A ce désespoir qui enfle chaque jour, le président vient d’opposer une fois encore son optimisme habituel en annonçant dans son message de Nouvel an à la nation que «des sanctions seront prononcées et appliquées et une juste indemnité sera versée avec diligence aux famille endeuillées».

En attendant, plusieurs épouses de victimes n’ont toujours pas reçu les salaires de leurs maris. Le malaise ne fait que croître pour des centaines de veuves et orphelins, malgré la promesse faite depuis Ziguinchor par le président Wade de faire de ces orphelins les «pupilles de la nation». Là également, l’impatience grandit! A la différence cependant des miraculés du naufrage, en l’occurrence les 64 rescapés qui ont chacun reçu, au cours d’une cérémonie officielle, le 27 novembre 2002, la somme de 100.000 FCFA de la part du ministère de la Solidarité nationale.

Geste insuffisant, s’est indignée une large frange de l’opinion publique. Mais, au nom du principe «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras», les rescapés ne se sont pas fait prier. Une attitude qui contraste avec celle de l’AVF-Joola, qui aurait rejeté une offre de 8 milliards de FCFA (12,2 millions d’euros) faite par le gouvernement au titre de l’indemnisation des victimes. Raison évoquée: la modicité de l’enveloppe financière au regard de l’ampleur des préjudices subis.

Des investigations plus crédibles...

Visiblement, l’occasion est bonne pour acculer le pouvoir, qui n’a d’ailleurs pas attendu un procès en règle pour plaider coupable. Les travaux de la commission d’enquête confirment cette responsabilité au sommet de l’Etat. D’où ces nombreux cartons rouges décernés à tous les acteurs de la chaîne portuaire, y compris les ministères des Transports et des Forces armées.

Cet effort d’éclairage de l’opinion publique sur les causes du naufrage (accumulation de fautes et de négligences) n’a guère réussi à apaiser la colère des familles de victimes (sénégalaises et européennes) qui affirment être restées sur leur soif (d’informations) et réclament des investigations plus crédibles. C’est le cas du Collectif des familles françaises qui, au cours d’un séjour à Dakar à la mi-novembre 2002, a menacé de porter plainte. Comble de déception: ce rapport de la commission d’enquête ne satisfait pas non plus le clergé sénégalais qui l’a fait savoir en novembre 2002 au terme d’une conférence épiscopale à Kaolack. Aujourd’hui, c’est le premier magistrat du pays qui enfonce le clou en réclamant des coupables.

Aussi, l’image du régime de l’Alternance s’est trouvée largement écornée avec une dépréciation notable de sa crédibilité. On le sait désormais: le cabinet du Premier ministre d’alors, Mme Madior Boye, n’a pas survécu à cette crise. D’où la nomination d’un nouveau cabinet dirigé par Idrissa Seck, nº 2 du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) et homme de main du président Wade, qui amorce son mandat avec ce défi.

Un nouveau bateau et bien plus...

Mais que peut recouvrir en ce moment ce “défi” pour les ressortissants de la Casamance, notamment ceux de Ziguinchor particulièrement touchés par ce drame du Joola? A l’unisson, les Casamançais demandent un nouveau bateau en remplacement du Joola, prenant ainsi au mot le président de la République qui le leur avait publiquement promis. Question de délai! En effet, les délais constituent la grande inconnue dans ce dossier et pourraient justifier la marche contre l’oubli organisée à Dakar le 14 décembre 2002 par les familles des victimes et qui a malheureusement tourné à l’affrontement avec les forces de l’ordre.

L’occasion faisant le larron, la vague des mécontents en profitent pour emboucher à nouveau la trompette du désenclavement de la Casamance lourdement touchée par la catastrophe. Deux doléances qui s’imbriquent intimement en raison du rapport entre l’absence d’infrastructures appropriées pour l’acheminement des produits agricoles et halieutiques et l’enclavement de la région. Cette situation préoccupante a fait dire au président du Conseil régional de Ziguinchor, M. Oumar Lamine Badji, lors d’une récente déclaration publique: «la région étouffe depuis le naufrage du Joola, car son enclavement s’est accentué».

A l’évidence, la mise à flot d’un nouveau bateau est très attendue par ces populations du Sud-Sénégal. Les démarches seraient en cours avec une lueur d’espoir du côté de la coopération allemande dont le l’Etat sénégalais attend une aide substantielle d’environ 4 milliards. En tout état de cause, l’acquisition de ce bateau représente une pièce maîtresse de la stratégie d’ensemble de réhabilitation, de valorisation et de connexion de la Casamance au reste du pays. De cela dépend manifestement le retour à la confiance dans cette région qui se sent délaissée et frustrée d’être si mal lotie dans l’accès aux dividendes de la richesse nationale et du développement.

Et si, devant l’impossibilité de l’occulter, on incluait à ce puzzle casamançais, l’interminable conflit irrédentiste qui contribue aussi à l’arriération de la région, alors le moment serait résolument venu pour le pouvoir central de comprendre que c’est en fait un enjeu politique et économique aux effets multiples que de sortir la Casamance de son statut actuel d’arrière-cour de la maison. La paix en Casamance est à ce prix.

  • Anicet L. Quenum, Sénégal, janvier 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source

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