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DEVELOPPEMENT
L’article suivant aurait dû paraître dans notre “Spécial” du 1er janvier.
Etant arrivé avec un “petit” retard, nous sommes heureux de pouvoir le publier maintenant.
Qu’est-ce que le développement humain?
Le développement humain est un processus qui conduit à l’élargissement de la gamme des possibilités qui s’offrent à chacun. En principe, elles sont illimitées et peuvent évoluer avec le temps. Mais quel que soit le stade de développement, elles impliquent que soient réalisées trois conditions essentielles: vivre longtemps et en bonne santé, acquérir un savoir, et avoir accès aux ressources nécessaires pour jouir d’un niveau de vie convenable. (Rapport PNUD 1990)
L’IDH est un indicateur qui comprend depuis 1992 [rapport 1995] trois variables: l’espérance de vie, le niveau d’éducation (mesuré, d’une part, par le taux d’alphabétisation des adultes et, d’autre part, par le taux combiné de scolarisation dans le primaire, le secondaire et le supérieur) et le revenu PIB par tête (corrigé en fonction des parités de pouvoir d’achat). L’IDH comporte une valeur maximale et une valeur minimale pour chaque critère, ce qui permet d’exprimer la position de chaque pays sur ces échelles par un chiffre compris entre 0 et 1. (Rapport PNUD 1991)
La Tunisie est un petit pays (10 millions d’habitants environ en 2000) avec un revenu intermédiaire ($2.100 par habitant en 2000) et un développement humain moyen. Elle est souvent considérée comme un pays «pré-émergent», avec une croissance moyenne en termes réels de 4,1% environ durant les vingt dernières années.(1) Elle a par ailleurs amorcé sa transition démographique au tournant des années ’80, d’où la forte décroissance de la population (3,2% au milieu des années ’80 et 1,3% en 2000).
Le développement humain
Avec un Indice de développement humain (IDH) de 0,722 en 2000, la Tunisie occupe une place médiane: 97e sur 173 pays. Son score correspond à la moyenne mondiale et comparativement elle se situe à une moyenne égale ou supérieure à celle des autres pays en développement (PVD). Au cours des deux décennies écoulées 1980-2000, elle a enregistré des progrès remarquables en matière de développement humain: l’IDH est passé de 0,566 en 1980, à 0,722 en 2000, soit une amélioration de plus de 1 point et demi. L’espérance de vie est aujourd’hui de 70,2 années, supérieure à la moyenne mondiale (66,9 années) et à celle de l’ensemble des PVD (64,7 années). Les progrès en matière de santé sont tout à fait remarquables.
Par contre, en matière d’alphabétisation des adultes (15 ans et plus), le score de 71% est insatisfaisant (soit un taux d’analphabétisme de 29%). En dépit de l’existence d’un programme national de lutte contre l’analphabétisme, ce fléau continue à sévir et à hypothéquer les progrès en termes de développement humain.
Au niveau de la scolarisation (tous niveaux confondus), la Tunisie avec un taux brut de 74%, nettement supérieur à la moyenne mondiale (65%) et à celui des pays à développement humain moyen (67%), enregistre de bonnes performances reflétant la préoccupation constante des pouvoirs publics depuis l’indépendance.
Malgré la conjoncture fortement baissière au milieu des années ’80 et l’ajustement structurel qui l’a suivie, la croissance économique a pu se maintenir, bon an mal an, autour de 4,1%. Avec un taux de croissance démographique moyen de 2% entre 1980 et 2000, le niveau de vie moyen (mesuré par le PIB par tête) a progressé au rythme moyen de 2,1%. Cependant, évalué en parité du pouvoir d’achat en l’an 2000, le PIB par tête (6.363 $ PPA) place la Tunisie au 71e rang alors que pour l’IDH, comme nous l’avons vu, elle était 97e, soit un déclassement de 26 places (un des plus élevés au monde). Ceci reflète un manque d’efficience, c’est-à-dire de traduction de la croissance économique en progrès correspondants en matière du développement humain.
Enfin, récemment le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), au niveau de la région arabe (1er Rapport sur le développement humain arabe 2002), a modifié l’IDH en ajoutant 3 composantes pertinentes: un indicateur de liberté (Freedom House ajusté), un indicateur de participation de la femme (IPF, depuis 1997) et un indicateur relatif à la connexion à l’Internet. Force est ici de constater pour la Tunisie que, sur une échelle variant de 0 à 1, l’indicateur des libertés est à 0,18 en 1998 (parmi les plus bas au monde); pour l’IPF, la Tunisie affiche un score comparativement faible 0,25; et enfin, pour les ordinateurs connectés à l’Internet, le nombre pour 1.000 habitants était en 1998 quasi négligeable. Ces contre-performances (générales pour le monde arabe) incitent à mettre l’accent sur ces 3 défis majeurs (démocratie, égalité des sexes et insertion active dans le système mondialisé des nouvelles technologies de l’information et de la communication – NTIC).
Evolution de la pauvreté
Pendant les deux dernières décennies, la Tunisie a consenti des efforts soutenus en matière de réduction de la pauvreté qui ont été accompagnés par des résultats tangibles. Malgré les biais méthodologiques qui entachent les estimations de l’INS(2), à l’échelle nationale, la population des plus démunis en pourcentage de la population totale (taux de pauvreté) a été en constante diminution: 12,9% en 1980, 4,2% en 2000. Pendant la même période, le nombre de personnes démunies a baissé de plus de la moitié, passant de 823.000 à 399.000 entre 1980 et 2000. Dans l’espace, la réduction de la pauvreté a beaucoup plus profité au milieu rural où le taux de pauvreté est passé de 14,1% (1980) à 2,9% (2000), soit une amélioration de 11,2 points, alors qu’au milieu urbain l’amélioration n’a été que de 6,8 points. Par ailleurs, la pauvreté a été plus aiguë dans le milieu rural, jusqu’au renversement de la tendance en 1982. Cette «urbanisation» de la pauvreté serait en partie due à la rapide progression du taux d’urbanisation. Dans le milieu urbain, on a même constaté une augmentation du nombre des pauvres pour la période 1985-1995.
Le profil type du pauvre, tel qu’il ressort des recensements et enquêtes sur les budget des ménages, présente les caractéristiques suivantes:
- il vit en milieu urbain (la pauvreté en milieu urbain touche 5% de la population contre 2,9% en milieu rural) des régions nord-ouest, centre-ouest et sud-ouest;
- il est au chômage ou issu d’une famille dont le chef de ménage est au chômage;(3)
- il est issu d’un ménage formé de plus de 7 personnes;
- il réside dans un logement rudimentaire ou gourbi.
- Une analyse plus fine permet de préciser davantage ce profil. Il s’agit d’une personne plutôt analphabète, sans accès à l’eau potable et aux soins de santé, généralement de sexe féminin, et exerçant dans le secteur informel(4).
La pauvreté humaine
Le dénuement n’étant pas que monétaire, le PNUD a introduit, dans son Rapport sur le développement humain 1997, le concept de la pauvreté humaine qui essaye de saisir la pauvreté sous l’aspect du manque (dépravation) de ce qui est essentiel non pas à la survie de l’individu, mais à une vie décente et à son épanouissement. L’indicateur de la pauvreté humaine (IPH) prend ainsi en considération dans son calcul, la longévité, le savoir et les conditions d’une vie décente et a pour objectif d’éclairer le côté socio-humain de la pauvreté. Selon le PNUD, en 1998, 21,9% de la population tunisienne souffriraient de la pauvreté humaine.
A travers la même méthodologie(5) que celle du PNUD, nous avons construit un IPH régional pour l’année 2000 dont la vocation est la mise en évidence des disparités régionales en matière de pauvreté humaine. Au niveau national, l’IPH est de 21,1%. L’analphabétisme (28,11%) constitue le premier déterminant de la pauvreté humaine en particulier pour 2 régions, le Centre-Ouest (43,6%) et le Nord-Est (38,6%), qui enregistrent les scores les plus élevés. De même, la probabilité élevée de décéder avant l’âge de 40 ans est un facteur important dans la détermination de l’IPH (17,89%) et concerne davantage les régions à l’intérieur du pays, Sud-Ouest (22,3%) et Centre-Ouest (23,6%). De son côté, l’insuffisance des infrastructures d’eau potable et de services de santé influe notamment sur les régions les plus pauvres venant aggraver leur situation (Centre-Ouest et Nord-Ouest).
Les programmes de lutte contre la pauvreté
L’amélioration des conditions de vie et l’allégement de la pauvreté ont toujours été au centre des préoccupations des pouvoirs publics en Tunisie. L’État consacre aux secteurs sociaux plus de la moitié de son budget. Les dépenses publiques d’éducation et de formation, d’intervention dans le domaine social, de soutien aux agriculteurs et au monde rural, de santé publique et de sécurité sociale continuent de représenter environ le cinquième du PIB et n’ont été affectées ni par les difficultés conjoncturelles ni par les programmes d’ajustement structurel. Plusieurs programmes et divers organismes concourent à la lutte contre la pauvreté. Ces programmes peuvent être classés en quatre catégories:
1. Les programmes d’aide et d’assistance sociale sont initiés essentiellement par le ministère des Affaires sociales et l’Union tunisienne de la solidarité sociale. Plusieurs programmes sont mis en œuvre et revêtent un caractère permanent ou occasionnel selon les populations ou les catégories sociales concernées, qui comportent les familles nécessiteuses, les enfants issus de familles nécessiteuses et les handicapés et personnes âgées nécessiteuses. Le Programme national d’aide aux familles nécessiteuses, qui touche 114.000 familles, constitue le principal programme d’aide permanente jamais mis en place en Tunisie (en gros, 1 dinar par jour par famille).
2. Le Programme de soutien à l’emploi et à la création de sources de revenus est formé de plusieurs dispositifs et mécanismes visant l’insertion professionnelle des jeunes et la promotion des micro-projets créateurs de sources de revenus. Parmi les principaux programmes on compte:(6)
- Le Fonds national de solidarité, plus connu sous le nom de «Fonds 26-26» créé en décembre 1992, qui intervient dans les zones d’ombre localisées dans les sous-délégations (subdivision des sous-préfectures) les plus reculées et les plus isolées. Entre 1993 et 2000, près d’un demi milliard de dinars tunisiens (1 euro=1,3 dinars) ont été dépensés dans 1.150 localités (électrification, eau potable, pistes rurales représentant ¾ des dépenses).
- De plus, depuis 1998, a été créée la Banque tunisienne de solidarité dont l’objectif est l’octroi de micro-crédits en faveur des petits entrepreneurs du secteur informel (3 à 4.000 dinars tunisiens en moyenne).
- Plus récemment encore, fin décembre 1999, a été créé le Fonds national de l’emploi 21-21 contribuant à l’assistance pour la création de micro-projets (auto-emploi) et d’insertion à la vie professionnelle notamment pour les diplômés du supérieur (le taux de chômage des diplômés du supérieur étant en augmentation sensible).
3. Les programmes d’amélioration des conditions et du cadre de vie comportent deux volets essentiels: la promotion de l’habitat social et l’amélioration du cadre de vie dans les quartiers populaires.
4. Les programmes de défense et d’intégration sociale s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie ayant deux objectifs majeurs: la prévention des ruptures scolaires précoces, des échecs scolaires et des inadaptations psychosociales des élèves, et la prévention de la délinquance juvénile et l’insertion des jeunes. Actuellement plusieurs centres de défense et d’intégration sociale ont vu le jour en Tunisie. Les populations ciblées par ces centres sont formées des enfants et des adolescents menacés par la délinquance et par l’échec et l’abandon scolaire précoce, ainsi que toutes les autres formes d’inadaptation psychosociale en milieu scolaire et familial.
Pour conclure...
En conclusion, la Tunisie a connu durant les deux décennies écoulées des progrès économiques certains et des améliorations manifestes en terme de développement humain. Toutefois, le rythme de la croissance reste en deçà (6 à 7%) de ce qui est nécessaire pour répondre aux demandes d’emploi. De plus, des gains en efficience (meilleure traduction de la croissance économique en développement humain) seraient nécessaires. Enfin, les défis de la démocratie, de l’égalité des sexes dans la direction des affaires politiques, économiques et administratives, et l’insertion dans le système mondialisé des NTIC sont à l’ordre du jour en matière de développement humain.
Concernant la pauvreté monétaire sous sa forme extrême, il est indéniable qu’elle a été fortement réduite en Tunisie et qu’elle doit être parmi les plus faibles dans les PVD. Il est certain que l’interventionnisme social continu des pouvoirs publics à travers une multitude de programmes a contribué à de tels résultats, même si les problèmes de ciblage et d’efficacité restent posés.
Par ailleurs, la forte persistance du chômage et la précarisation de l’emploi (extension de l’informel) continuent à affecter une part non négligeable de la population. La pauvreté humaine est comparativement encore répandue en Tunisie (plus du quart de la population) notamment dans les régions de l’intérieur (Nord-Ouest, Centre-Ouest) où l’analphabétisme et la difficulté ou le non-accès aux services de santé de base et à l’eau potable continuent à être sources de grandes préoccupations.
- Azzam Mahjoub, professeur d’Economie à l’université de Tunis, décembre 2002
NOTES - 1. 3,3% pour la période 1980-1990 et 4,9% pour la période 1990-2000 (BM) – 2. L’INS estime le taux de pauvreté en se basant sur le seuil de la pauvreté qui représente le coût d’un panier de biens alimentaires et non alimentaires indispensables à la vie. Le panier alimentaire doit avoir un apport nutritif pour un adulte estimé (en 1980) à 1866 Kcal (urbain) et 1830Kcal (rural). Son coût est calculé à la base des prix de 1980 et est ajusté chaque année en fonction de la variation des prix. A priori, l’INS fixe le seuil de pauvreté rural à 50% de celui du milieu urbain; ces seuils étaient respectivement en milieu urbain et milieu rural 120D et 60D en 1980 et 418D et 209D en 2000 par personne et par an. De facto, INS surestime la pauvreté urbaine par rapport à la pauvreté rurale. – 3. Taux de chômage en Tunisie: 15-16% (estim.). – 4. Le secteur informel contribue fortement à l’emploi non agricole. Selon l’INS, sa contribution est passée de 38,4% en 1975-1979 à 48,7% en 1995-1999. Les femmes représenteraient 18,1% de l’emploi informel. – 5. Les composantes de l’IPH pour les pays en développement, sont: a) probabilité de décès avant l’âge de 40 ans (longévité); b) taux d’analphabétisme des adultes (instruction) et trois indicateurs d’une vie décente; c) population n’ayant pas accès à l’eau potable; d) population n’ayant pas accès aux services de santé; et e) insuffisance pondérale des moins de 5 ans. Dans notre calcul de l’IPH régional, ces composantes ont été ajustées en fonction de la disponibilité des données. – 6. Les autres principaux programmes sont: le PRD (Programme rural de développement); le PDUI (Programme du développement urbain intégré); le PDRI (Programme du développement rural intégré); les chantiers nationaux et régionaux et le Programme des chantiers nationaux du développement; les Fonds d’insertion dans la vie active; et le Fonds national de promotion de l’artisanat et des petits métiers (FONAPRA)