ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 450 - 15/02/2003

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Burundi
Entre guerre et paix


GUERRE CIVILE


Essai d’analyse de la situation politique et sécuritaire

Le gouvernement burundais a signé, vers la fin de l’année 2002, trois accords de cessez-le-feu avec trois mouvements rebelles, ou avec certaines de leurs factions. D’abord le 7 octobre 2002, avec les Forces de défense de la démocratie (FDD) dirigées par un jeune colonel, Jean-Bosco Ndayikengurukiye, et avec les Forces nationales de libération (FNL) d’Alain Mugabarabona. Ensuite, le 3 décembre 2002, un autre accord de cessez-le-feu est intervenu avec l’autre partie des FDD dirigée par Pierre Nkurunziza. Malgré tous ces accords, les armes ne se sont pas tues. Pourquoi?

Le Burundi se trouve entre deux périodes critiques de son processus de paix. Après presqu’une décennie de guerre civile, les politiciens, autour de l’ancien président sud-africain Nelson Mandela, principal médiateur dans la crise, ont pu s’entendre sur les origines du mal burundais, les problèmes de bonne gouvernance, la question des sinistrés de guerre et la reconstruction nationale.

Mais si les politiciens ont pu obtenir les dividendes de leurs négociations qui se sont déroulées à Arusha, en Tanzanie, (postes au sein du gouvernement, de l’administration, de la diplomatie, etc.), le citoyen burundais moyen attend toujours l’essentiel: la paix.

Accords violés

Après la signature de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, le 28 août 2000, les mouvements politiques armés qui n’avaient pas pris part aux négociations ont à leur tour intensifié la guerre, faisant autant de victimes civiles que militaires. Le mouvement du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) a vu en son sein des éléments hostiles à l’accord: les FDD. Le gouvernement d’union nationale issu de l’accord d’Arusha a tenu à rechercher tous les groupes rebelles pour arriver à un accord global de paix. Des pourparlers assez difficiles, tenus à Pretoria et au Cap (en Afrique du Sud), à Arusha (Tanzanie) et à Libreville (Gabon) entre 2000 et 2002, ont fini par convaincre les rebelles des FDD (toutes factions confondues) et des FNL de signer une trêve avec le gouvernement, comme dit plus haut.

Ainsi, pour la première fois depuis 1994, la capitale Bujumbura a pu passer les fêtes de Noël et de Nouvel An dans la quiétude. Les seuls coups de feu entendus étaient tirés par des militaires gouvernementaux, autour de minuit, pour célébrer la venue du Nouvel An.

Mais peut-on dire pour autant que la guerre soit finie? Loin de là. La trêve n’a été que d’une courte durée. Depuis le début de l’année 2003, l’armée a régulièrement accusé les rebelles des FDD de violation du cessez-le-feu. Alors qu’ils avaient convenu de suspendre les hostilités, de cesser tout acte de violence contre la population et toute action susceptible d’entraver la bonne mise en œuvre du processus de paix, sur le terrain c’est tout le contraire: attaques dans le nord, l’ouest et l’est, vols a main armée, pillages, destructions méchantes et incendies de maisons…

Dans l’archidiocèse de Gitega (centre), des chrétiens ont été forcés par des bandes armées d’interrompre la messe dominicale et de leur verser des sommes d’argent. Dans cette même province de Gitega, près de 60.000 personnes ont dû se déplacer, suite aux combats entre l’armée gouvernementale et les rebelles des FDD durant la troisième semaine du mois de janvier 2003. L’armée est aussi venue aux prises avec des rebelles des FNL, une faction dirigée par un certain Agathon Rwasa, dans les maquis de l’ouest du Burundi, vers le sud de Bujumbura.

Pour comprendre pourquoi la guerre ne s’arrête pas au Burundi, il faut d’abord connaître la géopolitique régionale des Grands Lacs d’Afrique centrale. Il y a près de dix ans, deux armées nationales se sont disloquées. Au Rwanda, en juillet 1994, les Forces armées rwandaises du président Juvénal Habyarimana ont été vaincues par une rébellion, les Forces patriotiques rwandaises du général Paul Kagame, l’actuel président.

En République démocratique du Congo, en 1997, les Forces armées zaïroises du maréchal Mobutu ont été battues par une rébellion dirigée par un certain Laurent-Désiré Kabila. C’est un secret de polichinelle que les rebelles burundais s’approvisionnent en armes auprès de ces deux armées vaincues et disparues dans la nature de l’est du Congo. Des instructeurs militaires de la rébellion burundaise sont également recrutés au sein des anciens militaires rwandais.

Par ailleurs, après le Nouvel An, les rebelles des FDD ont été approvisionnés en nourriture par l’Union européenne dans leur retranchement de la Kibira, une forêt primaire du nord-ouest du Burundi. Ce geste humanitaire exécuté par l’Agence de coopération technique allemande (GTZ) a été interprété par certains comme une bonbonne d’oxygène donnée à une rébellion qui n’a pu conquérir de portion du territoire national. Nulle part ailleurs dans le monde on n’avait jamais vu une rébellion armée être nourrie par la communauté internationale. D’autres observateurs ont plutôt compris que celle-ci a voulu donner une chance à la paix, en enlevant aux FDD le prétexte de la faim pour continuer les pillages.

Un nouvel accord

Le 27 janvier 2003 à Pretoria, les FDD et les combattants FNL d’Alain Mugabarabona ont signé avec le président Buyoya un nouveau mémorandum portant sur la cessation permanente des hostilités et l’arrêt de toute forme de violence. Dans cet accord complémentaire, les FDD ont obtenu des points d’approvisionnement en vivres pour leurs combattants dans la Kibira et dans la province orientale de Ruyigi. Les signataires se sont aussi mis d’accord sur la mise en place d’une commission conjointe du cessez-le-feu, avec des observateurs militaires de l’Union africaine qui doivent se déployer rapidement pour surveiller la mise en application de l’accord. Les leaders Jean-Bosco Ndayikengurukiye et Alain Mugabarabona se sont même engagés à rentrer d’exil le 10 février 2003, pour être intégrés dans les institutions de la transition au Burundi (gouvernement, Assemblée nationale, Sénat…).

Ce qui reste déconcertant, c’est que l’autre leader du Palipehutu-FNL, Agathon Rwasa, continue à bouder la table des négociations, alors que ses combattants tiennent toujours les maquis de l’ouest où ils font des incursions contre les positions de l’armée régulière dans les hauteurs qui surplombent le lac Tanganyika. Ils se caractérisent aussi par des tueries contre des administrateurs locaux accusés d’être en bons termes avec les militaires gouvernementaux, ils forcent les gens à cotiser en nature et en argent, et enlèvent de temps en temps des civils. Il semble cependant que le FNL de Rwasa ne soit pas insensible aux sollicitations de paix. Une initiative des évêques catholiques de Bujumbura et Bubanza et du président d’un jeune parti, le Mouvement socialiste panafricain-Inkinzo, pour une médiation politique avec le gouvernement commencerait à porter des fruits. M. Agathon Rwasa a finalement accepté de rencontrer le médiateur Nelson Mandela pour lui exposer les raisons qui l’ont poussé à prendre les armes.

Par ailleurs, les Burundais sont victimes de la rivalité entre Tanzaniens et Sud-Africains dans la médiation. La Tanzanie, qui a abrité les négociations de paix ayant abouti à l’accord historique du 28 août 2000, est accusée par Bujumbura de servir de base arrière aux combattants des FDD. Et ceux-ci ont à maintes reprises récusé le facilitateur sud-africain Jacob Zuma, l’accusant de partialité en faveur des thèses gouvernementales. Les Tanzaniens doivent aussi se sentir frustrés de n’avoir pas été pressentis pour envoyer des troupes d’interposition, en plus des Sud-Africains, des Mozambicains et des Ethiopiens.

Incertitudes

Dans toutes les tractations politiques en vue de l’arrêt de la guerre au Burundi, le gouvernement de Bujumbura a toujours négocié en position de faiblesse. Il court derrière les rebelles pour leur arracher des accords de cessez-le-feu, car il n’a plus le choix. Un embargo de trois ans (1996-1999) l’a sérieusement fragilisé; les caisses de l’Etat sont vides; les promesses faites par les bailleurs de fonds lors des réunions de Paris et de Genève en 2001 et en 2002, tardent à se concrétiser; les mouvements de grogne sociale se sont multipliés chez les enseignants et dans la magistrature; la monnaie nationale a perdu énormément de valeur (en 1985, $1 = 90 Fbur; en 2003, $1 = 1.050 Fbur); le prix du café, première matière d’exportation burundaise, a chuté sur les marches internationaux…

Une autre menace de reprise des hostilités plane toujours sur le pays. Trois leaders ex-rebelles qui ont signé l’accord d’Arusha, en août 2000, disent attendre le moment de la restructuration des forces de défense et de sécurité pour amener leurs combattants. Il s’agit de Léonard Nyangoma du CNDD, de Joseph Karumba du Front pour la libération nationale (Frolina) et d’Etienne Karatasi du Parti pour la libération du peuple hutu (Palipehutu). Les mouvements armés qui viennent de signer des accords de cessez-le-feu à Pretoria sont des factions dissidentes de ces partis.

Quant à la population burundaise, rurale à plus de 90%, elle ne sait souvent plus à quel saint se vouer. Dans les provinces où sévissent les rebelles, elle est obligée de collaborer avec les bandes armées sous peine d’être massacrée. Cette collaboration revêt la forme de cotisation financière, d’apports en nourriture, de transport de matériel et même de logement des rebelles. Cela se fait généralement depuis la tombée de la nuit. Pendant la journée, la même population semble s’entendre avec les forces armées gouvernementales. C’est un jeu malsain.

Maintenant que de nouveaux accords de cessez-le-feu viennent d’intervenir, on peut espérer que les moments les plus durs sont passés, et que le pays se trouve enfin entre les affres de la guerre qui va finir et l’aube de la paix qui pointe à l’horizon.

  • Gérard Mfuranzima, Bujumbura, février 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source

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