ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 461 - 01/09/2003

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Mauritanie
La traque des islamistes


VIOLENCE


Pour la première fois, la Mauritanie a reconnu officiellement l’existence et la menace du terrorisme islamiste, tout en s’engageant à lutter fermement contre ce fléau. Les responsables ont fait arrêter des dizaines de présumés activistes islamistes

«Le danger s’est manifesté là où il était le moins attendu, et le plus curieux c’est qu’il s’est introduit sous l’étiquette de l’islam. Ces derniers temps notre pays a connu certains comportements étranges, et étrangers à notre peuple: des tentatives d’embrigadement de citoyens qui incitent la jeunesse à user de la violence», a révélé à la presse le 18 mai 2003, Cheikh El Avia Ould Mohamed Khouna, le Premier ministre mauritanien. Il attribue ces comportements à «des mouvements extrémistes qui se réclament de l’islam, mais qui agissent conformément aux ordres qui leur viennent de l’extérieur», et qui se basent sur «les prédispositions naturelles du peuple mauritanien à accueillir favorablement tout ce qui se réfère à la religion islamique». Appelant les Mauritaniens à faire bloc pour contrer la poussée des islamistes extrémistes, le Premier ministre a assuré que la Mauritanie mènera un combat sans répit contre ces groupes qui, en appliquant la charia (la loi islamique) «sèment le désordre, détruisent tout et tuent des innocents». Pour combattre ces mouvements, la Mauritanie compte sur toutes les composantes de sa population pour «assumer ses responsabilités face à l’action de traîtrise de ces mouvements qui visent à remettre en cause tous nos acquis».

Dès le lendemain de cette déclaration, les services de sécurité ont durci leur répression contre les milieux islamistes au sein desquels ils avaient opéré quelques arrestations dès le 4 mai. Notamment des imams et des personnalités religieuses célèbres. Après un mois de captivité, 33 parmi les personnes arrêtées ont été inculpées par le procureur de la République de «complot contre la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat», de «complot contre l’ordre constitutionnel» et «d’appartenance à des associations illégales».

Dans la foulée de ces arrestations, plusieurs associations de bienfaisance islamiques, dont l’Office de bienfaisance des Emirats arabes unis à Nouakchott, ont été fermées par les services de la sécurité. En réponse à l’appel du gouvernement, plus d’un millier de personnalités religieuses ont rendu publique le 22 mai une fatwa condamnant «le terrorisme sous toutes ses formes et tout autre acte pouvant provoquer la mort des musulmans et des non-musulmans». Les médias d’Etat sont aussi mobilisés pour supporter la campagne des services de sécurité qui ont mis à la disposition des populations, dès le 19 mai, des numéros verts pour dénoncer toute action suspecte. Ces numéros sont rappelés à longueur de journée par Radio Mauritanie. La justice entend elle aussi jouer un rôle dans ce combat. La Cour suprême a autorisé des poursuites judiciaires contre le maire de la commune d’Arafat et deux magistrats. Le 29 mai, c’est l’hebdomadaire arabophone Erraya, proche des milieux islamistes, qui a été définitivement interdit de publication pour cause de «subversion et d’intolérance» par le ministère de l’Intérieur, des Postes et Télécommunications.

Participer à la guerre contre le terrorisme

Beaucoup d’observateurs considèrent cette campagne comme étant destinée à la consommation extérieure, surtout aux Américains. «Le nouvel ordre mondial, qui fait de la lutte contre le terrorisme l’une de ses priorités et le moyen le plus sûr de sympathiser avec les USA, impose à chaque pays islamiste de revoir sa politique et son approche dans la lutte contre l’extrémisme religieux», pense Abou Oumar du journal Le Rénovateur, qui considère que la Mauritanie veut profiter de la chute du régime de Saddam Hussein et de la coalition mondiale contre le terrorisme pour «neutraliser une mouvance islamiste au discours de plus en plus acerbe à l’égard des USA, d’Israël et des pays musulmans ayant des relations étroites avec l’Etat hébreux».

Cette obligation de s’inscrire dans le nouvel ordre international s’est manifestée d’une façon plus explicite suite aux attentats de Riadh (Arabie Saoudite) et de Casablanca (Maroc), que lors de ceux du 11 septembre que la Mauritanie avait condamnés sans faire allusion à l’islam. Le déplacement au Maroc de MM. Sidi Mohamed Ould Boubacar et Lemrabott Ould Mohamed Lemine, respectivement directeur de cabinet du président de la République et ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, en est une preuve. Des informations révélant que certains kamikazes étaient «récemment entrés au Maroc depuis un pays étranger où ils auraient suivi un entraînement», poussent la Mauritanie à coopérer avec le Maroc avec qui elle partage une longue frontière difficile à contrôler.

En fait, la Mauritanie veut s’inscrire sur la scène internationale en profitant du contexte de problèmes dont le traitement dépasse la seule compétence nationale. Pour ce faire, l’avenir du Maghreb arabe secoué par la vague islamiste depuis le début des années 90, l’interpelle. Elle veut aussi suivre la volonté des pays du golfe Arabique — dont les fonds, officieux (à travers des associations caritatives) ou officiels (par le biais de la coopération bilatérale), ont longtemps servi à la promotion des activités religieuses dans le pays — de combattre le terrorisme. Trait d’union entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, la Mauritanie peut aussi être sollicitée pour éviter l’implantation, dans cette partie du continent, des mouvements islamistes qui ont formé partout des adeptes (Sénégal, Gambie, Mali, Niger, Guinée, Burkina…) ou ont facilité la connexion de ces communautés avec les organisations caritatives des pays pétroliers musulmans. Cette position géographique et culturelle pourrait conduire les Etats-Unis à choisir la Mauritanie comme base de la lutte anti-terroriste en Afrique de l’Ouest, la zone de l’Afrique noire la plus islamisée.

Certes, la preuve de l’existence en Mauritanie d’activistes de Al Qaida n’est pas encore établie, mais la Mauritanie veut montrer qu’elle ne cautionne pas de telles personnes. Pourtant un rapport du service de recherche du Congrès américain rendu public le 10 septembre 2001, la veille des attentats, mentionnait la Mauritanie parmi les 34 pays supposés abriter des cellules de ce réseau terroriste international. Par ailleurs, le FBI surveille depuis 1999 le Mauritanien Mohamedou Ould Slahi qui a été extradé par la Mauritanie aux Etats-Unis en novembre 2002, où il est accusé d’avoir recruté deux des pilotes qui ont attaqué le 11 septembre 2001 New York et Washington. De plus, Abou Hafes, une personnalité supposée très proche de Ben Laden, détient la nationalité mauritanienne.

L’Etat et l’islam en Mauritanie

La Mauritanie est une république profondément islamique. L’islam y a toujours été un facteur déterminant dans la vie sociale, politique, culturelle et économique, et il demeure le premier cadre de référence des Mauritaniens. L’article premier de la Constitution du 20 juillet 1991 proclame: «la Mauritanie est une République islamique, indivisible…». Et l’article 5 précise que «l’islam est la religion du peuple et de l’Etat». Cela laisse entendre que la Mauritanie n’est pas un Etat laïc, que tout Mauritanien est musulman et que tous les responsables de l’Etat doivent être musulmans. Si par le passé il y a eu des ministres métis, depuis la promulgation de cette Constitution aucun Mauritanien non musulman n’a occupé un tel poste de responsabilité.

Cependant, l’islam en tant que tel n’a jamais été un facteur susceptible de diviser les Mauritaniens entres islamistes extrémistes et modérés. Dans ce cadre, ce constat du penseur mauritanien Cheikh Mohamed Salem Ould Abdel Wedoud est édifiant: «L’appellation République islamique de Mauritanie ne voulait rien dire d’autre, alors qu’aujourd’hui des autorités religieuses de Nouakchott s’enorgueillissent de ce que l’Etat mauritanien est le premier dans le monde à porter ce nom à sa naissance». Cet orgueil est-il à l’origine de l’extrémisme observé parmi les personnalités religieuses au cours de ces dernières années? Ou est-ce la gestion étatique de la religion qui a conduit à la situation actuelle?

En 1991, l’extrémisme religieux était peu visible. Cependant, les autorités avaient catégoriquement refusé de légaliser un parti politique basé sur l’islam: la Oumma, autrement dit la nation musulmane. Combattre les pouvoirs infidèles, l’injustice, la corruption en se basant sur la charia, le rejet des pouvoirs putschistes étaient parmi les idées fortes de ce parti. Pour légitimer leur démarche, les mandataires avaient déclaré que «la Oumma n’a pas de liens avec l’étranger, ni une base tribale, régionale ou ethnique». Une justification qui se comprenait facilement au sortir de la guerre du Golfe durant laquelle la Mauritanie avait soutenu officiellement le régime de Saddam Hussein. Une position qui lui avait coûté la suspension partielle de l’aide qu’elle recevait des monarchies du Golfe, en particulier de l’Arabie Saoudite et du Koweït. Expliquant la démarche mauritanienne face aux mouvements religieux, Moussa Ould Hamed de l’hebdomadaire Le Calame note «tout comme les autres pouvoirs arabes, le gouvernement mauritanien estime que les mouvements religieux constituent un danger pour la stabilité dans le pays et qu’à ce titre il faudra les étouffer dans l’œuf avant qu’ils ne parviennent à s’implanter solidement au sein de la population. Cette approche, très chère à l’administration Bush, est appliquée à la lettre par le pouvoir de Ould Taya depuis plus d’une décennie».

Organisation des activités religieuses

Les activités religieuses sont organisées dans le cadre étatique à travers le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique et le secrétariat d’Etat à la Lutte contre l’analphabétisme et à l’Enseignement originel. Ces institutions permettent à l’Etat de contrôler le monde islamique qu’il n’hésite pas à utiliser à des fins politiques, surtout en période électorale où les personnalités religieuses sont sollicitées pour mobiliser les électeurs au profit du parti au pouvoir. Mais quand la conjoncture l’exige, le gouvernement n’hésite pas à frapper dur dans les milieux islamistes en brandissant le slogan «garantir la sécurité de l’Etat» et en criant au complot. La Mauritanie a aussi créé un Haut conseil islamique en vertu de la Constitution de 1991. Composé de cinq membres, il se réunit à la demande du président de la République pour formuler un avis sur une question dont il a été saisi. Il s’agit en fait d’une instance consultative totalement subordonnée à la présidence de la République. Si les marabouts et les imams enseignent ou dirigent les prières, le mufti, dont le poste n’existe pas en Mauritanie, proclame des fatwas (avis juridiques sur des questions déterminées).

S’agissant des nombreuses mosquées du pays, celles qui relèvent du cadre officiel sont subventionnées par l’Etat qui désigne aussi leurs imams. L’Etat surveille particulièrement les mosquées de Nouakchott (la capitale) et celles de Nouadhibou (la capitale économique, sur la côte atlantique, non loin des frontières avec le Maroc). D’ailleurs, la majorité des personnes arrêtées en mai ont été interpellées dans ces deux villes où la pauvreté rend les populations beaucoup plus réceptives aux messages des religieux.

Jusqu’à une date récente, personne ne se souciait de l’origine des fonds étrangers qui participaient à la promotion des activités islamiques dans le pays. Tous les dons étaient les bienvenus pourvu qu’ils servent l’islam, la religion d’Etat. Certes, il y a certains donateurs qui ont laissé des traces par la construction de mosquées remarquables à Nouakchott. Dans ce cadre, le Maroc, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont légué chacun à la capitale mauritanienne une mosquée qui porte son nom. Si l’origine des financements des réseaux terroristes supposés demeure indéterminée et intrigue les autorités depuis le 11 septembre 2001, celle du financement de l’islamisation architecturale l’est moins. Paysans, commerçants, émigrés établis dans les monarchies du Golfe et Etats musulmans pétroliers ont toujours investi dans la construction des mosquées au vu et su de tout le monde.

L’enseignement de l’islam

La Mauritanie semble avoir pris des mesures préventives contre l’islamisme radical en essayant de contrôler les centres de formation et les mosquées. Cette action s’est manifestée par la tentative de récupération des mahadras (écoles coraniques jadis informelles) qui étaient entre les mains des marabouts. Toutes les mahadras ont dû obtenir un récépissé de reconnaissance et peuvent ainsi prétendre à une subvention de l’Etat. Sans pour autant entrer dans le giron des écoles publiques, les mahadras sont étroitement surveillées par la tutelle publique, même si celle-ci ne s’est jamais trop souciée de ce qui se disait dans ces lieux. Dans l’effort de contenir les courants islamistes, le gouvernement mauritanien a même créé un centre d’insertion professionnelle destiné aux sortants des mahadras. Financé par la Banque islamique de développement, il a ouvert ses portes en janvier 1994. Dans ce centre, les élèves, habitués à écouter les interprétations du Coran et de la Sunna du prophète, apprennent la mécanique, la menuiserie, le bâtiment, l’électromécanique… «Une façon de les écarter du fanatisme religieux», ironise un journaliste mauritanien.

Quant à l’enseignement supérieur en matière d’islam, il est assuré par l’Institut supérieur des études et des recherches islamiques (ISERI), dont certains enseignants figurent parmi les islamistes arrêtés. Même s’il est contrôlé par l’Etat, l’ISERI a été réalisé grâce à un financement saoudien. C’est là que sont formés les cadres publics pour les activités religieuses, les magistrats, les professeurs d’instruction morale, civique et religieuse, les prêcheurs… A côté de l’ISERI, il existe l’Institut saoudien des études islamiques. Financé entièrement par des fonds saoudiens, il reçoit aussi des étudiants venant de l’Afrique noire (Sénégalais, Gambiens, Guinéens, Nigériens…) et même des ressortissants des pays du Maghreb.

Aujourd’hui, tout le monde se demande comment les choses en sont arrivées là, dans une Mauritanie où la survie quotidienne préoccupe la majorité des citoyens. «Les islamistes comptent sur l’esprit d’ouverture de notre peuple et sur ses prédispositions naturelles à accueillir favorablement tout ce qui se réfère à la religion islamique», répond le Premier ministre. Après la tentative de coup d’Etat manqué du 8 juin 2003, l’on se demande aussi comment le régime de Maaouya Oud Sid’Ahmed Taya parviendra à mener cette guerre s’il doit apaiser la colère d’une partie de son armée tout en faisant face à la menace islamiste.


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