ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 458 - 15/06/2003

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Sénégal
Projet de réforme du code de la famille


FAMILLE


La hantise de l’islamisation

Passionnés de rhétorique, les Sénégalais, ne chôment pas depuis quelques semaines. Un projet de réforme du code de la famille donne du grain à moudre aux médias, à la classe politique et intellectuelle et aux forces sociales et religieuses du pays. L’implication de toute l’opinion publique dans ce débat témoigne de l’hypersensibilité d’une telle question dans le contexte socio-religieux sénégalais à dominante musulmane (95%).

Bien entendu, c’est au nom et dans l’intérêt de cette majorité qu’un groupe de dignitaires religieux et d’intellectuels réunis au sein du Comité islamique pour la réforme du code de la famille (CIRCOF) déclare agir. Pour donner un fondement à cette nouvelle revendication religieuse, réactivation d’une aspiration latente, le CIRCOF ne fait pas mystère de sa volonté d’offrir enfin aux musulmans sénégalais un code de la famille régi par la loi islamique. En clair, ils réclament un statut particulier pour les musulmans.

Pourquoi maintenant? Les hypothèses et insinuations sont nombreuses, mais semblent s’accorder sur un point: la dette de reconnaissance du chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade (musulman), vis-à-vis des confréries musulmanes qui ont pesé de tout leur poids dans sa victoire électorale en 2000. Et, puisque M. Wade lui-même ne manque aucune occasion d’afficher ses croyances religieuses, le moment serait venu de payer la facture et se solidariser avec les siens, fût-ce à son corps défendant.

Comme on pouvait s’y attendre, le CIRCOF balaie toutes ces allégations du revers de la main, arguant que ce projet est un acte de conviction, voire l’expression d’une soif de justice de la part de musulmans qui ne supportent plus que la loi islamique ne puisse gouverner et irradier toute leur vie, en ce qui concerne notamment le mariage, l’héritage, la succession, la donation, etc.

A coups d’arguties, ils font le procès du code actuellement en vigueur, dont l’adoption remonte à 1972, sous le régime de feu le président Léopold Sédar Senghor, à qui de nombreux autres Sénégalais attribuent le mérite d’avoir doté le Sénégal d’un code consensuel. Apparemment, ce code que les musulmans réformateurs vouent aujourd’hui aux gémonies, a encore beaucoup de défenseurs qui lui trouvent un précieux atout: garantir le principe du pluralisme juridique, en laissant au citoyen une possibilité de choix entre diverses pratiques, coutumières ou modernes.

La charia n’a pas bonne presse

A vrai dire, l’ensemble des griefs formulés contre ce code veut démontrer que ce texte est d’inspiration occidentale, donc trop éloigné des réalités de la société sénégalaise et trop favorable à la femme. Et pourtant, sur ce dernier point, les témoins de l’histoire n’ont cesse de nous rafraîchir la mémoire en indiquant que ce code a été strictement l’œuvre des hommes. Pas une seule femme n’a participé à son élaboration.

Naturellement, la démocratie autorise de telles remises en cause de l’ordre social. Mieux, l’un des fondements de la démocratie ne renvoie-t-il pas au droit à la différence? Seulement, en matière religieuse, où les convictions sont quasi dogmatiques et où les passions et les fanatismes sont à fleur de peau, ce n’est pas sans crainte que certains Sénégalais, surtout les non-musulmans, abordent cette réforme du code de la famille, qui porte à leurs yeux les germes d’une islamisation du Sénégal. «Aujourd’hui, c’est le code de la famille, demain, ce pourrait être la Constitution», redoute-on dans certains milieux. D’aucuns en perdent le sommeil, à l’idée de voir ce pays s’inféoder au régime de la charia, qui n’a d’ailleurs pas bonne presse dans cette société trop jalouse de sa liberté et de sa diversité culturelle. A Dakar, on fait remarquer, non sans fierté, que l’épouse du président Wade va à l’église, que le frère de l’ex-archevêque de Dakar était musulman, que l’épouse de l’ancien président Abdou Diouf est catholique, etc. — Pour en revenir à la charia, le terme est tellement chargé de terreur qu’il justifie bien l’anxiété de ceux qui se demandent si cette pratique pourrait faire recette dans un pays comme le Sénégal, où les mentalités (de la liberté d’expression au style vestimentaire, en passant par le rapport à la culture et à l’idéologie) sont plutôt anti-conformistes et libérales.

La scission n’aura pas lieu

Ce sont là autant d’indices qui font dire — peut-être un peu hâtivement — à certains observateurs que ce projet de réforme du code de la famille est voué à l’échec. Sans compter que ses auteurs auront des comptes à rendre à la gent féminine, notamment intellectuelle, qui s’indigne déjà de la volonté d’officialiser un retour à la pratique de la répudiation, abolie par le texte de 1972. Elles n’y voient qu’un recul désastreux du respect des droits de la femme africaine. En tout état de cause, l’expérience du Nigeria est encore assez vivace et sensibilisatrice pour convaincre les Sénégalais du danger que représente l’exaltation des extrémismes religieux. Car ce projet de code de la famille, s’il venait à être adopté, va instaurer des tribunaux musulmans et pis, une justice à double facette: une pour les musulmans et une autre pour les non-musulmans. De même, si ce projet aboutissait, un non-musulman ne pourrait pas épouser une musulmane…

Face à ces mutations annoncées, sources d’inquiétudes, le CIRCOF indique qu’il est convaincu de son fait et qu’il n’est pas à court d’arguments. Du moins si l’on s’en réfère aux récentes déclarations de Me Babacar Niang, avocat et expert du CIRCOF, selon lesquelles «l’application forcée aux musulmans de dispositions contraires à leur statut religieux, crée des problèmes à n’en plus finir, notamment pour ce qui est de la tranquillité des ménages, du sort des enfants. Que les non-musulmans suivent le code de la famille s’ils veulent. Qu’ils le fassent modifier s’ils veulent. Mais, de grâce, laissons les musulmans vivre leur foi dans leur vie de famille» (Le Quotidien, Sénégal, 8 mai 2003).

Malgré tout, et pour ne laisser planer la moindre ambiguïté sur leur hostilité à la démarche du CIRCOF, plus d’une trentaine d’ONG (associations sociales, syndicats), regroupées au sein d’un Collectif de défense de la laïcité et de l’unité nationale, ont ouvertement dénoncé, le 6 mai 2003, ce qu’elles perçoivent comme «une tentative de remise en cause de la laïcité et des acquis juridiques de la famille au Sénégal».

En fait de laïcité, il ne s’agit point d’une innovation ou d’une aspiration nouvelle, puisqu’elle est clairement consacrée par la Constitution sénégalaise. A l’Etat de faire en sorte que cette laïcité ne soit pas sujette aux caprices des hommes. Tel est le sens du combat de ce Collectif, qui met toute l’opinion publique en garde contre les risques de «saper les fondements démocratiques de l’Etat sénégalais».

Apparemment, cette levée de boucliers n’est pas feinte et devrait aider le pouvoir à prendre la mesure des enjeux socio-politiques liés à cette réforme. Seulement, le Collectif sera-t-il entendu par qui de droit? Les Sénégalais retiennent leur souffle, à l’affût d’une réaction officielle sur la question, voire de la part du président Wade lui-même, à qui la mouture de ce nouveau code de statut personnel a été transmise en avril 2003. Depuis lors, de nombreuses voix ont clamé la maturité du peuple sénégalais, jurant par tous leurs dieux que la scission de la nation sénégalaise ne passera pas. Pourvu que Dieu les entende!

  • Anicet L. Quenum, Sénégal, mai 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source

Mise à jour de l’auteur - Cédant au “harcèlement” de la presse, le 18 mai dernier, de retour d’une mission au Japon, le président de la République a dû aborder la question. De ses propos, il se dégage une nette opposition à toute réforme du code de la famille. Le lendemain, une certaine frange de la jeunesse islamique a élevé la voix pour demander au chef de l’Etat de bien vouloir reconsidérer sa position.


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