ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 464 - 15/10/2003

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


 Cameroun
Des budgets “sexospécifiques”


JUSTICE


L’amélioration des priorités budgétaires devrait bénéficier à toutes les Camerounaises

«Si vous voulez connaître la direction que prend un pays, vous n’avez qu’à étudier son budget et la place qu’il accorde aux femmes et aux enfants», dit la députée Mme Armande Din Bell. Comme elle, les élues, les fonctionnaires des finances et les militantes d’organisations non gouvernementales de défense des droits des femmes au Cameroun, sont de plus en plus nombreuses à analyser les retombées qu’ont les choix budgétaires de l’Etat sur les femmes. Afin de promouvoir une plus grande équité budgétaire, elles utilisent une nouvelle méthode de calcul des dépenses publiques: «l’analyse budgétaire adaptée aux besoins des femmes».

Analyse budgétaire “sexospécifique”

Cette analyse budgétaire “sexospécifique” permet de faire ressortir les disparités des dépenses publiques destinées aux hommes et aux femmes. C’est une méthode qui examine non seulement le montant du financement des différents ministères, mais aussi les priorités des dépenses au sein de chacun d’entre eux. Une telle analyse pourra déterminer, par exemple, que des coupes budgétaires dans le secteur agricole nuiront le plus aux agricultrices défavorisées.

La révision de ce budget permettra par conséquent d’accroître les revenus des ménages, d’augmenter les rendements agricoles et d’améliorer la qualité de vie de tous les ruraux. Les partisans d’une telle méthode affirment qu’en permettant de mieux cibler les objectifs et d’utiliser plus efficacement les fonds publics, celle-ci sera en fin de compte bénéfique aux deux sexes. «Aujourd’hui, renchérit Mme Rose Abunaw, vice-présidente de l’Assemblée nationale, l’examen et la préparation du budget se feront à la lumière de ses retombées sur les deux sexes».

«Les décisions budgétaires sont révélatrices des priorités politiques», a expliqué Mme Din Bell à la presse lors de l’ouverture de la 2e session annuelle du Parlement, le 2 juin 2003. «Vous pouvez toujours dire que vous privilégiez la lutte contre la pauvreté, mais ce sont vos décisions budgétaires qui indiqueront si vous allouez à cette priorité le financement nécessaire».

La lutte contre la pauvreté et la «correction des inégalités de sexe» devront constituer les priorités du Cameroun, observe-t-elle, et ces priorités doivent en principe, se traduire à tous les niveaux de l’action gouvernementale.

Les Camerounaises sont en bas de l’échelle socio-économique du pays; de ce fait, leur sort dépend de toutes les décisions financières de l’Etat, et pas seulement de la partie du budget allouée aux programmes spéciaux pour les femmes, explique-t-elle.

«Nous ne réclamons pas de budget séparé pour les femmes», précise Mme Din Bell. «Nous étudierons l’ensemble des dépenses et demanderons: comment ce budget peut-il résoudre les problèmes prioritaires du pays? Il nous faut considérer ces choix non seulement d’un point de vue macroéconomique, mais (…) au niveau des administrations, et au sein des administrations, il nous faut étudier les choix budgétaires entre les programmes et à l’intérieur des programmes».

L’analyse budgétaire “sexospécifique” a été créée à l’initiative d’un groupe d’économistes féministes, animatrices des ONG des droits des femmes. Mme Din Bell, députée depuis le 30 juin 2002, l’a introduite au Parlement. L’adhésion d’une partie des parlementaires à cette initiative, à l’ouverture cette année de sa deuxième session, lui a conféré un poids politique non négligeable. Mais c’est avant tout la rigueur de la recherche et de l’analyse économique qui explique son succès. La collecte d’informations s’est révélée pourtant difficile, les administrations et les économistes ne se donnant que rarement la peine de réunir des données ventilées par sexe.

Former des alliances

C’est la société civile qui comble les lacunes en matière d’informations. Deux ONG, l’Association camerounaise des femmes juristes (Acafej) et le Centre d’appui des femmes et aux ruraux (Cafer), sont aujourd’hui parmi les principaux partenaires de l’Assemblée nationale dans le cadre de l’Initiative du budget des femmes (IBF). «Les organisations non gouvernementales ont les moyens et le temps d’entreprendre la recherche et de produire une analyse. Pour leur part, les députés offrent l’accès à l’information et se préoccupent essentiellement des grandes questions politiques».

Sans une présence constante au sein du gouvernement, «l’analyse aurait pu être oubliée dans un coin… ou être utilisée seulement dans le cercle fermé des militantes féministes».

Dans sa première année d’existence, de juin 2002 à juin 2003, l’IBF a examiné les budgets de six ministères. Depuis, les consultants du projet se sont penchés sur l’ensemble du budget national et sur les budgets des dix provinces du Cameroun. Leurs travaux ont relevé de nombreux cas de discrimination contre les femmes et d’incurie en matière de dépenses publiques.

En fin mars 2003, IBF a découvert que, bien que 52% des femmes adultes et 40% des hommes adultes du Cameroun soient analphabètes, seul 1% du budget de l’éducation de cette année-là était alloué à l’instruction élémentaire des adultes. Les consultants de l’IBF ont fait valoir que ce financement était insuffisant et qu’il nuisait à la fois aux hommes et aux femmes.

Une évaluation de l’enveloppe budgétaire de 2003 réservée au financement des travaux publics a permis de constater qu’un programme de création d’emplois et de formation de personnel qualifié, en zones rurales, géré par le ministère de l’Environnement et des Forêts, recrutait des femmes pour un peu plus de la moitié des nouveaux emplois créés.

En revanche, un programme similaire administré par le même ministère dans une autre région du pays ne recrutait des femmes que pour 14% des postes à pourvoir. En outre, les analystes ont découvert que ce programme recrutait généralement des femmes aux postes les moins bien rémunérés -– phénomène qui n’est pas limité au secteur des Travaux publics. L’étude a révélé également que, dans l’ensemble, les femmes n’occupent que 27% des postes de direction dans l’administration nationale et 38% dans les administrations provinciales.

L’union et la vision font la force

Les militantes de l’IBF admettent que la réaction du gouvernement du Premier ministre, Peter Mafany Musonge, à ce type d’analyse a été positive, malgré les risques d’embarras politique. De l’avis de Mme Din Bell, cela s’explique en partie par l’élection des femmes à près de 20% des postes de l’Assemblée nationale. «S’il n’y avait eu que peu de députées, celles-ci auraient subi d’énormes pressions pour adopter la culture masculine dominante», précise Mme Din Bell.

Mais la loi du nombre n’explique pas à elle seule l’adoption de la nouvelle démarche budgétaire et d’autres mesures en faveur des classes défavorisées.

«De nombreuses femmes élues au Parlement ont participé activement à la lutte contre les inégalités», dit Madame Bell. «Nous avons commencé à partir d’une vision d’une société qui subvient aux besoins essentiels de ses populations, qui offre du travail et de la dignité, qui favorise l’épanouissement de tous».

Loin d’être définie comme un groupe de pression, l’IBF représente un projet de transformation sociale parmi d’autres. «Cette perception est essentielle à notre réussite», explique-t-elle.

En outre, cette année, le soutien affiché à l’IBF par le parti au pouvoir, qui a organisé une concertation nationale de leaders féminins à Yaoundé le 12 juin 2002, a incité le ministre des Finances et du Budget à s’engager à effectuer cette analyse budgétaire lors de l’établissement du budget national.

L’IBF s’avère aujourd’hui être un grand succès national, ne serait-ce que parce que «dans l’ensemble du pays, les gens parlent de femmes et du budget comme jamais auparavant. Les gens demandent: quelles retombées cela a-t-il sur les femmes des milieux défavorisés? C’est une question qui revient régulièrement, elle est directement liée aux difficultés des femmes. C’est l’effet le plus important», note Madame Djine, présidente nationale de l’Acafej.

«Démystifier» le budget

Avec l’aide du Fonds de développement des Nations unies pour la femme (Unifem), la budgétisation “sexospécifique” est débattue par de plus en plus de députés et de défenseurs de la cause féminine.

Les militantes du Cameroun ont commencé à étudier leur budget national en 2002, rapporte Madame Pauline Biyong, présidente de la League for Women and Child Education (Lewce), à l’issue d’un atelier régional de l’Unifem sur les femmes et la budgétisation.

«La première chose que nous avons découverte est que, nous les femmes, comme la population en général, savions à peine comment on établit un budget et comment fonctionnait l’administration budgétaire… Nous avons saisi cette occasion importante [la promotion de la nouvelle analyse budgétaire] pour nous renseigner sur le budget et pour le démystifier aux yeux de la population».

La plupart des Camerounaises pensaient que le budget ne regardait que l’administration… «Nous leur avons expliqué que le budget concernait tout le monde, que l’allocation des fonds publics devait forcément répondre aux besoins des femmes et des hommes… Nous avons expliqué comment il est établi et comment il fonctionne, et nous avons découvert que c’était une opération hiérarchisée, trop technique…et dominée par les hommes».

En mai 2003, un groupe de députées, de chercheurs, de membres d’ONG et de fonctionnaires a constitué le Réseau de l’activisme féminin (RAF), qui a organisé des ateliers sur «l’établissement des budgets sexospécifiques» à l’intention des responsables du gouvernement et de la société civile. Au départ, c’était en grande partie une initiative non gouvernementale, a expliqué Madame Biyong, destinée à motiver un groupe de personnes et à s’assurer leur concours.

Mais une étape décisive est intervenue cette année, quand le gouvernement a demandé au RAF de l’aider à intégrer ces nouvelles techniques aux politiques budgétaires officielles destinées aux planificateurs. Le Premier ministre a ensuite, lors de l’ouverture de la session parlementaire de juin 2003, demandé que des cours de formation soient dispensés sur ces techniques.

Le RAF qui a ainsi reçu une reconnaissance officielle, s’est vu confier par le ministre des Finances et du Budget l’analyse de six secteurs clés du budget national ayant trait à la société, à l’éducation, à l’eau, à l’agriculture, aux femmes et aux enfants, et à l’administration régionale et locale.

Résultat: «dans le secteur de la santé, nous avons constaté que des sommes importantes allouées aux traitement médical de problèmes féminins, comme le cancer du sein, les grossesses et autres, ne parvenaient pas jusqu’aux intéressées. Nous en avons parlé, et je suis heureuse de dire que les pouvoirs publics s’en sont occupés… Il reste beaucoup à faire, mais ils essaient d’investir plus d’argent dans la santé des femmes».

Mme Biyong constate toutefois qu’en raison de la pauvreté, l’Etat ne dispose que de peu de moyens pour accroître les recettes. Par ailleurs, les priorités budgétaires se heurtent aux strictes conditions qui régissent l’aide au développement fournie par les pays donateurs, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. «Le soutien accordé au gouvernement par les institutions financières internationales comme la Banque mondiale est très contraignant… On reçoit beaucoup d’instructions qui sont contraires à l’intérêt des femmes aussi bien que des hommes», dit-elle.

Mobilisation politique indispensable

Mme Din Bell reconnaît qu’à l’heure où la budgétisation “sexospécifique” entame sa première année, beaucoup d’efforts restent à faire en matière de mobilisation politique au Cameroun. «Tout ce que nous avons fait jusqu’à présent a été de familiariser un petit groupe [de militantes] aux rouages du budget, sans avoir réussi à mobiliser les foules sur ces questions. C’est une immense tâche à laquelle devront participer plus de personnes», observe-t-elle.

En fin de compte, il appartiendra au gouvernement et au Parlement, d’acquérir les moyens institutionnels permettant de définir avec précision, les rôles des hommes et des femmes dans la société. Et, d’orienter les dépenses publiques vers une plus grande équité. «Quand on commencera à renforcer ces moyens, nous serons sur la bonne voie», a conclu le ministre de la Condition féminine, Madame Catherine Bakang Mbog.


SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2003 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement