ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 466 - 15/11/2003

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 Cameroun
Rompre avec la tradition pour protéger les femmes


FEMMES


Des villageois s’associent aux campagnes de lutte contre la mutilation génitale féminine

Fin septembre 2003, les habitants de huit campements du nord du Cameroun se sont rassemblés à Kousseri, ville frontalière du Tchad, pour débattre librement de la coutume ancestrale qui consiste à exciser les organes génitaux des fillettes.

Les participants, auxquels se sont associés le préfet local, des représentants de l’UNICEF et des députés de la région, ont fait part de l’expérience acquise au cours d’un programme d’éducation qui a duré un an et leur a permis de s’informer des droits humains et de la santé des femmes, et en particulier des risques et dangers que présente la mutilation génitale féminine (MGF, ou excision). Les participants ont indiqué qu’ils comptaient bientôt abandonner cette pratique.

A Kousseri, comme dans plusieurs localités des provinces septentrionales dominées par la culture musulmane (Adamaoua, Nord et Extrême-Nord) et dans une moindre mesure certaines localités isolées du sud-ouest du pays, des villageois parlent maintenant au grand jour de la MGF, sujet autrefois tabou. Bien que ceux qui abandonnent cette pratique soient encore peu nombreux, leur nombre ne cesse d’augmenter.

Une ONG camerounaise, “Femmes et développement au Cameroun” (FDC), était à l’origine de la cérémonie de Kousseri. Suite à des programmes d’éducation sanitaire organisés par l’ONG, 630 villages du Cameroun, soit 11% des Camerounais concernés par cette tradition, ont déclaré publiquement qu’ils allaient abandonner cette pratique. «C’est curieux, nous n’avons jamais demandé aux gens de mettre fin à l’excision», nous dit Martine Ekounga, vice-présidente de FDC. Le programme initie aux droits de l’homme et fait connaître les risques que la MGF présente pour la santé. FDC a donné à cette phase du programme le nom de “Retourner les habitudes”. Habituellement, c’est à ce stade que les participants prennent eux-mêmes la décision d’abandonner cette pratique.

Incidences sur la santé

On estime que chaque année, 2 millions de jeunes filles dans le monde sont victimes de l’excision. En Afrique subsaharienne, cette pratique est largement répandue. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) subdivise cette pratique en quatre catégories, en fonction de l’importance de l’excision faite, ainsi que du recours à d’autres procédures, comme par exemple celle qui consiste à retirer la fente vaginale en la suturant.

Les conséquences de la MGF pour la santé sont très graves. Les femmes et les fillettes qui la subissent, souffrent souvent d’hémorragies, d’infections, de stérilité, et ont souvent des difficultés lorsqu’elles accouchent, ce qui contribue à la mortalité maternelle.

La MGF peut provoquer un traumatisme psychologique, directement lié à l’excision et dû aussi au fait de voir ses sœurs, filles et petites-filles subir la même épreuve. Elle renforce symboliquement le rôle traditionnellement inférieur des femmes dans la société. La MGF a déjà été interdite par une ancienne loi, et des ONG militent même en faveur de la condamnation des parents qui font subir cette pratique à leurs filles.

Briser le silence

Malgré les souffrances qu’elles endurent dans les communautés du Nord où la MGF est pratiquée, les femmes sont peu nombreuses à s’y opposer.

La question a toujours été taboue, aussi bien entre hommes et femmes qu’entre femmes. Le fait d’en parler ouvertement est donc un grand progrès.

Mme Fatima Oumate, de l’Association pour la promotion des droits de la femme camerounaise (APDFC) qui œuvre en faveur des droits des femmes et des fillettes, est fière d’avoir réussi à entamer le dialogue sur la question: «Le fait que les hommes parlent maintenant de la MGF est important, parce qu’il s’agit d’une question en rapport avec la sexualité féminine et qu’il n’est pas facile pour les hommes d’en parler au Cameroun. Quand on voit un chef de village assis en train de parler de MGF en présence des femmes, on voit à quel point les choses ont changé», explique-t-elle.

L’APDFC a créé une ligne téléphonique spéciale consacrée à la question. Elle reçoit en moyenne 16 appels par mois. Dans une déclaration publique qui avait pour objet de faire renoncer le peuple Peuhl de Kousseri à la MGF, une femme âgée a pris la parole devant le chef du village et les dirigeants religieux, se souvient Mme Hadja: «Elle a dit qu’il ne lui était pas venu à l’idée d’en parler, mais que le cours qu’elle avait suivi lui avait appris à dire ce qu’elle pensait et qu’elle n’avait plus peur. C’était bouleversant».

Les hommes apprécient également les connaissances qu’ils acquièrent grâce à ces discussions. Mme Hadja se souvient d’un homme qui avait suivi le programme et dont la fille était morte auparavant, apparemment du tétanos. Après avoir compris comment les microbes se transmettent, il a compris que sa fille était morte des suites de la MGF. Il est alors retourné dans sa communauté pour dire à ses semblables de mettre fin à cette pratique, citant la mort de sa fille en exemple.

L’évolution de la culture

Changer une tradition séculaire qui fait partie intégrante de la culture n’a rien de simple. «La MGF est tellement ancrée dans les mentalités: c’est une chose qui s’est toujours faite. C’est pourquoi il est si difficile d’y mettre fin», explique Marianne Kombou, coordinatrice des programmes d’éducation d’une campagne d’élimination de la MGF qui rassemble 9 organisations.

Mais beaucoup de femmes ne voient aucune contradiction entre le fait de renoncer à la MGF et le souhait de continuer à respecter les traditions et la culture. «Aucune culture ni tradition n’échappe à l’évolution», déclare Oumate.

Et Mme Hadja: «La tradition n’est pas une fin en soi. Les traditions sont là pour aider les gens à se rapprocher dans l’harmonie et dans la paix. Une tradition qui engendre des souffrances et des morts de femmes et de petites filles, ne réalise pas l’objectif d’harmonie, de paix et de bien-être pour tous les membres de la communauté».

Dans les communautés qui pratiquent la MGF, les jeunes filles qui ne subissent pas ce rituel sont jugées «impures», de condition sociale inférieure et ayant moins de chance de se marier. C’est pourquoi, malgré la douleur que l’opération entraîne, un grand nombre de jeunes filles sont prêtes à la subir. Mme Kombou estime que les programmes d’éducation peuvent leur donner le pouvoir de choisir et leur montrer que, sans excision, elles seront quand même des «femmes à part entière».

A Kousseri, dit Mme Oumate, les gens sont nombreux à croire que, lorsqu’une femme non excisée accouche, son bébé meurt: «Nous leur disons que dans le sud du pays, ou ailleurs, les gens ne pratiquent pas la MGF et que ça ne les empêche pas d’avoir des enfants. Les gens disent alors qu’ils pratiquent la MGF pour être de bons musulmans et nous leur expliquons qu’à La Mecque les femmes ne subissent pas la MGF».

Bien que la MGF ne figure pas dans le Coran, certains groupes islamistes la préconisent dans le cadre de la tradition islamique. Militant en faveur de l’adoption de mesures législatives plus énergétiques destinées à interdire la MGF au Cameroun,

Mme Oumate a reçu des menaces de mort. En partie à cause des pressions exercées par ces groupes, une nouvelle loi plus contraignante, proposée en juin 2003, n’a finalement pas été votée. «Les groupes islamistes qui s’opposent à l’élimination de la MGF sont encore actifs, dit Mme Oumate, mais ils perdent de leur force parce qu’il y a des imams qui affirment que le Coran ne demande pas de faire subir aux femmes l’excision».

Stratégies différentes, mêmes objectifs

Lorsqu’ils travaillent sur le terrain, les opposants à la MGF choisissent avec soin leur vocabulaire. Les associations de femmes affirment que «mutilation génitale féminine» est un terme dégradant, parce qu’il implique que les parents sont des «mutilateurs». Le terme «excision» est plus neutre, disent-elles. Mais certaines organisations soutiennent qu’une connotation négative peut contribuer à faire comprendre que cette pratique est nuisible. FDC évite également de qualifier sa campagne à Kousseri de «combat» ou de «guerre»: «Dès que vous prononcez ces mots, explique Mme Hadja, les gens sont sur la défensive, ils résistent et se mettent en colère».

Les organisations ont constaté aussi que l’appui de personnalités influentes pouvait être d’un grand secours. Le 3 octobre 2003, à Yaoundé, Françoise Mbango, athlète médaillée d’argent aux “Mondiaux de Paris 2003", l’ancien footballeur vedette camerounais Roger Milla et la ministre des Affaires sociales Cécile Mbomba Nkolo se sont prononcés publiquement en faveur de l’élimination de la MGF. Mme Mbomba est aussi présidente de»Nkul Nam" (Bien-être), association qui s’oppose à la violence à l’encontre des femmes.

A Kousseri, la campagne menée par FDC a été soutenue par l’imam Bobo Hayatou qui s’est rendu dans les villages environnants afin de convaincre les habitants de mettre fin à la MGF, en insistant sur le fait que leurs filles ne perdraient rien de leur prestige si cette pratique était abandonnée. Et les députés de la région se sont engagés solennellement à «contribuer et à promouvoir l’amélioration de la santé des femmes».

Les simples villageois ont maintenant le temps d’agir. A Kousseri, une femme a remarqué que le fait de s’informer des droits humains et de la santé et d’apprendre à s’organiser «a des effets positifs sur la vie des femmes de la communauté. Nous nous sentons maintenant plus concernées et nous participons à la prise de décisions». «Il est important d’avoir des lois», explique Marie Claire Mpongo, membre du Centre d’appui au développement de l’enfant et de la femme, une ONG basée à Yaoundé. «C’est une bonne stratégie que d’avoir une cérémonie d’initiation différente et des programmes d’alphabétisation des femmes, mais c’est la participation qui importe avant tout».


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