ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 453 - 01/04/2003

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


Burkina Faso
La parenté à plaisanterie


VIE SOCIALE


Un garde-fou pour la cohésion sociale

Appelée alliance catharsis, ou «sinakuya» en dioula (une langue de l’ouest du Burkina),ou «rakiré» en mooré (langue du plateau central et du centre), la parenté à plaisanterie fait partie des différents garde-fous que s’est donnés l’Afrique pour préserver la paix et favoriser la coexistence pacifique.

Elle s’observe dans presque tous les groupes ethniques burkinabé, mais peut revêtir des formes diverses. Ni l’âge, ni le sexe, ni la fortune ou la position sociale ne peuvent constituer une entrave quelconque au libre exercice des prérogatives de la parenté à plaisanterie. De bon cœur, on accepte toutes les invectives, toutes les fautes, même les plus inopportunes, de la part d’un parent à plaisanterie.

Appelé le «marché de la haine» par certaines ethnies du Burkina, la dimension humaine de la parenté à plaisanterie est d’une importance capitale pour nos sociétés. Pourrait-t-elle aussi apporter quelque chose à la construction de la sous-région?

Suivant la tradition, elle trouve son origine dans les règles du totémisme. Son but principal est le maintien — entre des individus, des familles ou des collectivités — des liens qui se sont manifestés à la suite de circonstances et d’événements heureux ou malheureux.

La parenté à plaisanterie se vit d’abord à l’intérieur de groupes d’une même famille, entre les clans et les groupes ethniques. Elle est de tous les continents (et non pas l’apanage de l’Afrique) et est à plusieurs facettes. Elle se veut un lien de parenté qui s’exprime par le rire. En Amérique du Nord, le fils de la sœur peut «tuer les cochons de son oncle pour s’amuser» et le neveu peut prendre tout ce qu’il veut chez ses oncles.

On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. Elle a une dimension de cohésion sociale incontournable. Les relations qu’elle crée font que les frontières ne sont plus des barrières mais plutôt un signe d’identité. La cohabitation est toujours source de tension et la parenté à plaisanterie permet de codifier des règles sociales sur un certain nombre de valeurs permettant de vivre en paix.

Pour Monseigneur Anselme Sanon (qui a écrit sur ce sujet en 1969), la parenté à plaisanterie est un acte culturel très important. Il s’agit, selon lui, de populariser le monde des relations. Sans être un modèle absolu, elle peut inspirer la mise en place de codes sociaux qui permettent une meilleure intégration des peuples. Elle devrait aussi être prise en compte dans les politiques d’éducation au profit des enfants: elle permettrait, à n’en pas douter, non pas de supprimer les frontières mais de les transcender.

Raffermir les relations sociales

La parenté à plaisanterie raffermit les relations sociales entre groupes ethniques. Prenons l’exemple de ce qui s’est passé à des funérailles.

Un jour, j’avais revêtu ma mine de circonstance pour me rendre au domicile d’un voisin qui venait de mourir. Je me suis mêlée à la foule éplorée, composée de parents plus ou moins proches et d’amis plus ou moins intimes. Ne sachant comment me comporter en ce lieu qui ne m’était pas familier, je me suis contentée de suivre le mouvement de la foule. Dans la cour, toutes les conversations se faisaient à voix basse, même les phrases les plus creuses étaient tolérées. L’essentiel, c’était de traduire une émotion ou, à défaut, de la tristesse. Tout était calme. La veuve était invisible, recluse quelque part dans une chambre, avec des vieilles femmes de compagnie.

Les gens rentraient sans cesse, les pas étaient feutrés. Tout à coup, un monsieur tonitruant arrive. Il marche comme s’il était au marché et parle fort. Ignore-t-il la raison de notre présence? Est-il saoul? Fou, peut-être? Mais qu’on le fasse donc sortir! Pourtant, personne ne réagit. Le fou continue de vociférer s’adressant à l’assemblée: «Ah, il paraît qu’il est enfin mort! C’est bien fait. Vous tous qui êtes ici, vous allez mourir comme lui. Faites-le sortir, on va l’enterrer. De toute façon, c’est un bon débarras. Il va rejoindre son vieux père qui l’a devancé l’année dernière».

Je sentais que j’allais perdre mon calme. Je me ressaisis. Mais pas pour longtemps. Car, arrivée au cimetière, quelle n’est pas mon indignation de voir «mon fou» se précipiter à l’intérieur de la tombe, et refuser qu’on enterre le défunt. Après bien des négociations soldées de dons (en signe de pardon), la famille arrive à le faire sortir. A ce moment, un parent du défunt me souffle à l’oreille qu’il s’agit d’un Yadga (une ethnie du nord du Burkina), un «rakiré» ou parent à plaisanterie du défunt qui était Gourmantché.

Ce qui avait failli provoquer ma colère n’était qu’une des multiples facettes de la parenté à plaisanterie au Burkina Faso. Cependant, grâce à cet intermède insolite, l’atmosphère s’était détendue et les gens paraissaient moins tristes. Le défunt devait l’être aussi... En tout cas, les coutumes ont été respectées. C’est l’essentiel.

Version familiale

La parenté à plaisanterie, bien qu’existant sous des formes diverses dans d’autres sociétés, a une place de choix dans les relations inter-ethniques. Il existe une parenté à plaisanterie entre chaque groupe ethnique et ses voisins avec qui on a eu soit de très bonnes relations, soit des contacts fâcheux. Cette relation bien particulière a défié les siècles pour se maintenir jusqu’à nos jours. La parenté àplaisanterie a survécu parce qu’elle constitue un cadre pour résoudre d’importantes questions sans soulever de passions.

Elle existe aussi au sein des familles, où la cohésion est le support d’un ensemble soudé. Comme il est évident que la famille ne manquera pas d’accrocs dans les relations entre ses membres, la parenté à plaisanterie sera une sorte de régulateur pour apaiser les tensions. Ainsi, entre petits-fils ou arrière-petits-fils et grand-père ou arrière-grand-père, il est rare qu’on hausse le ton. On assiste souvent à des scènes comiques et la plupart du temps tous les problèmes sont résolus.

Cette relation est souvent mise à profit par les grands-parents pour jauger l’humeur des brus à leur égard ou, autre cas fréquent, la relation entre l’épouse et les jeunes frères et sœurs de son mari. Là encore, cette relation a pour objet principal d’éviter que les malentendus ne dégénèrent. Il peut, en effet, arriver que la femme, excessivement jalouse, tente d’isoler son mari et le garder pour elle seule. Les petits frères de l’époux pourront, grâce à la parenté à plaisanterie, remettre les pendules à l’heure. Le même scénario peut se produire pour un mari pris en otage par ses parents.

Une des utilisations les plus fréquentes de la parenté à plaisanterie est celle qui lie un homme aux frères et sœurs de sa femme. Ici, cette relation est vraiment utile, car très souvent elle permet de mettre fin aux conflits conjugaux et surtout elle met la femme à l’abri des mauvais traitements. Entre l’homme et ses beaux-frères, il n’y a vraiment pas de secrets et toutes les vérités sont dites crûment, même si c’est sur un ton de plaisanterie.

Par extension, il s’est installé un même système entre les familles. On voit aussi des villages entiers qui sont des parents à plaisanterie pour d’autres.

Jusqu’où ne pas aller?

«En toute chose, l’excès nuit», dit la sagesse populaire. Mais tout comme il est difficile de dire comment le phénomène est né, il est tout aussi difficile de déterminer la limite à ne pas dépasser. Comme le révèle la pratique, la parenté à plaisanterie recouvre une gamme étendue d’individus ou de groupes. Elle peut exister entre membres d’une même famille, entre villages voisins, entre alliés ou entre ethnies, ce dernier cas étant le plus caractéristique au Burkina.

La coutume qui dispose ainsi de cette pratique (les règles n’étant énumérées nulle part) fait de la parenté à plaisanterie une forme d’exutoire communautaire, où l’on simule la guerre pour ne pas la vivre en réalité. Comme toute disposition coutumière, l’interprétation a force de loi. Et c’est au cas par cas, sinon acteur par acteur, que les garde-fous sont fixés. En clair, il revient à chaque acteur du jeu de trouver les limites à ne pas dépasser pour ne pas rompre le contrat tacitement établi.

Néanmoins, quelques principes que l’on qualifierait de généraux sont établis. Ainsi dans le cas des alliances à plaisanterie entre ethnies, certains acteurs proscrivent la référence à la maman. Il est donc interdit de s’en prendre à la mère de son vis-à-vis. De même, dans le cas des alliances entrelacées, entre collatéraux par exemple, il est entendu que le petit frère du mari et la femme de celui-ci sont des protagonistes de choix.

Mais les libertés que les deux peuvent se permettre l’un envers l’autre ne doivent pas franchir la barrière du sexe. Le sexe est ainsi l’un des garde-fous les plus solides en matière d’alliances à plaisanterie. Si la règle veut que tout soit permis en la matière, l’interdit du sexe est l’exception qui la confirme le plus couramment. De même, la parenté à plaisanterie est proscrite entre époux, dont les liens matrimoniaux ne sauraient être considérés comme ludiques.

Au total, dans la société traditionnelle dont elle est un élément régulateur, la parenté à plaisanterie n’a que quelques rares interdits, mais pas de limite. Elle peut aller de la simple remarque désobligeante à l’injure grossière, et même jusqu’à ce qui pourrait être considéré ailleurs comme une profanation car, malgré le respect que nos sociétés accordent à la mort, la dépouille d’un parent à plaisanterie peut être proprement raillée, sans autre forme de procès, dans le but surtout de rompre la tension et de réduire la douleur des proches par la banalisation.

Et pourquoi pas dans les conflits?...

Si la parenté à plaisanterie remonte à la nuit des temps, les dérapages qu’elle a pu entraîner sont rarissimes, sinon inexistants. Bien au contraire, on en dit plutôt du bien et il y a des pays qui l’envient au Burkina. C’est peut-être pourquoi on voudrait la prescrire aux sociétés aux conflits ethniques récurrents comme celles des Grands Lacs. Elles pourraient se contenter de simuler la guerre par le jeu de la plaisanterie pour ne pas en arriver à la faire sérieusement. Car, comme le suggèrent certains, là où le dialogue politique n’a pas réussi, la parenté à plaisanterie peut parfaitement réussir au nom de la complémentarité et de la fidélité qui caractérisent ce type de relation.

La parenté à plaisanterie est donc un précieux recours aux mains de la société traditionnelle africaine, qui doit œuvrer à la préserver soigneusement, car elle est un instrument de régulation des conflits. Malheureusement, on constate avec amertume que, de nos jours, les hommes confrontés à de multiples problèmes, ont tendance à négliger la parenté à plaisanterie, quand ils ne la considèrent pas comme un reste d’archaïsme.

  • Sarah Tanou, Burkina Faso, décembre 2002 — © Reproduction autorisée en citant la source

SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2003 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement