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SANTE
Rencontre avec le Dr Richard Klamadji, tradipraticien à N’Djaména
v Docteur, quelle est votre formation de base?
R Je suis titulaire d’un baccalauréat en gestion. J’étais major de la promotion de 1981. Ensuite, j’ai pris des cours commerciaux à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville. En matière de connaissances de plantes médicinales, je suis un autodidacte. J’ai connu une adolescence assez difficile. Adopté par mon oncle Ngarikoumte, un guérisseur traditionnel, j’ai été en contact très jeune avec la nature. Je travaillais dans les champs et suivais le bétail tous les jours. La connaissance de quatre prêtres catholiques occidentaux, grands connaisseurs de plantes, a renforcé ma conviction naturiste.
v Comment êtes-vous venu à la médecine traditionnelle?
R D’abord, je tiens à faire une observation. Je ne récuse pas le terme
«médecine traditionnelle», puisqu’il est très utilisé à travers le monde.
Mais je parlerais plutôt de «médecine naturelle», parce que j’utilise des
plantes pour soigner meètent. Les tradipraticiens
et les médecins conventionnels travaillent main dans la main, même s’il
reste encore un petit effort à fournir dans le sens de leur union.
Ceci étant, avant d’être tradipraticien, j’ai enseigné les mathématiques,
les sciences physiques et la biologie pendant 11 ans dans des collèges
et lycées. Puis une fracture des vertèbres lombaires, causée par un accident
de circulation, m’a cloué au lit pendant 12 mois. L’hôpital a déclaré mon
mal incurable. Mais, ayant aidé mon oncle tradipraticien, j’ai pu voir
comment il soignait les malades. J’ai remarqué qu’il avait la pratique
de son art,s patients. Les concepts «tradition» et «modernité»
étaient au départ antagonistes. Aujourd’hui, ils se compl mais il lui manquait la science et la mesure. J’ai utilisé
ses connaissances pour soigner ma maladie que l’hôpital avait déclarée
incurable (rires).
Au début, j’ai commencé à soigner 5 malades. Une année plus tard, j’avais
45 patients et, en 1996, je me suis retrouvé avec 250 malades sur les bras.
Maintenant, je pratique la médecine traditionnelle depuis plus de 9 ans.
v Etes-vous généraliste ou spécialiste?
R Je suis spécialiste de rhumatisme et de maladies chroniques. Nous, tradipraticiens, contournons les faiblesses de la médecine moderne. Armés de volonté et connaissant les vertus médicinales de la nature, nous faisons plus que la médecine moderne. Car, dans l’esprit d’un tradipraticien, il ne peut y avoir un problème sans solution. Nous soignons la cause du mal avant ses symptômes. Donc, ont fait des soins et des recherches à la fois.
v Avez-vous quelques cas concrets de vos guérisons?
R En 2001, j’ai réussi à soigner un ancien compagnon qui souffrait d’hémorroïdes
depuis 1983. Il est aujourd’hui un haut gradé de la police tchadienne.
Or, la médecine moderne renvoie souvent les malades vers les marabouts
et les charlatans en leur disant que les hémorroïdes sont incurables.
J’ai aussi réussi à soigner quelques cas de maladies des reins. La médecine
moderne procède souvent simplement par l’enlèvement des calculs, avec une
opération chirurgicale, sans corriger véritablement la disfonction. Moi,
j’applique des décoctions de plantes dépuratives, des décoctions anti-inflammatoires
et même métaboliques pour aider les reins à refonctionner correctement.
Dans le même ordre d’idées, j’ai réussi à soigner l’actuel secrétaire général
du Parlement tchadien qui souffrait de diabète. Il avait une plaie diabétique
impossible à guérir, selon la médecine moderne. Dans un hôpital parisien,
où il se faisait soigner, il avait écouté une de nos émissions réalisées
par Radio France Internationale sur le diabète. Dès son retour au pays,
il nous a contacté et nous l’avons guéri au bout de 27 jours, et ce à moindres
frais. C’est un témoignage vivant de nos actions.
v Comment évolue la médecine traditionnelle au Tchad?
R Elle évolue bien par rapport à la population qui en comprend la portée et en apprécie l’utilité. Elle évolue aussi bien au niveau des institutions d’Etat. En 1991, l’Organisation mondiale de la santé, grâce à l’initiative du Dr Pamplona Roger, chirurgien et chercheur espagnol, a sensibilisé l’ensemble de ceux qui s’intéressent à l’importance de la médecine traditionnelle. Des textes reconnaissant la médecine traditionnelle ont été élaborés, mais personne n’a pris la peine de les diffuser. Plus tard, en 1997, le ministère tchadien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et technique a initié la création de la Cellule d’étude et de recherche en pharmacopée et en médecine traditionnelle (Cerphamet). Tous les tradipraticiens du pays étaient conviés en Assemblée générale pour adopter les textes de la Cerphamet. Reconnue par l’Etat, elle compte aujourd’hui 4 départements: le département des maladies chroniques et rhumatisme que je dirige actuellement, le département de la diarrhée, le département des affections génitales et le département du sida.
v Où et à quel moment cherchez-vous vos plantes?
R On récolte les cimes, les fleurs et les écorces en saison des pluies.
D’autres essences végétales qui donnent le latex se cueillent entre la
saison sèche et la saison des pluies. Il y a aussi des terres qui contiennent
du fer et du kaolin, et surtout les termitières qu’on prélève en saison
des pluies.
On ne coupe pas au hasard les plantes médicinales. Les herbes, par exemple,
se coupent pendant la saison des pluies. C’est quand les racines sont bien
imbibées qu’elles présentent une valeur en principes actifs. Il ne faut
jamais chercher les racines dans les marécages. Les meilleures racines
se trouvent dans les plateaux. Les peaux séchées de fruits sont très importantes
en soins traditionnels. C’est avec elles que nous fabriquons, par exemple,
de l’alcool.
v Comment réussissez-vous à conserver vos plantes?
R Nous connaissons des conservateurs naturels comme le piment, qui écarte
les bactéries grâce à son principe actif. Il y a aussi le tamarin et le
citron qui contiennent du tanin, un excellent protecteur des plantes. On
a également la gomme arabique, l’ail et l’alcool végétal, tous de bons
protecteurs de produits sanitaires traditionnels.
Pour les autres décoctions, on est obligé de réduire le temps de conservation
à 48 heures à cause de la température de notre pays. Cela constitue notre
réelle limite. Quant aux feuilles, généralement, on les conserve à l’ombre
pour qu’elles gardent bien leurs principes actifs. Elles doivent être conservées
entières, et non découpées ou écrasées en morceaux. Une feuille de ricin,
par exemple, peut se conserver pendant 2 ans dans un emballage en papier,
mais pas dans le plastique. Le récipient ne doit pas être en métal, mais
en terre cuite ou en verre.
v N’y a-t-il pas de conflits entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle?
R Il faut dire qu’au Tchad, on est un peu en retard par rapport à d’autres
pays d’Afrique en matière de soins traditionnels. Cela est dû à certains
individus placés, pour des raisons politiques, aux postes de responsabilité
dans le ministère de la Santé publique. Ces gens ne connaissent pas bien
les mécanismes de soins de santé... En médecine traditionnelle, nous utilisons
beaucoup plus la culture de notre pays. C’est la population qui nous décerne
le titre de «docteur», et non une académie de santé. L’Etat nous reconnaît
après la population, alors que le docteur moderne est reconnu par l’Etat
avant la population. Des deux, qui détient la vraie légitimité? Après tout,
la finalité est la guérison. On est en fait complémentaires.
Pendant le sommet de la production des phytomédicaments organisé du 29
au 30 janvier 2003, j’ai cité le cas concret d’un directeur général du
ministère de la Santé qui souffre de la goutte, mais qui refuse de se soigner.
C’est un complexe de supériorité qui anime ces personnalités. La médecine
traditionnelle soigne sans problème la goutte. Dans nos multiples émissions
télévisées et radiodiffusées, nous en appelons toujours à la collaboration
entre les deux formes de traitement.
v Avez-vous des conseils à donner?
R J’ai plutôt des appels à lancer.
Aux bailleurs de fonds, je demande d’investir
dans la production des phytomédicaments et d’aider efficacement les guérisseurs
traditionnels à sortir de leur clandestinité, de leur enfermement dans
divers préjugés.
A l’Etat tchadien, je demande également de recenser les tradipraticiens
et de les responsabiliser. Il s’agit de les suivre pour qu’ils n’abusent
pas la population. Car certains parmi nous ne sont pas sérieux. Avec la
pauvreté, ils prétendent soigner tout, dans le but de s’enrichir. L’Etat
peut aussi aider à établir des liens de coopération entre les guérisseurs
tchadiens et leurs collègues ouest-africains, qui sont très avancés en
la matière. Ce sont là mes principales sollicitations.