ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 463 - 01/10/2003

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Cameroun
La menace qui vient du Grand-Nord


TENSIONS


Effervescence au Grand-Nord de feu Hamadou Hahidjo,
où un mémorandum accuse Biya d’ignorer les populations de cette partie du pays.
Levée de boucliers à l’approche de la présidentielle de 2004

Alors que le Cameroun s’emploie depuis une dizaine d’années à mettre un terme à la menace sécessionniste des deux provinces anglophones du Sud-Est et Nord-Est, d’autres voix s’élèvent depuis septembre 2002 dans la partie septentrionale du pays, communément appelée “Grand-Nord”. Un vaste ensemble géographique constitué de trois provinces: l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord. Selon les chiffres du PNUD publiés en 2000, cette région compte 4.575.000 habitants, plus 2.100.000 autres ressortissants disséminés au sud du pays: soit 47% de la population du Cameroun.

Filles et fils de cette partie du pays, sous la houlette d’anciens ministres – Dakolé Daïssala, Garga Haman Adji, Hamadou Moustapha, Issa Tchiroma, Sanda Oumarou, Antar Gassagaï –, menacent à leur tour Yaoundé. Ils ont adressé aux autorités un «Memorandum sur les problèmes du Grand-Nord». Le ton du document est au vitriol à l’endroit de Paul Biya, président depuis 1982 et en pré-campagne pour l’élection présidentielle de 2004: «Le document permettra sans nul doute à tous les Camerounais épris de paix et de justice, de mesurer l’abîme dans lequel les a précipités la gouvernance du régime Biya, essentiellement marquée par la désinformation, la corruption et la tricherie, animée par une caste caractérisée par une sécheresse du cœur et de l’esprit mettant en péril l’Etat, la République et la nation face aux défis de la survie et de la modernité». Ils invitent tout Camerounais à «s’interroger sur l’avenir du Cameroun et sur leur destin commun, en fonction de sa sensibilité et de son expérience propre».

Reproches

En ce qui concerne proprement le Grand-Nord, l’élite dénonce, entre autres, sa sous-représentation au sein des structures de l’Etat. Au niveau des institutions, le département de la Bénoué (province du Nord) avec ses 676.000 habitants a quatre députés, alors que le département natal du chef de l’Etat, le Dja-et-Lobo, avec seulement 138.000 habitants, en a cinq: si le département de la Bénoué avait bénéficié du même traitement, il aurait 24 représentants à l’Assemblée nationale. Ce cas de discrimination flagrante, précisent les auteurs, heurte la conscience de tout démocrate.

Il en est de même du secteur de la justice. Aucun fils du Grand-Nord ne siège à la Cour suprême, et aucune cour d’appel n’est présidée par un des leurs. Quant au gouvernement, les auteurs notent qu’en dépit de la présence d’originaires du Grand-Nord, «tous les problèmes cruciaux demeurent. La présence des leurs ne sert que de faire-valoir». (Sur douze secrétaires d’Etat en fonction, six sont du Grand-Nord).

Le même travail de comparaison est fait au niveau des administrations publiques. A la présidence de la République, sur 100 responsables de haut rang, seul neuf sont originaires du Grand-Nord. Au ministère des Investissements publics, aucun directeur des services centraux n’est originaire du Grand-Nord. Même son de cloche au ministère de l’Administration territoriale et au ministère des Relations extérieures. Au ministère de la Santé publique, aucun des leurs n’est responsable des trois hôpitaux de référence, ni du centre de formation en santé publique. Dans les services de la Sûreté nationale, – sécurité publique, police des frontières, renseignements généraux, surveillance du territoire, etc. – les directions n’ont jamais été occupées par un fils du Grand-Nord depuis l’avènement de Paul Biya à la magistrature suprême. En dehors du ministre de la Défense et du directeur de la sécurité présidentielle, tous les autres responsables des services de sécurité et de défense sont du Centre-Sud-Est.

Sur un autre chapitre, les auteurs font cas de «l’indifférence ou insouciance du pouvoir face aux problèmes du Grand-Nord, qui intervient généralement quand le mal est déjà fait». Une région frappée, disent-ils, de façon récurrente par les épidémies de choléra pendant la saison des pluies et de la méningite en période de forte chaleur. Alors que sur le plan national le taux de couverture sanitaire est d’un médecin pour 14.730 habitants, il est d’un médecin pour 46.972 habitants dans la province de l’Extrême-Nord, où d’ailleurs il n’y a aucun chirurgien, ni dentiste ou cardiologue: il n’y a qu’un gynécologue. D’autres chiffres concernent les problèmes sociaux comme la sécheresse, la sous-scolarisation.

Réactions

Face à ce mémorandum, Yaoundé reste officiellement de marbre. Même si l’on a vécu une levée de boucliers menée par d’autres représentants du Grand-Nord. Une forte délégation conduite par Marafa Hamidou Yaya, ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Cavaye Yeguie Djibril, président de l’Assemblée nationale, et d’autres membres du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) originaires du Grand-Nord, ont sillonné les trois provinces de la région. Pendant une semaine, ils ont voulu rassurer les populations du soutien ferme et inconditionnel du RDPC et de Paul Biya. Il n’ont pas manqué de démentir au passage les propos des auteurs du mémorandum, tout en invitant les populations à ne pas céder à ces discours.

Une autre personne originaire du Grand-Nord, membre du comité central du RDPC, est sortie de sa réserve, renvoyant dos à dos les auteurs du mémorandum, – d’anciens ministres déchus du régime Biya – et leurs adversaires. Prenant à partie la délégation conduite par ses camarades de parti, il affirme que le Grand-Nord connaît les problèmes cités dans le mémorandum. Dans un opuscule intitulé «La troisième voix du Grand-Nord», il s’érige «contre ceux qui, par leur comportement ambigu, leur conservatisme irréductible et aveugle, leur hypocrisie prompte au positionnement, avec un militantisme d’exhibition, tendent à prouver leur loyalisme au président Biya». A son avis, M. Biya devrait davantage tenir compte de la base de son électorat dans le Grand-Nord comme dans tout le pays, constitué de pauvres paysans en proie aux rigueurs de la vie.

Toute cette effervescence autour du Grand-Nord à la veille de la présidentielle de 2004, met en exergue la volonté des hommes politiques d’influencer le choix des électeurs qui font près de 50% de la population.


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