ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 462 - 15/09/2003

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Tchad
Le pipeline Tchad-Cameroun: 
une ère nouvelle


 VIE SOCIALE


Grâce à son pétrole 
— dont les revenus seront intégrés dans le budget de 2004 — 
le Tchad fait désormais partie des pays producteurs avec 225.000 barils par jour 
et pourra augmenter son budget de 45 à 50%. 
Mais plusieurs problèmes sociaux restent sur le tapis...

D’un coût total de 3,7 milliards de dollars, le projet du pipeline Tchad-Cameroun prévoit l’exploitation des réserves du bassin de Doba sur une durée de 25 ans. Cette exploitation devrait rapporter en tout $2 milliards au Tchad et $500 millions au Cameroun.

«Le projet de l’oléoduc Tchad-Cameroun est un exemple frappant de la façon dont les gouvernements et le secteur privé international peuvent travailler de concert avec les institutions multilatérales pour transformer du tout au tout les perspectives d’un pays pauvre», écrivait à la veille de la décision de la Banque mondiale, le député européen et ancien Premier ministre français Michel Rocard.

L’Etat tchadien, propriétaire du projet, est récipiendaire des financements de la Banque, gestionnaire des bénéfices financiers et garant des conditions fixées pour l’exécution du projet. Les bailleurs de fonds ont investi 3,72 milliards de dollars, dont 2,2 milliards pour l’oléoduc de 1.070 km (890 km sur le territoire camerounais), qui vient de relier Doba à Kribi, au sud-ouest du Cameroun. Le pipeline permettra un débit maximal de 250.000 barils/jour.

Le premier baril a coulé....

Le pétrole au Tchad devient de plus en plus une réalité, car le 15 juillet dernier, le premier baril de brut a symboliquement coulé dans le pipeline qui acheminera le brut tchadien jusqu’au terminal off-shore de Kribi, au sud de la côte camerounaise. Depuis quelques jours, la mise en production des champs pétrolifères de Miandoum a démarré dans le sud du Tchad. Les travaux de construction des unités centrales de traitement au Tchad continuent et le niveau normal de production sera atteint à la fin de l’année 2003. Les opérations de forage se poursuivent également sur les deux autres champs, à Kome et Bolobo, tous dans la région de Doba. Une fois les forages achevés, la production des 225.000 barils/jour sera couverte à partir des puits et installations de ces champs. L’inauguration officielle des installations se déroulera fin septembre dans la localité de Komé, au coeur du gisement de Doba.

Selon le Premier ministre, Moussa Faki, «la phase de construction se poursuit au niveau des installations de surface qui seront finalisées au mois d’avril 2004». Mais les installations de tous les champs ne sont pas achevées. Le gouvernement a décidé d’exploiter par anticipation avec les structures existantes, a déclaré M. Tom Erdimi, le coordinateur national du projet pétrole. «Tous les 301 puits ne sont pas opérationnels. Ils ne le seront qu’à la fin de l’année 2006», a-t-il précisé.

Pendant les 25 ans prévus pour l’exploitation, le pétrole fournira au Tchad un bénéfice global de 2 milliards de dollars et le budget du gouvernement pourra augmenter de 45 à 50%. Le gouvernement tchadien a pris des mesures pour mieux gérer les revenus pétroliers. Il prévoit de mettre de côté 10% des revenus pétroliers pour les générations futures, 5% pour le développement de la zone pétrolière et 80% pour les secteurs dits prioritaires: éducation, santé et services sociaux, développement rural, infrastructures.

Les avantages du pétrole

Mais pour qui coule le pétrole de Doba? Les réactions des Tchadiens à ce sujet sont multiples, les uns et les autres essayant de voir plutôt ce que ce pétrole peut apporter comme changement dans leur vie quotidienne. Aliouda Limane, planificateur de vol àla “Mission Aviation Followship”, explique que «le pétrole tchadien aura probablement des conséquences sur mon travail, car le nombre de vols d’avions va peut-être augmenter. Les ONG avec lesquelles nous travaillons vont commander plus de voyages qu’auparavant, ce qui nous permettra aussi d’augmenter nos salaires».

Bérénice Rimbarné, vendeuse de pagnes au grand marché de N’Djamena, la capitale tchadienne, émet un espoir: «Grâce à l’argent que le pétrole va amener, il n’y aura plus d’achats à crédit. Les gens auront suffisamment d’argent pour pouvoir acheter au comptant mes pagnes. Car en ce moment, on souffre beaucoup; les gens prennent les marchandises à crédit et il faut pratiquement les poursuivre pour récupérer son argent. Alors, j’espère que le pétrole va nous aider».

Si pour certains le pétrole doit permettre d’accroître leur chiffre d’affaires, pour d’autres il constitue plutôt une source de préoccupation. «La gestion des revenus pétroliers doit être bien faite. Pour cela, nous avons obtenu la création du Collège de contrôle et de surveillance des revenus pétroliers. C’était du forcing au niveau de la société civile et de la Banque mondiale», déclare Dobia Assingar, président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme.

Le Tchad est l’un des pays les plus pauvres au monde: 80% de la population vit avec moins d’un dollar par jour. La manne pétrolière pourrait donc favoriser le développement. Cependant, il faut rester prudent. «A ceux qui jubilent à la simple évocation de l’idée que le Tchad produise 225.000 barils par jour de pétrole, nous disons: restons vigilants», déclare l’éditorialiste de “Ialtchad”.

En effet, la répartition, faite sous la pression de la Banque mondiale, ne concerne que 55% des revenus pétroliers, car elle ne vise que les gisements de la région de Doba-Komé-Miandoum.

Les déchets dérangent

Selon une enquête, de nombreuses maladies, suivies de mort d’hommes ou de cheptel, seraient provoquées dans quatre villages du département du Mayo-Rey, à environ 750 kilomètres au nord-est de Yaoundé, la capitale du Cameroun, par des déchets mal entreposés. Ces déchets sont produits par une des sociétés sous-traitantes de la Cameroon Oil Transportation Company (COTCO), chargée de réaliser le pipeline du pétrole, selon un rapport de l’ONG “Service œcuménique pour la paix”.

Ce rapport, présenté en juin dernier à Yaoundé, accuse la société Willbros, engagée par la COTCO pour des travaux de construction vers la partie nord du pipeline, de «mauvaise gestion des décharges qui ont provoqué des dégâts considérables sur le bétail, notamment le cheptel porcin, sur les populations où certaines personnes auraient perdu la vie, et sur l’équilibre écologique de la région». «Nos efforts actuels visent àprovoquer une indemnisation immédiate, et à sensibiliser la COTCO et le gouvernement du Cameroun sur les dangers que représentent ces déchets pour les populations du Mayo-Rey», a indiqué Samuel Nguiffo, coordonnateur du Centre pour l’environnement et le développement (CED).

Des pertes occasionnées par l’entreprise Willbros, souligne le rapport, ont transformé les villages du nord en “villages dépotoirs”, où on observe un «cocktail de détritus en décomposition, déversés à proximité des habitations qui souffrent des odeurs libérées dans l’atmosphère». Selon la loi cadre sur l’environnement, les déchets et ordures doivent être déposés à une distance raisonnable des habitations. «C’est une violation flagrante des dispositions du Plan de gestion de l’environnement et de la réglementation en vigueur au Cameroun, qui prévoient un plan de compensation environnementale pour parer à la perte de la biodiversité le long du pipeline. Nous avons saisi cette société afin qu’elle se soumette aux obligations contractuelles contenues dans le cahier de charges», explique Josiane Ngante, ingénieur au ministère de l’Environnement et des Forêts.

Jusqu’à ce jour, aucune compensation n’est envisagée ni par la COTCO ni par la Banque mondiale. Cette attitude irrite les ONG de défense de l’environnement, notamment le CED qui a fait dresser, par le centre zootechnique et vétérinaire de Mbaïmboum, un procès-verbal de confirmation de mortalité en masse, par ingestion d’aliments avariés, d’animaux s’étant nourris dans les décharges.

Polémique sociale

La procédure des indemnisations est moins avancée au Cameroun qu’au Tchad, mais son principe reste le même. Comme l’explique M. Michel Gallet, directeur général de COTCO, «les discussions sur le tracé du pipeline ont duré un certain temps et nous ont obligé à ne pas nous engager trop tôt sur ce sujet. Mais nous avons consulté les populations et fait le relevé des quantités à indemniser. Elles ont fait l’objet de procès verbaux sur lesquels les populations ont pu s’exprimer librement (…)».

Sur la route qui mène de Lolodorf à Kribi, des villages ont été touchés par la traversée du pipeline. Un agriculteur, Félix Dévalois Ndi Ombgwa, déclare: «Le décompte des arbres n’a pas été respecté. Il y avait une dizaine de palmiers sur le terrain, on en a compté cinq. Les 17 personnes à indemniser ont toutes contesté le comptage, mais n’ont pas obtenu satisfaction. Quant aux montants, ils sont insignifiants». Un autre agriculteur, Joseph Nzie, dénonce le barème COTCO pour compenser les arbres détruits: «Un kilo de cacao est vendu 600 FCFA. Un cacaoyer rapporte trois kilos par an et vit plus de 50 ans. Et on ne donne que 2.000 FCFA. C’est du vol! Même chose pour les palmiers à huile...».

Le projet de l’oléoduc entre le Tchad et le Cameroun a fait l’objet d’une vive polémique sur la question de son impact environnemental et social. La grande mobilisation des écologistes, tant au Cameroun, au Tchad qu’à l’extérieur, avait retardé le projet de plusieurs mois et permis des études relatives à son impact sur l’environnement et sur les populations autochtones riveraines. Au moment où l’oléoduc s’apprêtait à livrer son premier baril, la société civile camerounaise estimait que les investissements du projet n’ont pas encore laissé de retombées significatives sur les populations riveraines.

Droits de l’homme

La majorité des Tchadiens se sont réjouis de l’exploitation du pétrole mais s’inquiètent de la gestion des revenus générés par l’or noir. Ils attendent d’abord une amélioration des conditions de vie. «Le pétrole va apporter un plus en terme de revenus, certes. Mais nous sommes inquiets de constater que le Tchad (selon une étude du Forum économique mondial) est le pays le plus corrompu d’Afrique. Est-ce que ces revenus vont être utilisés dans les secteurs prioritaires pour le développement?», s’interroge Gilbert Maoundonodji, porte-parole de l’association de la société civile. Le militant déplore aussi que l’aspect environnemental du projet n’ait pas été, à ses yeux, suffisamment pris en compte. «Malheureusement, dit-il, la Banque mondiale a fait fi de cette préoccupation. Le pétrole est aujourd’hui une réalité et il faut faire avec».

Une loi a effectivement été adoptée par N’Djamena selon laquelle 80% des revenus iront obligatoirement au financement des secteurs prioritaires. Mais, selon une ONG américaine spécialiste de l’aide au développement, «l’application concrète de cette loi fait apparaître d’importantes lacunes» favorisant une éventuelle évaporation d’une partie substantielle de ces ressources.

«Je suis heureux que le pétrole coule enfin», mais «le plus important maintenant, c’est sa gestion», insiste également l’opposant Kassiré Coumakoye, président de Viva-Rassemblement national pour le développement et le progrès (RNDP).

«Qui dit bonne gestion dit bonne gouvernance. S’il est bien géré, ça pourrait soulager la souffrance du peuple tchadien», estime-t-il. «Les revenus du pétrole ne profiteront pas aux Tchadiens. Il faut que les Tchadiens cessent de rêver», considère pour sa part le député Ngarlejy Yorongar, de la Fédération action pour la République (FAR), principal parti de l’opposition parlementaire.

L’intervention des ONG dans le projet du pipeline Tchad-Cameroun, a concouru à améliorer la qualité du projet d’exploitation et d’exportation du pétrole tchadien sur de nombreux points. Quant à la Banque mondiale, son apport vise à garantir au Tchad et au Cameroun les intérêts des populations et la protection de l’environnement, même s’il faut en critiquer les limites. Et à cet égard, les attaques venues de quelques ONG des pays du Nord avaient quelque chose d’incompréhensible, surtout lorsqu’on observe la situation dans d’autres pays. Aussi est-il primordial de réaffirmer avec force la primauté absolue du droit international, des droits de l’homme sur tout autre traité international, notamment commercial. Les droits de l’homme ne sont pas “à la carte”, selon le bon vouloir des entreprises ou des gouvernements et de leur stratégie, mais sont des obligations absolues.


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