ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 456 - 15/05/2003

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


 Côte d’Ivoire
Le difficile chemin de la paix


PAIX


Autant on avait applaudi lors des Accords de Linas-Marcoussis (France) le 24 janvier,
autant on risque de déchanter après la formation du gouvernement de réconciliation nationale.
Tant sont nombreux les obstacles à la paix.

Avec la formation, enfin, du gouvernement de réconciliation nationale, comprenant toutes les parties signataires des Accords de Linas-Marcoussis — les partis politiques significatifs et les mouvements rebelles — les belligérants ont-ils enfin emprunté le chemin de la paix?

Une paix tant recherchée aussi bien par les Ivoiriens, fatigués par cette “sale guerre” qu’ils ne comprennent toujours pas, que par la communauté internationale, surprise par cette “folie meurtrière” qui a déferlé sur le pays d’Houphouët-Boigny, naguère symbole de la stabilité politique et de la paix sociale, dans une Afrique en proie aux grandes convulsions.

Depuis le 19 septembre 2002, la “légende” est brisée: la guerre est là, en Côte d’Ivoire, avec des milliers de morts et plus d’un million de déplacés à l’intérieur du pays et des milliers de réfugiés dans les pays voisins; avec tout ce que cela comporte de désastres, de misères et de traumatismes, et ruinant l’économie nationale et de la sous-région; avec aussi le phénomène des “escadrons de la mort” qui sèment la terreur, surtout à Abidjan, c’est-à-dire en zone gouvernementale…

Mais depuis le 3 avril — soit après environ sept mois de crise et plus de deux mois après les Accords de Marcoussis — les rebelles, appelés aujourd’hui les “forces nouvelles”, après beaucoup de tergiversations, ont accepté de siéger au conseil des ministres, dirigé par M. Elimane Seydou Diarra, qui avait déjà dirigé le gouvernement de la transition militaire en 2000, et présidé le Forum de réconciliation nationale en 2001. Décidément, c’est l’homme de toutes les situations difficiles!

En tout cas, cette participation des rebelles au conseil des ministres a fait renaître l’espoir. Et si cette tendance se confirme, elle consacrera les slogans souvent répétés avec fierté par les Ivoiriens: “L’exception ivoirienne” ou “Côte d’Ivoire, terre bénie de Dieu”... Car, bien des pays – RD-Congo, Burundi, notamment – ont connu la même situation que la Côte d’Ivoire, et ont signé des accords de paix depuis longtemps, tout en continuant à patauger dans la boue de la violence, les parties en conflit n’étant d’accord que sur leurs désaccords!

De fait, on a failli connaître la même situation chez nous. Non seulement le gouvernement de réconciliation nationale a tardé à se mettre en place; mais une fois formé le 13 mars, il n’a pu se réunir au grand complet que le 3 avril – enfin!, moins trois membres: Défense, Sécurité et Famille  qui restaient à pourvoir.

Violation des accords

Jusqu’au 3 avril, les rebelles refusaient toujours de prendre place au sein du gouvernement de réconciliation nationale. Ils posaient toujours des conditions qui bloquaient le processus:

  • a. le respect scrupuleux des Accords de Marcoussis, soi-disant violés par le président Laurent Gbagbo, notamment en ce qui concerne la “délégation des pouvoirs exécutifs” au Premier ministre de consensus;
  • b. des “mesures spéciales de sécurité” pour leurs ministres;
  • c. la nomination, également par consensus, des ministres de la Défense et de la Sécurité;
  • d. la suspension de l’opération “Identification”;
  • e. enfin, la “sécurisation de la situation à l’Ouest”.

En effet, à l’ouest du pays, la guerre se poursuivait et s’était même intensifiée avec l’entrée en scène des mercenaires libériens qui semaient la terreur dans la région: massacres de la population civile, pillages, vols, viols, incendies des villages, etc. Un nouveau mouvement armé est né, le Front de libération totale du Grand-Ouest (FLGO), qui se présente comme un mouvement de l’ethnie Wê (ou Guéré), contre l’ethnie Dan (ou Yacouba), les deux principaux groupes ethniques du “Grand-Ouest”, donnant ainsi une dimension tribale au conflit dans cette région.

Les mercenaires libériens sont recrutés par les deux camps selon les affinités ethniques: les Kran par leurs frères Wê ivoiriens, soutenus par les forces loyalistes (donc par le gouvernement), et les Gio, par leurs frères Dan ivoiriens, soutenus par les rebelles ivoiriens du MPIGO (Mouvement populaire du Grand-Ouest) et du MJP (Mouvement pour la justice et la paix).

Conscient de cette situation dangereuse, le président Laurent Gbagbo, a reçu les Wê le 6 avril à Abidjan; il leur a promis de faire libérer très bientôt cette région par les FANCI (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire), en accord avec les troupes françaises de l’opération Licorne, celles de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), appelées l’Ecoforce, et celles de l’ONU. «Il faut mettre fin aux souffrances de la population dans cette région!», a-t-il affirmé.

Des accords jamais acceptés

Aussitôt dit, aussitôt fait: ce même jour, les combats reprennent à l’Ouest. Des hélicoptères gouvernementaux ont bombardé des localités comme Bin-Houyé et Danané, faisant plusieurs morts parmi les civils. Il est vraiment étonnant qu’au moment où l’on parle de “réconciliation nationale”, le président de la République veuille libérer une région par la guerre! Conséquence, les rebelles menaçaient de quitter le gouvernement.

En fait, le président ivoirien n’a jamais  accepté les Accords de Linas-Marcoussis, signés par sept partis politiques ivoiriens et les trois mouvements rebelles (MPCI, Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire, MPIGO et MJP), et entérinés à Paris le 25 janvier, en présence des autorités françaises, le président Jacques Chirac en tête, de nombreux chefs d’Etat africains et du secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan. A peine signés, ces accords avaient été dénoncés par les partisans du président ivoirien, les “jeunes et les femmes patriotes” accusant la France de fomenter un «coup d’Etat constitutionnel», et les FANCI. Ils dénonçaient l’attribution des postes de la Défense et de la Sécurité aux rebelles. Des manifestations monstres, avec des marches, des sit-in et des conférences de presse, avaient été organisées mettant à mal les accords.

Il faut dire que la “Table ronde de Linas-Marcoussis” portait en elle-même les germes du rejet. Si cette rencontre, en effet, a eu le mérite d’identifier et de débattre des problèmes qui fondent le “mal ivoirien”, la France (l’initiatrice) n’avait invité que les partis politiques, responsables, selon elle, de la crise. Il aurait fallu inviter aussi la société civile avec ses ONG, très actives depuis le retour au multipartisme en 1990. La médiation ghanéenne a heureusement évité le pire. Le président ghanéen, John Kufuor, nouveau président de la CEDEAO, a vraiment eu la main heureuse dans la résolution de la crise, débloquant à chaque fois les situations difficiles!

Obstacles à la paix

Mais la paix est encore loin. Bien des obstacles en jalonnent le chemin, et les partisans de la guerre demeurent nombreux.

En premier lieu, le président Laurent Gbagbo lui-même, dont on n’a cessé de dénoncer l’esprit roublard, qui, accuse Guillaume Soro, secrétaire général du MPCI, a obligé les rebelles à prendre les armes. Après d’agaçants atermoiements autour des Accords de Marcoussis, L. Gbagbo déclare aujourd’hui encore qu’il ne comprend toujours pas le bien-fondé de la Table ronde de Marcoussis qui l’a dépouillé de son pouvoir. S’il a fini par accepter ces accords, c’est pour obtenir «le désarmement des rebelles afin de les neutraliser après». D’où la méfiance de ces derniers.

Et le président ivoirien ne semble pas renoncer à sa roublardise. Ainsi, alors que les Accords de Marcoussis prévoyaient l’irrévocabilité du Premier ministre de consensus qui doit rester en place jusqu’aux élections de 2005, il signe un décret limitant la durée de son mandat à six mois — renouvelables, il est vrai.

Alors que Marcoussis préconisait un désarmement de «toutes les forces en présence» sous l’égide de la CEDEAO et des troupes françaises, le décret présidentiel limite ce désarmement aux seules forces rebelles.

Alors que l’accord recommandait l’amnistie générale pour tous ceux qui ont porté «atteinte à la sécurité de  l’Etat», Gbagbo limite son décret aux seuls détenus.

Alors que Marcoussis ordonnait la suspension de l’opération «Identification des populations», le décret de Gbagbo parle de la poursuite de l’opération…...

On comprend donc le cri de colère de Guillaume Soro, accusant le président de la République de vider les Accords de Marcoussis de leur contenu, dénonçant au passage l’inaction, voire la complicité du Comité international de suivi, présidé par le Béninois Albert Tévoédjré, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies.

Il y a aussi l’épouse du chef de l’Etat, Mme Simone Gbagbo, une femme qui aurait une grande influence sur son mari, et qui serait même “la marraine des escadrons de la mort”, selon certaines enquêtes internationales. Ce qui est sûr, c’est qu’elle était l’un des chefs de file du “front du refus” contre les Accords de Marcoussis. Et s’il est vrai que, depuis un certain temps, elle a embouché la trompette de la paix, organisant de nombreuses rencontres pour prôner la réconciliation nationale, elle tient des propos qui montrent qu’elle n’est pas sincère.

Ainsi, recevant le 7 avril les femmes Wê à Abidjan, elle déclare: «C’est une iniquité que d’offrir des postes ministériels aux tueurs», ou «Faire taire les armes, est-ce cela qui peut sauver les vivants dans le pays?». Ou encore: «Si pour libérer le pays, il faut la guerre, eh bien, nous ferons la guerre!». Avant d’asséner: «Le gouvernement Diarra est une abomination!». Des paroles belliqueuses qui n’incitent pas à la réconciliation!

La troisième personnalité à être farouchement opposée aux Accords de Marcoussis, c’est le président de l’Assemblé nationale, M. Mamadou Koulibaly. Après avoir claqué la porte à Marcoussis pour «ne pas se faire complice d’un coup d’Etat constitutionnel», il a pris la tête d’un courant dur contre ces accords de paix, déclarant que «la Côte d’Ivoire ne peut faire l’économie de la guerre!» Il préparerait, avec les “jeunes patriotes” (le bouillant Charles Blé Goudé et l’ultra nationaliste Tapé Koulou) une milice pour déclarer la guerre aux rebelles.

Le danger des milices

Ces “jeunes patriotes” constituent avec les “femmes patriotes” les groupes de choc de Laurent Gbagbo, organisant des manifestations de protestation dans les rues d’Abidjan depuis le déclenchement de la guerre. C’est grâce à eux que le président Gbagbo n’a pas perdu le pouvoir. Les rebelles eux-mêmes le reconnaissent, avouant qu’ils n’avaient pas pris en compte la dimension civile de la crise.

Ces “jeunes et femmes patriotes” continuent toujours de rejeter les Accords de Linas-Marcoussis, qu’ils considèrent humiliants pour le pouvoir et surtout pour le président de la République “démocratiquement élu” qui doit abandonner son programme pour lequel il a été élu par le peuple, au profit d’une “cohabitation bâtarde” avec des gens qui ont pris les armes contre la République!

Après avoir organisé de nombreuses manifestations de protestation, notamment contre la France qu’ils accusent de soutenir les rebelles, ils entendent à présent se constituer en milices pour leur faire la guerre. Ces milices seraient déjà en formation, encadrées par les soldats loyalistes, au camp militaire de Yopougon (banlieue d’Abidjan). Et l’on parle du recrutement de plus de mille mercenaires, dont la majorité serait des Sud-Africains, qui viendraint s’ajouter aux quatre mille recrues (jeunes volontaires) des FANCI.

Même si le gouvernement ivoirien a apporté un démenti à cette information, il n’en demeure pas moins que la question alimente les débats non seulement à Abidjan, mais aussi dans les capitales occidentales, notamment en Grande-Bretagne où s’est dénoncée la société privée Northbridge Services Group, qui a avoué avoir recruté des mercenaires pour le gouvernement ivoirien.

Enfin, du côté des rebelles, la situation n’incite guère plus à l’espoir. Pour eux, on ne peut faire confiance à Laurent Gbagbo et donc, «la solution à la crise ne peut être que militaire». Ainsi, lorsque Koné Zakaria, chef de guerre à Vavoua (centre-ouest) et Doh Félix, responsable du MPIGO, déclarent: «Si Gbagbo veut la guerre, qu’il nous le dise, car nous sommes prêts!», Soro Guillaume précise: «Même si on nous tue, la rébellion renaîtra à partir du Mali et du Burkina», apportant ainsi de l’eau au moulin de ceux qui pensent que ces deux pays soutiennent la rébellion. Les rebelles seraient en train de recruter et entraîner les jeunes gens à Ferké (au nord) pour être prêts en cas d’une reprise des hostilités.

L’espoir demeure

Faut-il en conclure que la reprise de la guerre est aujourd’hui inévitable? Non, certes! L’espoir demeure. D’abord, parce que la communauté internationale, la France en tête, n’est pas prête à laisser la Côte d’Ivoire dans une crise permanente, au risque de déstabiliser toute la région et même l’Afrique entière. D’où cet avertissement ferme du général Emmanuel Beth, commandant de la force française qui compte aujourd’hui 3.000 soldats chargés du respect du cessez-le-feu: «Il n’y a aucune possibilité de retour à la guerre!». Quant à l’Ecoforce, son effectif sera porté de 1.200 à 3.200 hommes, et l’ONU, de son côté, envisage sérieusement d’envoyer des casques bleus.

Enfin, il y a aussi les Ivoiriens qui, déjà très éprouvés par six mois de guerre meurtrière et de désastres économique et humain, ne sont pas prêts à accepter une reprise des hostilités. Quant aux rebelles, s’ils n’ont pas réussi à renverser le régime de Gbagbo, ils ont obtenu, entre autres, la révision de la Constitution, notamment en son article 35. Désormais, selon le projet de Linas-Marcoussis, peut être candidat aux élections, tout Ivoirien né de père ou de mère ivoirien (et non de père et de mère ivoiriens). Si cette révision de  la Constitution est effectuée, “l’affaire Alassane Ouattara” trouvera enfin une solution, ce qui ramènera définitivement la paix dans le pays d’Houphouët-Boigny.


SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2003 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement