ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 465 - 01/11/2003

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Cameroun
Grandes villes de plus en plus fragilisées 


VIE SOCIALE


Divers projets visent à améliorer logements, services, sécurité et administration

De nombreux immeubles de ciment, de verre et d’acier encombrent le centre de Douala, Yaoundé ou Bafoussam. Mais, un peu plus loin, s’étendent les véritables agglomérations urbaines: des habitations disparates, construites de façon anarchique, en bois, en tôles, en briques de terre ou tout autre matériau disponible. Pourvues uniquement de chemins de terre, elles ont, en guise d’égouts, des fossés à ciel ouvert, sans aucun service municipal de base: ni eau courante, ni ramassage d’ordures, ni électricité, ni téléphone. Ces bidonvilles surpeuplés abritent des millions d’hommes provenant en grande partie de la campagne et de villes secondaires.

Malgré les conditions de vie déplorables et la misère qui y règne, le nombre des nouveaux venus ne cesse de croître. Ces grandes agglomérations sont tout simplement «débordées par la vitesse à laquelle s’effectue cette mutation», explique Madame Elisabeth Tankeu, présidente du conseil d’administration du Bureau camerounais pour le recensement de la population. Elle donne pour exemple Yaoundé, avec un taux d’extension de 12% par an. A ce rythme, la population doublera en moins de dix ans: «Vous pouvez imaginer les conséquences qui en découleront pour les services des eaux, l’électricité, le téléphone, la circulation, les écoles, les dispensaires».

Les problèmes urbains du Cameroun ne tiennent pas uniquement à l’insuffisance des ressources et des services. Il y a aussi les graves perturbations sociales, le niveau élevé de criminalité et d’insécurité, la corruption et l’inefficacité des pouvoirs publics, les très fortes inégalités de revenus et, surtout, la pauvreté omniprésente. Ces problèmes ont été évoqués à plusieurs reprises.

En 1998, une conférence nationale a adopté un “Programme national pour l’habitat naturel”. Tout en soulignant «la situation et les besoins critiques du Cameroun», ce programme reconnaît comme «fondamental» le droit à un logement adéquat.

Lors d’une réunion tenue en décembre 2002 à Douala — plus de 2,5 millions d’habitants —, les ministres de l’Urbanisme et Habitat (MINUH ), de la Ville et des Affaires sociales ont noté que certains progrès ont été réalisés. Mais ils ont aussi reconnu l’inefficacité de la gestion, la médiocrité de l’infrastructure et l’augmentation de la criminalité, qui ont eu des «répercussions négatives… sur la qualité de la vie et le cadre de travail de nombreuses villes et localités du Cameroun».

En mars 2003, le MINUH, tout en faisant le bilan des divers programmes entrepris, prévoyait une urbanisation sans précédent d’ici à 2025. Puisque la plupart des villes ne sont pas prêtes à recevoir cette population, il en résultera une nouvelle «croissance rapide des colonies de squatters densément peuplées et une insuffisance ou même une absence de services».

Urbanisation et pauvreté

Déjà, la population urbaine des grandes métropoles augmente en moyenne de 5% par an – plus que dans le reste du pays (2%). A Douala et à Yaoundé, ce pourcentage est plus élevé. A l’heure actuelle, le Cameroun demeure encore un pays rural, 40% seulement de sa population vivant dans les villes; mais dans moins de 25 ans, «plus de 50% des Camerounais vivront dans des agglomérations urbaines», avertit le géographe Kegne Fodouop, enseignant à l’université de Yaoundé I.

Cette croissance urbaine est en partie due à l’accroissement démographique naturel. Mais elle est surtout le résultat d’une migration des campagnes vers les villes. La sécheresse dans le Nord, la dégradation de l’environnement, la pauvreté et le chômage continuent de contraindre un grand nombre de jeunes villageois à émigrer vers les villes, pour y trouver un emploi et d’autres perspectives économiques et sociales. Mais, vu la récession de la dernière décennie, il y a peu d’emplois stables disponibles.

Selon certains analystes, les problèmes urbains du Cameroun ont été aggravé par les politiques économiques du gouvernement entre 80 et 90, en grande partie à la demande de la Banque mondiale et du FMI. Les premiers programmes de privatisation ont souvent entraîné une réduction des emplois dans le secteur structuré. La libéralisation des échanges a porté à la faillite de nombreuses entreprises locales, incapables de rivaliser avec les articles importés bon marché. Privés d’emplois stables, de nombreux résidents n’ont pas eu les moyens de trouver un logement adéquat. «S’il y a des sans-abri, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de logements, note Mme Cécile Bomba Nkolo, ministre des Affaires sociales. C’est parce que les gens n’ont pas d’emploi».

Par ailleurs, l’austérité budgétaire entraînée par les Programmes d’ajustement structurel, a empêché les autorités municipales de maintenir et de financer suffisamment les services de base, comme les routes, le ramassage des ordures, l’électricité et les réseaux d’approvisionnement en eau.

Deux aspects d’un même problème

Selon M. Fodouop, les politiques agricoles ont également eu des répercussions. Depuis la libéralisation du marché et la réduction dans les années 90 de l’aide du gouvernement, le processus de paupérisation frappant les exploitants agricoles s’est accéléré. Particulièrement dans le secteur du cacao. C’est pourquoi, renchérit M. Fodouop, «nous devons dépasser l’opposition entre développement rural et développement urbain. La pauvreté ne connaît pas de frontières. Le développement rural et le développement urbain constituent les deux aspects d’un même problème».

Actuellement, la pauvreté demeure principalement rurale. Mais, la population se concentrant de plus en plus dans les villes, la pauvreté urbaine augmente de façon beaucoup plus marquée, alors que la situation dans les campagnes s’est légèrement améliorée. Lors de leur réunion de mars 2003, les ministres de l’Urbanisme, des Affaires sociales et de la Ville, ont constaté qu’on allait à la fois vers une urbanisation et une féminisation de la pauvreté. (Le PNUD estime que 10 à 25% des ménages ont à leur tête une femme dans les grandes métropoles camerounaises).

A Douala ou à Yaoundé, la situation s’est dégradée à tel point que les schémas de migration urbaine commencent à se modifier. Traditionnellement, la plupart des migrants affluaient vers ces deux villes. Mais selon les estimations du MINUH , les villes dites “secondaires”, ou situées le long du pipeline Tchad-Cameroun, concentrent maintenant plus de 50% de toute la population urbaine. Le processus d’urbanisation s’est ainsi rééquilibré. Des villes de 10 à 20 mille habitants se développent. Selon le Pr Fodouop, la croissance de Yaoundé ou de Douala ralentirait sensiblement, pendant que 4 ou 5 villes de moindre importance absorbent une plus grande partie des migrants ruraux.

Depuis août dernier, des micro-programmes ont été lancés à Yaoundé et Douala, pour aider la population des bidonvilles à construire des logements de meilleure qualité et maîtriser les services de base. Des projets de revalorisation urbaine, élaborés par la Mission d’aménagement et d’équipement des terrains urbains et ruraux, sont aussi en cours, dans le cadre des initiatives de relance de l’"Habitat social au Cameroun".

En 2001 et 2002, ces initiatives avaient déjà permis d’améliorer les infrastructures et les services pour près d’un demi-million de personnes, sur un total de 2 millions d’habitants des villes classifiées comme secondaires.

Le dilemme du financement

L’un des plus grands dilemmes tient au financement du développement et à l’entretien des services essentiels. Malgré l’appui financier du gouvernement ou de l’Union européenne -– servant en général à la construction d’installations et non à leur fonctionnement -– les autorités municipales dépendent surtout des impôts, taxes et redevances locales. Une étude du ministère de l’Economie (juillet 2003) a constaté que bon nombre de grandes villes tirent la plupart de leurs revenus des impôts fonciers. Ces derniers représentent 60% de l’ensemble des revenus de Yaoundé et Douala. Grâce à ces impôts, les catégories sociales aisées – celles qui sont à même de posséder des biens imposables – contribuent au financement de services qui profitent à une plus grande partie de la population et notamment aux pauvres.

«Mais il n’est pas facile de percevoir tous les impôts et encore moins d’élargir la base d’imposition», explique Etienne Mbappé, inspecteur des impôts. Souvent, les évaluations de biens immobiliers sont incomplètes et périmées, et il est très difficile d’estimer les propriétés dans les zones résidentielles non aménagées, étant donné que les titres de propriété officiels sont rares, voire inexistants. En outre, un grand nombre de contribuables sont peu enclins à payer les sommes dont ils sont redevables, surtout vu la corruption et le mauvais usage fait des impôts dont ils s’acquittent. Par ailleurs, à Douala, Yaoundé et Bafoussam, les institutions du gouvernement central sont parmi les plus grands propriétaires fonciers, mais ne contribuent pas aux finances municipales.

Etant donné ces contraintes financières, les autorités municipales tendent de plus en plus à privatiser les prestations de services ou à faire appel à la sous-traitance. A Douala et Yaoundé, c’est un organisme privé qui enlève les ordures, tandis qu’une demi-dizaine de petites entreprises opèrent dans d’autres quartiers. Mais il y a des lacunes.

Souvent, les entrepreneurs privés travaillent surtout dans des zones où les résidents ont des revenus moyens ou supérieurs, et donc les moyens de payer. Beaucoup de pauvres se trouvent ainsi privés de ce genre de services. «Des compagnies privées de transport ont vu le jour, mais leurs taxis et bus coûtent souvent plus cher et ne desservent que les itinéraires rentables. Ce qui oblige un grand nombre de citadins à voyager à bicyclette ou à faire de longs parcours à pied», commente Vincent Belibi, conseiller municipal.

M. Fodouop conçoit que la privatisation des services des eaux puisse être utile, mais il se dit préoccupé par l’égalité d’accès. «C’est un mythe de croire que les pauvres ont actuellement gratuitement accès à l’eau, dit-il. L’eau ne leur parvient pas parce que l’approvisionnement par l’Etat s’est avéré un échec total». Ceci les oblige à acheter de l’eau à des marchands du secteur non structuré et, souvent, ils finissent par payer plus cher que les riches.


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