ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 453 - 01/04/2003

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Ouganda
L’indépendance du pouvoir judiciaire


JUSTICE


Situation tendue entre le pouvoir judiciaire et le président Yoweri Museveni...

 

Les juges ont averti le président Yoweri Museveni que, s’il persiste à les accuser de partialité à l’encontre du gouvernement du Mouvement national de la résistance (NRM), cela pourrait éroder l’indépendance du pouvoir judiciaire

Cet avertissement a été adressé au président Museveni avec un mémorandum, en août dernier, suite aux attaques persistantes contre les juges et les magistrats, les accusant d’être peu patriotes, partisans, partiaux à l’égard du gouvernement du NRM, corrompus et totalement incompétents. Cette réaction, déjà dans l’air depuis longtemps, est le résultat de toute une série d’événements.

En avril 2001, Museveni avait loué la Cour suprême pour avoir rejeté, par trois voix contre deux, la pétition du candidat à la présidentielle, le Dr Kizza Besigye, colonel à la retraite, actuellement en exil, qui contestait la victoire électorale de Museveni en mars 2001. Dans sa plainte, Besigye dénonçait des irrégularités allant de violences perpétrées par les agents de la sécurité, avec intimidation des électeurs, à la corruption et truquage de votes, en passant par le manque d’efficacité de la Commission électorale. Tout en le respectant, M. Besigye contestait le jugement de la Cour suprême.

Museveni, lui, avait déjà exprimé son mécontentement pour les deux juges qui avaient appuyé la requête de Besigye, les accusant de manque de patriotisme et de partialité. Il avait même menacé d’ouvrir une enquête, conduite par des juges étrangers, pour corruption et faute professionnelle.

Le 11 juillet 2002, il avait déclaré à des journalistes que certains candidats du système du Mouvement sans partis politiques avaient perdu les élections parce que les tribunaux étaient pleins de juges favorables au multipartisme. A l’avenir, avait-il conclu, les criminels seraient jugés par des tribunaux militaires, parce que les tribunaux civils les relâchent trop facilement.

Dans leur réponse, les juges déclarèrent: «Il ne faut pas s’attendre à ce que la Cour constitutionnelle interprète toujours les dispositions de la Constitution conformément aux opinions du gouvernement, même si elles sont défendues avec passion. Aucun tribunal n’est obligé de confirmer les résultats d’une élection entachée de vices de forme, pour la seule raison que le candidat déclaré gagnant est le candidat du gouvernement, ou inversement, d’annuler des élections valides parce que le candidat du gouvernement est le perdant et a déposé une requête auprès du tribunal». Ils ajoutèrent que si le gouvernement n’est pas d’accord avec une décision du tribunal, il doit se pourvoir en appel et en accepter et respecter le verdict final.

Les jugements de cas politiques

Les hommes politiques ont réagi de façon mitigée aux jugements de cas politiques. Mais le 17 décembre 2002, le ministre de la Défense, Amama Mbabazi, a attaqué la cour d’appel pour avoir maintenu la décision de la Haute Cour d’annuler son élection comme député de Kinkizi-ouest, dans le district de Kanungu. La Cour avait reconnu fondées les accusations d’irrégularités présentées par son opposant, James Musinguzi: intimidation des électeurs, truquage des urnes, corruption et violence. Refusant leur jugement, Mbabazi avait demandé à la Cour de le revoir, car, disait-il, «il y avait une crise de confiance dans les tribunaux». Mbabazi est considéré, dans certains milieux, comme un successeur possible du président Museveni qui, selon la Constitution, arrive au terme de son mandat en 2006.

Accusations de corruption

En juillet 2002, le président déclarait que les tribunaux étaient inutiles puisqu’ils relâchent des criminels coupables, accroissant ainsi le taux des violences.

Les juges se sont défendus en répondant que le président lançait des accusations sans citer aucun cas particulier comme preuve. Ils ont exigé que «les juges et magistrats honnêtes, qui s’acquittent de leurs fonctions avec dévouement professionnel et zèle, soient épargnés de telles accusations indignes pour des fautes dont ils ne sont pas coupables».

Les juges déconseillent vivement au président d’ouvrir une enquête générale présidée par des juges étrangers à propos de la corruption et des fautes professionnelles dans le système judiciaire. Ils disent que les juges et les magistrats ne sont pas au-dessus de la loi et qu’ils peuvent être punis légalement, même licenciés de leur fonction, pour avoir manqué à leur devoir.

Le 5 octobre 2002, lors d’une conférence en Ouganda de l’Association des juges et des magistrats de l’Afrique de l’Est, le président de la Cour suprême, Benjamin Odoki, admettait l’existence de la corruption dans le judiciaire, mais, précisait-il, elle n’est pas aussi répandue qu’on le dit. Il est vrai que certains magistrats ont demandé ou reçu des pots de vin, soit directement, soit par des intermédiaires. Mais, d’autre part, certains plaignants malveillants prétendent avoir soudoyé un juge ou un magistrat, tandis que d’autres, mécontents, disent avoir perdu leur procès parce que la partie adverse avait soudoyé le juge.

Les tribunaux militaires

Les juges ont aussi déconseillé au président de transférer la juridiction des tribunaux à des cours militaires, lui conseillant, au contraire, d’investir plus dans le secteur de la justice criminelle, pour améliorer la qualité des enquêtes et des poursuites et accélérer la procédure.

Cependant, des centaines de voleurs à main armée et de criminels sont déjà jugés par une cour martiale militaire. Ils avaient été appréhendés lors d’une opération conjointe de la police, de l’Organisation de la sécurité interne, et d’autres agences. Cette opération, appelée en code «Opération Wembley», avait été lancée le 25 juin 2002, pour combattre la vague de criminalité dans le pays. Plus de 50 présumés criminels avaient été tués au cours de cette opération controversée. Les hommes de loi et les défenseurs des droits de l’homme ont qualifié cette opération de style militaire de tuerie, d’illégale et d’anticonstitutionnelle.

Soulignant que l’impartialité est l’essence de la justice, les juges ont précisé que, de par leur fonction, ils sont obligés de dire la justice sur base de preuves produites en leur présence, et d’appliquer la loi de la même façon à toutes les parties en cause. Les personnes arrêtées sont poursuivies en justice pour être jugées, et non pas pour que le tribunal ratifie les décisions du policier qui les a arrêtées.

La présomption d’innocence

Se défendant des critiques les accusant de relâcher — soit sous caution en attendant le procès, soit par acquittement — les personnes accusées de crimes, les jugent affirment: «C’est un principe fondamental de notre système de justice qu’une personne accusée d’une offense criminelle doit être présumée innocente tant qu’elle ne plaide pas coupable ou n’a pas été déclarée coupable». Ils disent aussi que c’est au juge investi du pouvoir de déterminer si un accusé est coupable ou innocent, sur base de la défense ou du poids des preuves apportées.

Le droit de l’accusé à la mise en liberté sous caution, sous certaines conditions, fait partie intégrante de la Constitution. C’est aussi au juge qu’il revient de déterminer si l’accusé remplit les conditions pour une telle mise en liberté.

Pour les juges, l’indépendance du pouvoir judiciaire en Ouganda a été sa force pendant des décennies et fait l’envie des autres pays de la région: «C’est cette force qui, malgré de nombreux obstacles dans le passé, a permis au pouvoir judiciaire de servir la cause des droits de l’homme et l’autorité de la loi».

Une chose est certaine: pour soutenir la démocratie, l’autorité de la loi et le respect des droits de l’homme, l’Ouganda doit pouvoir disposer d’un pouvoir judiciaire indépendant, respecté et sans peur.

  • Peter Bahemuka, Ouganda, janvier 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source

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