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Gabon |
VIE SOCIALE
Le gouvernement qui voit dans la prolifération des sectes et des Eglises une entrave à l’ordre public, a décidé de réglementer “la pratique religieuse”.
Les multiples décès inexpliqués dans les Eglises dites d’éveil ont contraint les autorités politiques du pays à s’opposer indirectement à la venue de pasteurs étrangers, généralement d’origine nigériane, et de classer les nouvelles tendances religieuses afin qu’elles bénéficient d’un statut. Récemment, à la suite d’une rencontre entre le président de la République Omar Bongo et certaines communautés religieuses, une distinction semble avoir été faite entre les grandes religions (catholicisme et protestantisme) et celles qui se sont greffées autour d’elles, car le gouvernement voit à travers les activités de ces nouvelles Eglises une entrave systématique à la liberté de conscience et à l’ordre public.
Le Gabon est devenu une terre d’élection pour les prédicateurs de l’évangile d’origine étrangère. «La police de l’air et des frontières réserve souvent un accueil froid aux personnes portant l’étiquette de pasteur», déplore le Révérend Serge Itanda. Pour les autorités publiques, la prolifération des maisons de prière a favorisé la dépravation des mœurs et le détournement des consciences. Récemment, un pasteur nigérian a été reconduit à la frontière par les forces de police à la suite de son implication dans un trafic de faux documents.
Eglises et sectes prolifèrent
Les nouvelles Eglises ont la particularité de drainer principalement les foules des milieux défavorisés, en quête d’un mieux être social. Il s’agit de plus que 300 Eglises, dont les plus en vue sont la Mahikari (Lumière de vérité), le Christianisme céleste, les Témoins de Jéhovah, les Adventistes, les Néo-pentécotistes, l’Alliance missionnaire d’évangélisation des nations, Béthanie, le Chandelier etc. Elles tiennent en haleine des fidèles à cheval entre la pauvreté et le suicide.
«Une rumeur circule dans le pays, indiquant que la liberté de l’Evangile est sérieusement menacée», s’insurge le Révérend Mike Jocktane, qui milite pour la liberté de l’Evangile. «Depuis peu, les services gabonais de l’immigration s’opposent à l’entrée sur le territoire national de prédicateurs de l’Evangile d’origine étrangère. Cette opposition devient inexplicable dans la mesure où elle intervient même lorsque les intéressés disposent d’un visa d’entrée délivré par les services compétents des représentations consulaires. Nous notons une volonté délibérée d’influencer les Gabonais et d’orienter l’opinion vers une perception négative de l’Eglise».
A Libreville, la capitale gabonaise, on dénombre une vingtaine de sectes. Malgré les critiques acerbes dont elles sont victimes, elles ont curieusement réussi à attirer de nombreux adeptes. «Aujourd’hui, la liberté de culte serait menacée par diverses mesures en préparation et nous voulons attirer l’attention de l’opinion nationale et internationale sur les graves conséquences qu’une violation aussi flagrante des libertés fondamentales pourrait engendrer», dénoncent les communautés et associations chrétiennes du Gabon dans une lettre d’information à la population. Considérant que l’heure de la vérité a sonné, les pasteurs étrangers vivant au Gabon exigent la reconnaissance des Eglises évangéliques et pentecôtistes comme d’autres communautés religieuses, telles que le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme ou l’islam. «Nous ne sommes pas plus dangereuses que les autres religions», se défendent les pasteurs.
Mais l’un des fâcheux revers dans ces nouvelles Eglises, est leur soudaine transformation en lieu de business du sacré. De nombreux observateurs n’hésitent pas à dénoncer l’enrichissement des nouveaux pasteurs qui mènent, au dépend de leurs fidèles, un train de vie cossu comme en témoignent leurs luxueuses villas, leur parc automobile et la horde des domestiques qui les entourent. «Dans notre église, le pasteur demande que nous reversions le cinquième de notre salaire à Dieu pour maintenir le lien spirituel et éviter d’être brûlé en enfer…», raconte Sylvianne Mbourou, veuve avec 6 enfants à charge.
Les psychologues s’en mêlent
Avec l’apparition de nouveaux pasteurs enjôleurs en quête d’argent facile, certains ménages ont été fragilisés. Certaines réunions de prières qui se poursuivent dans la nuit, à des heures tardives, conduisent certaines épouses à ne plus jouer convenablement leur rôle au foyer. D’où les tensions qui naissent avec leurs maris. Les femmes sont la cible privilégiée de ces lieux de prière, car plus vulnérables et plus intimement touchées par les difficultés de l’existence. «Elles pensent trouver auprès de ces églises des réponses aux questions touchant à la pauvreté, à la maladie, à la stérilité, à l’infidélité de leurs maris ou à l’abandon de leurs enfants par leurs pères», renchérit Samuel Dongo, menuisier à la retraite.
Le professeur Onanga Opapé, psychologue gabonais, a dénombré à Libreville une vingtaine de sectes qui, selon lui, «sont devenues des lieux de dépravation des mœurs et de détournement des consciences». Il pense que «le brassage des cultures et le désir de trouver des solutions aux problèmes de la vie quotidienne ont conduit les populations à se réfugier dans les sectes».
«Chaque fois que naît ce que les sociologues appellent l’anomie ou l’absence de normes, les gens ont besoin de se retrouver dans des groupes. Et lorsque ceux-ci ont des valeurs qui semblent novatrices ou fortes, ils s’y réfugient», souligne Onanga Opapé. Mais certaines sectes pratiquent des rites mystérieux, des initiations et des conjurations étranges...
Onanga Opapé fait une différence entre les sectes et les sociétés traditionnelles à caractère initiatique, religions qui existent depuis des milliers d’années. La Franc-Maçonnerie et la Rose Croix, par exemple, ne sont pas des sectes mais des «sociétés traditionnelles qui trouvent leur origine dans le temps».
Au Gabon, la majorité de la population est chrétienne avec près de 60% de catholiques et 30% de protestants. Quelque 10% de la population pratiquent l’islam et les religions traditionnelles. Bien que la libre pratique de la religion soit garantie à tous sous respect de l’ordre public, les conditions économiques difficiles ont favorisé l’arrivée de pasteurs dont les comportements ont engendré des dérives dans ces nouveaux lieux de culte que le gouvernement entend contrôler.