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Congo-Brazza |
VIE SOCIALE
Faire le voyage entre Brazzaville et Kinshasa par bateau restera encore longtemps une épreuve angoissante. Passeurs, bagagistes, policiers, voleurs… rivalisent d’astuces
pour voler et soutirer aux passagers argent et bagages.
Reportage9 octobre, 14 h. Sous une canicule tropicale, le beach (débarcadère) Ngobila de Kinshasa grouille de monde, comme d’habitude. Le bateau de la société publique du Congo-Brazzaville, est tout aussi bondé de monde et de gros colis qu’on ne cesse d’embarquer (de quoi craindre la triste aventure du Diola sénégalais), et s’apprête à regagner Brazza.
Ces dernières minutes sont celles où les «sans papiers» s’activent pour frauder et espérer prendre place à bord. Ils sont escortés soit par des agents du beach, des policiers qui y assurent l’ordre moyennant pots-de-vin, soit souvent par des jeunes qu’on appelle des «bagagistes». En réalité, ils sont à la fois bagagistes, passeurs et voleurs. On les rencontre tant au beach de Kinshasa qu’à celui de Brazzaville. Ces derniers moments sont une aubaine pour eux; ils en profitent pour voler plus facilement les passagers. Après leurs forfaits, certains se jettent dans le fleuve Congo pour remonter un peu plus loin.
Dès qu’un passeur voit venir quelqu’un qui veut voyager, il assure qu’il lui facilitera la tâche dans cet univers infernal où règne la loi de la corruption, une vraie jungle. Il lui prend alors ses pièces d’identité et c’est lui qui va se charger de remplir toutes les formalités. Il prendra aussi gentiment de l’argent pour aller acheter le billet et accompagner personnellement le voyageur dans le bateau après d’âpres négociations avec les policiers. «Mais ce n’est pas évident que toutes les formalités aient été remplies», souligne un passager qui attend désespérément d’être embarqué par un passeur à qui il s’est confié.
Jeannette, commerçante, habituée du trafic entre Kinshasa et Brazzaville et qui s’est déjà fait avoir, explique la magouille de ces faux bagagistes. «Ils ont toutes les astuces pour extorquer de l’argent aux gens qui ne sont pas habitués à ce monde d’escrocs qui prétendent rendre service. Ils peuvent par exemple te dire: “ajoute telle somme pour que je donne à un agent qui va t’accompagner, sinon tu auras de sérieux problèmes à ton arrivée de l’autre côté”. Après ils viendront te présenter quelqu’un qui n’est autre que leur copain qui ne fera rien pour toi», raconte-t-elle.
Police complice...
Cela fait de longues années que ces truands imposent leur loi aux beachs des deux Congos, au vu et au su de tous, en complicité d’ailleurs avec les policiers qui jouent aussi aux prédateurs. Et les autorités portuaires des deux pays laissent faire.
Une femme handicapée qui a pu monter dans le bateau grâce à un “bagagiste”, supplie depuis quelques minutes ce dernier de la laisser en paix. «Que veux tu encore», lance t-elle. «Je t’ai déjà payé le service que tu m’as rendu. Et j’ai aussi payé tous les agents qui voulaient me refouler. Je n’ai plus rien», insiste-t-elle en suant à grosses gouttes. Pendant ce temps, une autre femme se dispute avec un “bagagiste” qui n’a pas pu embarquer tous ses colis, et refuse de payer la main-d’œuvre alors que le bateau vient de quitter l’embarcadère. «Ces gens sont de grands voleurs. Celui-là a laissé une partie de mes colis, et il veut que je le paye. Et si on volait mes marchandises, qui va perdre?», s’exclame-t-elle devant les passagers qui assistent impuissants à la scène.
Ce quinquagénaire habitué à la traversée, professe à qui veut bien l’entendre: «Ici, si tu ne veux pas te faire voler, il faut blottir ton sac de voyage contre ta poitrine. Quand on te bouscule, tu en fais autant. Parce que ce sont les voleurs qui créent les embouteillages pour voler les gens. Et la police regarde sans rien faire», explique-t-il en regardant un étranger dont on a failli déchirer le sac de voyage. «Surtout, ne prenez jamais le bateau zaïrois qu’on appelle grand bac. Là, c’est pire. C’est un véritable bateau de pauvre. Si tu as de l’argent, il vaut mieux prendre le bateau rapide. Il coûte un peu cher: 11.000 fcfa l’aller simple, mais au moins on voyage tranquille. Et il n’y a presque pas de monde. Au lieu de se salir ici pour 4.500 fcfa».
Chasser les “bagagistes”
Marien, un “bagagiste” brazzavillois, estime que tous les “bagagistes” ne sont pas pareils. «Personnellement, je n’ai jamais volé les passagers qui se confient à moi. C’est mon gagne-pain. Ceux qui le font sont des voleurs ordinaires. Ce sont eux qui ternissent l’image des bagagistes», lance t-il.
La tentative de regrouper ces jeunes au sein d’associations n’a abouti à rien. «La seule chose pour arrêter la délinquance aux beachs des deux villes, c’est d’en chasser ces jeunes. Et que les bateaux organisent leur propre service de manutention», suggère un agent du service de l’immigration de Brazzaville. Pourtant, du coté de Ngobila à Kinshasa, quelques efforts ont été faits pour essayer d’imposer l’ordre. Mais, «chassez le vice et il revient au galop», regrette Godefroid, un journaliste kinois.
Le 14 octobre, lors de la visite à Brazzaville de Joseph Olengankoy, ministre des Transports de la RDC, à son homologue Isidore Mvouba, on a cherché comment humaniser les conditions de transport entre les deux villes. Mais reste à savoir si les décisions prises en haut lieu seront exécutées à la base.
- Sylphes Mangaya, Congo-Brazzaville, octobre 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source
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