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Sierra Leone |
DROITS DE L’HOMME
La Commission vérité et réconciliation (CVR) de la Sierra Leone permet,
tant aux victimes qu’aux auteurs d’atrocités,
de révéler des faits jusqu’ici inconnus, perpétrés pendant la guerreLa CVR a procédé aux auditions de témoins dans différentes parties du pays, afin que chaque province puisse avoir accès à la Commission. Toutefois, il y plus de victimes que d’auteurs d’atrocités prêts à venir donner leur témoignage; et parmi les victimes, les femmes sont les plus nombreuses. Elles ont été violées, mutilées, torturées, forcées d’assister aux meurtres de leurs familles.
A Makeni, centre de la province du Nord, deux femmes amputées de leurs mains, ont racconté ce qu’elles ont vécu. Adama Koroma explique qu’après leur avoir coupé les mains, les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) leur ont lancé d’un ton sarcastique: «Ahmad Tejan Kabbah (président du Sierra Leone) vous en donnera d’autres». Adama raconte qu’il y avait 26 personnes alignées en attente de ce supplice, uniquement parce qu’elles étaient pour le président Kabbah. D’autres victimes disent qu’on leur a coupé les mains parce qu’elles s’en étaient servies pour voter pour Kabbah.
Lors de ces auditions, on a révélé beaucoup d’atrocités jusque-là cachées, pas seulement perpétrées par les rebelles. Un instituteur de Makeni, Alex Santigye Kamara, a déclaré à la Commission qu’un soldat des forces pro-gouvernementales (les Kamajors) avait tué son fils, Alex Kamara jr. Le 3 mars 1999, ce dernier avait quitté Freetown pour se rendre à Makeni, quand il fut arrêté à un poste de contrôle à Port Loko, dans le nord-ouest. S’étant rendu lui-même à cet endroit, Alex Kamara sr. a découvert que son fils avait été battu à mort: «Ils l’avaient enterré dans un caniveau, derrière l’Hôtel de ville de Port Loko», dit-il. Il ajoute que le commandant des Kamajors à Port Loko, Mohamed Karin, en voulait à son fils parce qu’ils convoitaient la même femme. Quand il a vu Kamara jr. au poste de contrôle, il l’a accusé d’être un rebelle et donné l’ordre de le tuer.
Une autre femme témoigne à huis clos devant la CVR de Freetown. Elle racconte comment elle a été enlevée par un groupe de soldats renégats, partisans de l’ancien commandant du Conseil des Forces armées (AFRC ), Johnny Paul Koroma, actuellement en fuite; comment elle a été violée par ces soldats, pour être ensuite utilisée comme leur femme de brousse. En 1998, les forces de l’Afrique de l’Ouest mettaient fin au règne de l’AFRC ; un bon nombre de soldats se sont alors alliés au RUF et aux rebelles pour lutter contre le gouvernement. De nombreux témoignages devant la CVR ont révélé beaucoup d’atrocités perpétrées parmi les civils par ces renégats.
Un autre témoin, nommé Alpha, raconte à la CVR que ces soldats renégats lui ont coupé la jambe et les oreilles à Marten, un petit village du district de Kono, dans le nord-est de la Sierra Leone. Ils lui avaient demandé de l’argent; mais il leur a répondu qu’il n’en avait pas. Evidemment ils l’ont fouillé et ils ont trouvé sur lui une somme importante. Ils l’ont alors mis dans la file avec d’autres villageois en attente être amputés.
Encore aujourd’hui, beaucoup de gens ont peur de témoigner. Mais David Crane, le procureur américain du Tribunal des crimes de guerre, appelé aussi «Cour spéciale», a assuré aux potentiels témoins que son tribunal ne se servira pas des témoignages portés devant la CVR.
Les objectifs de la CVR
Le président de la CVR, l’évêque Joseph Humper, a dit à maintes reprises que cette Commission a comme objectif d’établir un rapport historique impartial. Il espère aussi ranimer l’espoir dans le pays, faire se rencontrer les différentes factions et encourager la réconciliation. La CVR a terminé en juillet ses auditions dans les provinces. Selon Mgr Humper, ces auditions ont permis à la population d’exprimer ce qu’elle pensait, d’être entendue, de présenter des suggestions. Elles ont aussi permis aux auteurs de ces crimes de demander pardon.
Il y a cependant une note divergente. Beaucoup de victimes, surtout celles qui vivent dans le camp pour mutilés à Aberdeen, à l’ouest de Freetown, sont mécontentes. Dans des débats publics et lors de points de presse, elles ont souvent critiqué la communauté internationale de faire plus pour les criminels — par le biais du programme du désarmement et de démobilisation — que pour les victimes: «A part quelques subventions venant des organisations humanitaires, il a été prévu très peu pour ceux qui ont souffert».
Mais en général, malgré de profondes cicatrices qui restent dans les esprits de millions de Sierra-Léonais, ceux-ci désirent tourner le dos au passé. La guerre civile est devenue une histoire à raconter à la postérité.
- Alpha R.Jalloh, Sierra Leone, août 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source
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