ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 450 - 15/02/2003

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


Mauritanie
Quand les nomades découvrent le livre


VIE SOCIALE


La promotion du livre et de la lecture: «un bond en avant» psychologique, politique et humain

Pour lancer l’opération «Savoir pour tous», une campagne de sensibilisation et de collecte de fonds tous azimuts a été déclenchée dans tout le pays. Les gouverneurs, les élites locales, les associations communautaires, les religieux, les préfets, les maires et les membres de la société civile ont été chargés d’expliquer aux populations cette initiative pour que chacun s’y investisse. «Ce mouvement a embrasé d’un seul coup l’ensemble du pays. Dans toutes nos wilayas (régions), avec l’appui des autorités locales, les cadres revenus en vacances en cette période d’été se sont lancés ardemment dans la campagne de sensibilisation pour le “savoir pour tous”. Débats, conférences, réunions se suivent. Avant même que les fonds ne parviennent et que les bibliothèques prévues ne soient mises en place, les initiatives fusent et se concrétisent», constate M’Bareck Ould M’Beyrouck du quotidien gouvernemental Horizons.

Tout est parti de la réunion du conseil des ministres du 24 janvier 2002. Ce jour-là, le conseil a approuvé le projet de loi de finances rectificatif pour l’année 2002, consacrant la création d’un fonds destiné à la promotion du livre et de la lecture. A cet effet, le gouvernement a décidé de procéder à une réduction systématique des dépenses de fonctionnement de l’administration (hors salaires et budgets des communes rurales) à hauteur de 3%. Le montant de ce fonds s’élève à 1.093.455.127 ouguiyas (1.000 ouguiyas = 3,92 dollars américains). Ce projet a été adopté par l’Assemblée nationale le 31 janvier 2002. Il faut noter que ce même pourcentage a été déduit du budget de l’Etat pour l’année 2003, chiffré à 121.245.000.000 d’ouguiyas.

L’appel du président

Six mois plus tard, le 27 juin 2002, le président Ould Taya lance son appel pour donner le coup d’envoi de cette campagne à partir de la ville d’Aleg, à environ 400 Km de Nouakchott. «L’investissement le plus durable s’intéresse à l’homme et au développement de son génie et de ses aptitudes. Et c’est ce qui nous a conduit à consolider la campagne “savoir pour tous” par des mesures supplémentaires visant notamment la promotion du livre et de la lecture en tant qu’instruments nécessaires à l’acquisition du savoir et à l’émancipation de l’individu et de la société. Je lance un appel à tous les citoyens pour participer à cette campagne de promotion du livre et de la lecture, et pour y contribuer en rendant disponibles des lieux de lecture, des livres ou des ressources financières, ou en déployant des efforts dans l’enseignement et l’éducation des citoyens.»

En fait, ce mouvement s’inscrit dans un vaste programme de modernisation dans lequel s’est engagée la Mauritanie depuis une décennie. Un programme visant entre autres la généralisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication et la vulgarisation du savoir pour un changement radical des mentalités, considérées souvent comme étant des obstacles au développement du pays. «Cette ambition ne saurait se réaliser sans qu’un intérêt primordial ne soit accordé aux sources du savoir et en particulier au livre. On ne peut, par conséquent, imaginer une renaissance culturelle n’ayant pas comme fondement le livre, la composante essentielle du progrès culturel», explique le ministre de l’Intérieur, Lemrabott Ould Sidi Mahmoud, dont le département a la charge de la gestion du projet. Cette initiative, en plus de ses incidences économiques, est donc appelée, selon les autorités mauritaniennes, à donner un élan à la conscience civique et au développement des mentalités, basé sur la maîtrise des sciences et du savoir scientifique et technique.

Comment assurer la coordination?

Pour coordonner les actions, une commission ministérielle, présidée par le Premier ministre, a été constituée. Elle a pour objectif premier de définir les différents aspects culturels et scientifiques touchant au développement en vue de constituer des fonds des bibliothèques. Des commissions sectorielles, composées de plus de 60 experts nationaux, ont été aussi mises sur pied autour des thèmes suivants: agriculture, élevage, environnement, pêche, santé, bâtiment, industrie, utilisation de l’Internet et communication.

Quant à la gestion de la campagne de collecte de fonds, lancée en août dernier, une commission nationale ainsi que des commissions régionales présidées par les autorités locales, avec la participation des maires, ont été mises sur pied pour en surveiller le bon déroulement.

Dans le cadre de la sensibilisation et de la mobilisation nationale, il est prévu d’installer des paraboles dans toutes les localités où s’ouvriront des bibliothèques. Près de 1.000 agglomérations ont déjà été identifiées pour l’installation de ces bibliothèques.

Des caravanes de l’Internet seront aussi organisées pour faire parvenir le livre dans les endroits non dotés de bibliothèques. En fait, la Mauritanie s’est dotée d’une stratégie nationale dont les principaux axes sont le développement des moyens d’accès pour tous à la société d’information, la valorisation des ressources humaines, la modernisation de l’administration par l’outil numérique, et la visibilité de la Mauritanie sur le web.

Pour la commande des livres «dans les meilleures conditions et par les voies les plus appropriées», une opération de prospection du marché du livre dans différents pays a été aussi lancée. Et les premiers lots, en provenance de certains pays arabes, ont commencé à être reçus au niveau du ministère de l’Intérieur.

Mobilisation générale et craintes

En vertu d’un accord de partenariat, signé début octobre 2002 entre le ministère de l’Intérieur et des Télécommunications et le Commissariat aux droits de l’homme et à la lutte contre la pauvreté, 300 diplômés chômeurs ont été recrutés pour la gestion des bibliothèques communautaires, baptisées «Maisons du livre». Au ministère de l’Intérieur, on indique que cet accord traduit le lien étroit existant entre l’initiative de promotion du livre et de la lecture et le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. En fait, la réduction de la pauvreté est une autre priorité du gouvernement mauritanien qui s’est engagé à la réduire de 46,3% à 12% d’ici à l’an 2015.

En réponse à l’appel du gouvernement, la Confédération nationale des employeurs de Mauritanie (CNEM) s’est engagée à construire et équiper 53 bibliothèques. Le montant de la contribution du patronat mauritanien s’élève à 1,6 milliard d’ouguiyas. Toujours dans le cadre de la mobilisation, le ministère de l’Intérieur a organisé en octobre un «Téléthon» de deux jours à travers la télévision nationale. L’opération a permis de collecter plus de 300 millions d’ouguiyas à travers le pays.

Certes, la mobilisation est générale, mais beaucoup d’observateurs s’interrogent sur la pérennité de cet élan national. «Ce sont des gestes à saluer, mais en réalité ils sont conjoncturels et ne répondent à aucun engagement de principe. On s’engage, puisque les autres l’ont fait, tout en battant des pieds et des mains pour se faire remarquer le mieux possible», lit-on dans la presse indépendante et murmure-t-on au niveau de l’opposition. Pour Hindou Mint Aïnina, rédactrice en chef du “Calame”, dans cette campagne il y a plus de slogans et d’applaudisseurs que d’engagements: «Récompenser l’incompétence est, apparemment, le maître mot de cette nouvelle ère, le principe vital d’un système déserté de tout principe, ennemi du savoir vrai et de l’intelligence, n’en déplaise aux applaudisseurs et autres laudateurs du slogan “savoir pour tous”», écrit-elle.

En attendant, on peut se demander si le pays du million de poètes est en passe de devenir le pays des deux millions et demi de lecteurs.


SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2003 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement