ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 459 - 01/07/2003

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Tchad
La médecine traditionnelle
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SANTE


Rencontre avec le Dr Richard Klamadji, tradipraticien à N’Djaména

v Docteur, quelle est votre formation de base?

R Je suis titulaire d’un baccalauréat en gestion. J’étais major de la promotion de 1981. Ensuite, j’ai pris des cours commerciaux à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville. En matière de connaissances de plantes médicinales, je suis un autodidacte. J’ai connu une adolescence assez difficile. Adopté par mon oncle Ngarikoumte, un guérisseur traditionnel, j’ai été en contact très jeune avec la nature. Je travaillais dans les champs et suivais le bétail tous les jours. La connaissance de quatre prêtres catholiques occidentaux, grands connaisseurs de plantes, a renforcé ma conviction naturiste.

v Comment êtes-vous venu à la médecine traditionnelle?

R D’abord, je tiens à faire une observation. Je ne récuse pas le terme «médecine traditionnelle», puisqu’il est très utilisé à travers le monde. Mais je parlerais plutôt de «médecine naturelle», parce que j’utilise des plantes pour soigner meètent. Les tradipraticiens et les médecins conventionnels travaillent main dans la main, même s’il reste encore un petit effort à fournir dans le sens de leur union.
Ceci étant, avant d’être tradipraticien, j’ai enseigné les mathématiques, les sciences physiques et la biologie pendant 11 ans dans des collèges et lycées. Puis une fracture des vertèbres lombaires, causée par un accident de circulation, m’a cloué au lit pendant 12 mois. L’hôpital a déclaré mon mal incurable. Mais, ayant aidé mon oncle tradipraticien, j’ai pu voir comment il soignait les malades. J’ai remarqué qu’il avait la pratique de son art,s patients. Les concepts «tradition» et «modernité» étaient au départ antagonistes. Aujourd’hui, ils se compl mais il lui manquait la science et la mesure. J’ai utilisé ses connaissances pour soigner ma maladie que l’hôpital avait déclarée incurable (rires).
Au début, j’ai commencé à soigner 5 malades. Une année plus tard, j’avais 45 patients et, en 1996, je me suis retrouvé avec 250 malades sur les bras. Maintenant, je pratique la médecine traditionnelle depuis plus de 9 ans.

v Etes-vous généraliste ou spécialiste?

R Je suis spécialiste de rhumatisme et de maladies chroniques. Nous, tradipraticiens, contournons les faiblesses de la médecine moderne. Armés de volonté et connaissant les vertus médicinales de la nature, nous faisons plus que la médecine moderne. Car, dans l’esprit d’un tradipraticien, il ne peut y avoir un problème sans solution. Nous soignons la cause du mal avant ses symptômes. Donc, ont fait des soins et des recherches à la fois.

v Avez-vous quelques cas concrets de vos guérisons?

R En 2001, j’ai réussi à soigner un ancien compagnon qui souffrait d’hémorroïdes depuis 1983. Il est aujourd’hui un haut gradé de la police tchadienne. Or, la médecine moderne renvoie souvent les malades vers les marabouts et les charlatans en leur disant que les hémorroïdes sont incurables.
J’ai aussi réussi à soigner quelques cas de maladies des reins. La médecine moderne procède souvent simplement par l’enlèvement des calculs, avec une opération chirurgicale, sans corriger véritablement la disfonction. Moi, j’applique des décoctions de plantes dépuratives, des décoctions anti-inflammatoires et même métaboliques pour aider les reins à refonctionner correctement.
Dans le même ordre d’idées, j’ai réussi à soigner l’actuel secrétaire général du Parlement tchadien qui souffrait de diabète. Il avait une plaie diabétique impossible à guérir, selon la médecine moderne. Dans un hôpital parisien, où il se faisait soigner, il avait écouté une de nos émissions réalisées par Radio France Internationale sur le diabète. Dès son retour au pays, il nous a contacté et nous l’avons guéri au bout de 27 jours, et ce à moindres frais. C’est un témoignage vivant de nos actions.

v Comment évolue la médecine traditionnelle au Tchad?

R Elle évolue bien par rapport à la population qui en comprend la portée et en apprécie l’utilité. Elle évolue aussi bien au niveau des institutions d’Etat. En 1991, l’Organisation mondiale de la santé, grâce à l’initiative du Dr Pamplona Roger, chirurgien et chercheur espagnol, a sensibilisé l’ensemble de ceux qui s’intéressent à l’importance de la médecine traditionnelle. Des textes reconnaissant la médecine traditionnelle ont été élaborés, mais personne n’a pris la peine de les diffuser. Plus tard, en 1997, le ministère tchadien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et technique a initié la création de la Cellule d’étude et de recherche en pharmacopée et en médecine traditionnelle (Cerphamet). Tous les tradipraticiens du pays étaient conviés en Assemblée générale pour adopter les textes de la Cerphamet. Reconnue par l’Etat, elle compte aujourd’hui 4 départements: le département des maladies chroniques et rhumatisme que je dirige actuellement, le département de la diarrhée, le département des affections génitales et le département du sida.

v Où et à quel moment cherchez-vous vos plantes?

R On récolte les cimes, les fleurs et les écorces en saison des pluies. D’autres essences végétales qui donnent le latex se cueillent entre la saison sèche et la saison des pluies. Il y a aussi des terres qui contiennent du fer et du kaolin, et surtout les termitières qu’on prélève en saison des pluies.
On ne coupe pas au hasard
les plantes médicinales. Les herbes, par exemple, se coupent pendant la saison des pluies. C’est quand les racines sont bien imbibées qu’elles présentent une valeur en principes actifs. Il ne faut jamais chercher les racines dans les marécages. Les meilleures racines se trouvent dans les plateaux. Les peaux séchées de fruits sont très importantes en soins traditionnels. C’est avec elles que nous fabriquons, par exemple, de l’alcool.

v Comment réussissez-vous à conserver vos plantes?

R Nous connaissons des conservateurs naturels comme le piment, qui écarte les bactéries grâce à son principe actif. Il y a aussi le tamarin et le citron qui contiennent du tanin, un excellent protecteur des plantes. On a également la gomme arabique, l’ail et l’alcool végétal, tous de bons protecteurs de produits sanitaires traditionnels.
Pour les autres décoctions, on est obligé de réduire le temps de conservation à 48 heures à cause de la température de notre pays. Cela constitue notre réelle limite. Quant aux feuilles, généralement, on les conserve à l’ombre pour qu’elles gardent bien leurs principes actifs. Elles doivent être conservées entières, et non découpées ou écrasées en morceaux. Une feuille de ricin, par exemple, peut se conserver pendant 2 ans dans un emballage en papier, mais pas dans le plastique. Le récipient ne doit pas être en métal, mais en terre cuite ou en verre.

v N’y a-t-il pas de conflits entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle?

R Il faut dire qu’au Tchad, on est un peu en retard par rapport à d’autres pays d’Afrique en matière de soins traditionnels. Cela est dû à certains individus placés, pour des raisons politiques, aux postes de responsabilité dans le ministère de la Santé publique. Ces gens ne connaissent pas bien les mécanismes de soins de santé... En médecine traditionnelle, nous utilisons beaucoup plus la culture de notre pays. C’est la population qui nous décerne le titre de «docteur», et non une académie de santé. L’Etat nous reconnaît après la population, alors que le docteur moderne est reconnu par l’Etat avant la population. Des deux, qui détient la vraie légitimité? Après tout, la finalité est la guérison. On est en fait complémentaires.
Pendant le sommet de la production des phytomédicaments organisé du 29 au 30 janvier 2003, j’ai cité le cas concret d’un directeur général du ministère de la Santé qui souffre de la goutte, mais qui refuse de se soigner. C’est un complexe de supériorité qui anime ces personnalités. La médecine traditionnelle soigne sans problème la goutte. Dans nos multiples émissions télévisées et radiodiffusées, nous en appelons toujours à la collaboration entre les deux formes de traitement.

v Avez-vous des conseils à donner?

R J’ai plutôt des appels à lancer. Aux bailleurs de fonds, je demande d’investir dans la production des phytomédicaments et d’aider efficacement les guérisseurs traditionnels à sortir de leur clandestinité, de leur enfermement dans divers préjugés.
A l’Etat tchadien
, je demande également de recenser les tradipraticiens et de les responsabiliser. Il s’agit de les suivre pour qu’ils n’abusent pas la population. Car certains parmi nous ne sont pas sérieux. Avec la pauvreté, ils prétendent soigner tout, dans le but de s’enrichir. L’Etat peut aussi aider à établir des liens de coopération entre les guérisseurs tchadiens et leurs collègues ouest-africains, qui sont très avancés en la matière. Ce sont là mes principales sollicitations.

  • Propos recueillis par Missé Nanando, Tchad, mai 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source

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