ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 459 - 01/07/2003

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Cameroun
Orphelins du sida: la «crise silencieuse»


SIDA


Des familles dévastées, des écoles et des formations sanitaires submergées

A la tragédie des centaines de milliers de Camerounais décédés du sida, viennent s’ajouter 270.000 enfants orphelins. Traumatisés par la mort de leurs parents, stigmatisés par la maladie qui les a touchés de près et souvent réduits à une misère terrible après le décès du chef de famille, ces orphelins (ayant perdu soit l’un de leurs parents soit les deux) pèsent lourdement sur la famille élargie traditionnelle, et surchargent les systèmes sanitaires et éducatifs. Le problème est particulièrement grave dans certaines régions du pays où, selon le ministre de la Santé, 1 enfant sur 6 est atteint du sida.

Loger, alimenter, éduquer et procurer de l’affection à ces enfants est un devoir moral, mais aussi un élément essentiel du développement futur du Cameroun, a déclaré Catherine Bomba Nkolo, ministre des Affaires sociales. «Nous devons faire des efforts herculéens pour ces enfants si nous ne voulons pas les perdre. Sinon, prévient-elle, nous courons à la catastrophe. Nous avons une société où les enfants ne sont pas scolarisés et ne peuvent donc pas occuper d’emploi, même les plus simples, une société où une grande partie de la population peut avoir des réflexes antisociaux en raison de ses conditions de vie très difficiles. Nous avons une génération d’enfants qui seront plus vulnérables face à l’exploitation et à la maladie car ils n’auront pas conscience de leur valeur».

Les besoins des orphelins du sida sont immédiats – il faut les nourrir – et s’inscrivent également dans la durée – il faut les éduquer, les encadrer et leur prodiguer des soins jusqu’à la fin de l’adolescence. Les 21 et 22 mars 2003 à Yaoundé, lors d’une réunion du Comité national de lutte contre le sida (CNLS), élargie aux ministères de la Condition féminine et des Affaires sociales et aux ONG de lutte contre le sida, Mme Bomba Nkolo a demandé que les ressources nécessaires soient fournies «pour aider tous ceux dont les vies ont été dévastées par le sida, particulièrement les orphelins». Le nombre des orphelins du sida excède 300.000, a-t-elle dit, et leur nombre ne cesse de croître.

Renforcer la famille

Toutefois, dans les quartiers de Yaoundé et dans certaines provinces, l’institution traditionnelle qui prend en charge les enfants vulnérables, la famille élargie, commence à s’effondrer sous la double pression de la pauvreté et de la maladie. Renforcer la famille, dit Léopold Zekeng, secrétaire national du CNLS, est le seul moyen de répondre à la crise dans la pratique. «Il n’existe pas suffisamment d’orphelinats pour prendre en charge ces enfants. Nous devons renforcer la famille élargie», dit-il. Mais une étude approfondie, réalisée en 2002,  démontre la difficulté pratique d’une telle entreprise.

Le problème est en partie financier. La pandémie est à la fois une cause et une conséquence de l’aggravation de la pauvreté dans le pays, causée aussi par la dette extérieure —problèmes qui poussent les familles au bord du gouffre et empêchent les pouvoirs publics de remédier à la crise des orphelins. Le revenu par habitant était de 670 dollars en 2002, et le règlement du service de la dette occupait, la même année, une part du budget national supérieure à la santé et l’éducation réunies.

Pour de nombreux enfants, la perte des parents est synonyme de misère, de fin de scolarité et de rejet par la famille et les voisins. En dépit du nombre croissant de décès, quasiment la moitié des orphelins camerounais vivent dans un foyer où survit un parent, en général la mère. Mais le taux toujours croissant de séropositivité au sein des couples mariés signifie que nombre d’enfants perdent rapidement leurs deux parents et se retrouvent à la charge de leur famille élargie. Environ 40% de ces enfants sont élevés par les grands-parents, 30% par leurs oncles et tantes.

Les conséquences peuvent être dévastatrices pour les familles. Une femme de 70 ans vivant à Ngaoundéré, province de l’Adamaoua, qui élève ses quatre petits-enfants, a expliqué à l’Unicef: «Depuis que l’on m’a amené ces enfants, je souffre. Je suis trop vieille pour les élever correctement. Je ne peux pas cultiver… et la nourriture ne durera pas toute l’année». (“Plan de mise en œuvre de la convergence dans l’Adamaoua”, Unicef, mars 2003).

Les enfants chefs de famille, rares autrefois au Cameroun, sont désormais de plus en plus nombreux, mais les formes officielles et traditionnelles d’héritage, le système de propriété foncière et les politiques sanitaires et éducatives n’ont pas suivi. «Nos deux parents sont morts en 1995, a dit une jeune camerounaise. Quand cela s’est produit, les membres de notre famille nous ont fuis. Cela nous a surpris car, puisqu’ils sont de la famille, nous pensions qu’ils allaient prendre soin de nous…». D’autres enfants sont pris en charge par les voisins où trouvent à se loger dans l’un des rares orphelinats et foyers du Cameroun. Pour les autres, il ne reste que les rues des villes camerounaises où les enfants, sans surveillance ou foyer stable, survivent de mendicité et de petits larcins.

Orphelins ou enfants vulnérables?

Au Cameroun, l’aide apportée aux familles qui élèvent orphelins et enfants vulnérables, vient surtout de la collectivité. Depuis que la pandémie du VIH/sida a commencé à s’étendre à l’ensemble du pays, il y a presque 20 ans, des centaines de comités pour l’enfance, animés par des organisations religieuses et communautaires, et de nombreux projets de soins à domicile ont pris les malades en charge et offert conseils et soutien aux orphelins et à leurs familles. Les programmes sont aussi variés que les communautés qu’ils desservent. Mais ils tendent tous, à leur façon, à aider les familles dans deux domaines essentiels:  l’alimentation et l’éducation.

Dans l’Adamaoua, l’ONG “Plan International” avait financé en septembre 2002, les frais de scolarité et les uniformes neufs des enfants du secondaire. Mais les autres élèves n’avaient pas non plus les moyens de s’acheter de nouveaux habits. Le ressentiment suscité par cette assistance a donc isolé les orphelins et crée des tensions dans la collectivité. Une situation similaire s’est produite dans une famille élargie où les enfants pris en charge par un oncle bénéficiaient d’avantages auxquels ses propres enfants n’avaient pas droit.

«Quand il s’agit d’intervenir sur le plan pratique, — 75% des enfants orphelins vivent en dessous du seuil de la pauvreté, mais c’est également le cas de 73% d’enfants qui ont encore leurs parents -– il n’est pas utile de séparer les orphelins des autres enfants vulnérables. En fait, les séparer présente des risques importants», note le Plan de convergence (Unicef).

Le gouvernement camerounais et les associations de la société civile font face à des difficultés similaires lorsqu’ils tentent de répondre aux besoins des orphelins et des enfants vulnérables. Les difficultés de trésorerie du Cameroun ne lui permettent pas d’assurer la gratuité de l’éducation au niveau du secondaire. Par conséquent, les orphelins du sida, sans ressources financières, abandonnent souvent leur scolarité.

Pour tenter de retenir les enfants à l’école, les communautés recourent à trois stratégies. – La première consiste à faire pression sur les Comités locaux de gestion scolaire pour que les enfants les plus vulnérables soient dispensés des frais d’inscription au secondaire. Ces initiatives aboutissent souvent, mais elles grèvent forcément les recettes du système éducatif. – Une deuxième stratégie consiste à recueillir des fonds pour payer les frais d’inscription des orphelins. Les bourses ont l’avantage d’assurer la solvabilité des écoles, mais elles obligent souvent les communautés locales à concevoir et gérer des projets générateurs de revenus. Sauf exceptions, les communautés s’aperçoivent souvent qu’elles ne disposent pas de capacité de gestion, du capital de départ et des débouchés nécessaires. – La troisième stratégie est celle du programme des écoles communautaires libres, écoles gérées par la communauté.

L’avenir reste sombre

Desservant une région où se trouve le plus grand nombre d’orphelins du pays, le Plan de convergence dans l’Adamaoua est l’un des rares programmes qui dispensent des soins institutionnels aux très jeunes enfants orphelins du sida. Il vise pourtant à rendre ces enfants à leur communauté dès que les circonstances le permettent, en général à l’âge de 7 ans.

Le rôle de s’occuper de ces enfants incombe de plus en plus au gouvernement camerounais, appuyé par l’Unicef et l’Onusida, a déclaré Calvin Oyono Etoundi, membre du  CNLS. A l’échelle nationale, le CNLS coordonne un comité directeur composé d’ONG, d’associations de la société civile et des prestataires de services communautaires, qui évalue les besoins, envoie les ressources techniques et matérielles là où elles sont le plus nécessaires, et élabore des orientations en réponse aux besoins complexes des orphelins et des enfants vulnérables.

D’autres initiatives tentent aussi de mieux utiliser les ressources des associations de la société civile camerounaise, confrontée depuis longtemps à la crise des orphelins. Mais, en l’absence d’une augmentation substantielle des ressources financières, techniques et humaines, renchérit Calvin Oyono, l’avenir des orphelins est sombre.

«Un si grand nombre d’enfants ont vécu l’expérience traumatisante et désespérante de s’occuper d’une mère qui est littéralement morte dans leurs bras, observe-t-il. Ils se sentent tellement abandonnés. En voyant les plus jeunes, qui ont de 4 à 6 ans, avec leurs grands yeux, qui chuchotent de leurs petites voix douces, on se demande ce que l’on peut faire pour ce nombre apparemment infini d’enfants. Les communautés essaient de rassembler les enfants pour qu’ils puissent passer du temps ensemble, partager un repas si possible. Mais tout cela est précaire. Les communautés sont tellement accablées par les mourants, les décès et la misère, qu’il n’y a ni le temps ni l’envie de s’intéresser aux orphelins, et pourtant, c’est nécessaire. Parfois, la situation semble insurmontable».

  • Gabriel Nguekeng, Cameroun, mai 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source

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