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SANTE
La réalisation d’un “grand rêve”
pourrait servir de modèle à d’autres campagnes sanitairesMme Colette Abogo, une grand-mère sexagénaire du village de Yambassa, dans l’arrondissement de Bokito, à quelque 110 km à l’ouest de Yaoundé, souffrait de démangeaisons incontrôlables et de lésions cutanées, symptômes manifestes de la progression de l’onchocercose, ou cécité des rivières. Heureusement, elle a pu recevoir gratuitement une dose de Mectizan de la Fondation Carter, une ONG américaine qui opère au Cameroun sous l’égide du ministère de la Santé publique. Ceci lui a permis d’éviter que la maladie n’atteigne son stade de maturation, stade auquel une cécité irréversible peut se déclarer.
En fait, Mme Abogo a reçu la 250 millionième dose de Mectizan, événement symbolique marqué, au mois d’octobre 2003, au cours d’une cérémonie à laquelle ont participé 2.000 villageois de Bokito, le secrétaire d’Etat à la Santé publique, Alim Hayatou, des représentants de la Fondation Carter, d’autres ONG et de plusieurs organismes bilatéraux présents au Cameroun. «J’avais beaucoup souffert et la hantise de ne pas guérir me déprimait», a-t-elle dit par la suite aux reporters de la télévision nationale. «Je peux maintenant recommencer à cultiver mon champ et à m’occuper de ma famille».
Le nombre de villageois camerounais qui, comme Mme Abogo, ont besoin d’un traitement pour la cécité des rivières, ne cesse de diminuer. Dans les trois provinces septentrionales, où cette maladie sévit, notamment dans le département du Mbam qui est arrosé par deux grands fleuves, la Sanaga et le Mbam, une campagne menée depuis les années 1970 — le Programme d’élimination de l’onchocercose (PEO) — s’est officiellement achevée en novembre 2003. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que cette campagne a permis d’éviter 450.000 nouveaux cas. Au total, 1,2 million de villageois ont pu être protégés. Maintenant que le danger a disparu, des milliers d’agriculteurs dans le Mbam ou dans le nord du Cameroun, commencent à remettre en valeur des terres fertiles, situées en bordure des fleuves. Ces régions pourraient produire de quoi nourrir 3 millions de personnes.
Mme Hélène Mambu Ma-Disu, représentante résidente de l’OMS, a noté que les réalisations du PEO «incitent tous ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine de la santé publique, à faire de grands rêves, parce que nous pouvons atteindre des objectifs “irréalisables” et atténuer les difficultés que subissent des milliers de personnes parmi les plus pauvres du Cameroun». Quant à M. Hayatou, il a qualifié le PEO de «réussite exemplaire de lutte contre une maladie». C’est là un «exemple qui devra nous aider à élaborer d’autres programmes contre d’autres maladies qui portent un grave frein au développement de notre pays».
Un fléau débilitant
Au cours des dernières décennies, l’onchocercose a fait environ 100.000 victimes au Cameroun et est à l’origine de près d’un dixième de la totalité des cas de cécité. La vaste majorité de ces cas se retrouve dans les régions du Centre, de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord où, indique le ministère de la Santé publique, «près de 28% des habitants sont touchés par la maladie».
La maladie se propage par la piqûre d’une mouche noire, la simulie, que l’on trouve généralement près des ruisseaux, des rivières ou des fleuves — d’où son nom usuel. Suite à cette piqûre, des vers parasites pénètrent dans l’organisme et, en se propageant, ils provoquent d’effroyables démangeaisons, des douleurs et une faiblesse musculaires. A terme, parvenus au stade adulte, ils attaquent les yeux, provoquant une cécité permanente. Ce stade final peut être atteint parfois 30 ans après la première piqûre.
Récemment, des scientifiques allemands ont affirmé qu’une bactérie vivant à l’intérieur de ces parasites pourrait être à l’origine de la cécité des rivières. Si d’autres études, actuellement menées au plan international, viennent confirmer cette théorie, les nouveaux cas d’onchocercose seront peut-être plus faciles à traiter avec des antibiotiques courants. Ce qui permettra de réduire encore davantage le nombre d’infections. Cette importante découverte pourrait contribuer à accélérer les travaux du PEO, institué il y a près de trois décennies et dont la fin officielle est prévue d’ici à 2010.
L’onchocercose est plus qu’un problème de santé. La mouche noire se multiplie le long des rives qui sont parmi les plus fertiles. Ainsi au Cameroun, dans les années 70, lorsque la maladie faisait le plus de victimes, près de 110.000 km2 de vallées fertiles situées en bordure des rivières ont été abandonnés, causant des pertes économiques évaluées à 4 milliards de francs Cfa (environ 6 millions d’euros) par an. Et pendant ce temps, près de 278.000 personnes étaient infectées par ce parasite.
Une campagne coordonnée
Le Programme de lutte contre l’onchocercose, a démarré officiellement en 1974 et touchait à l’origine sept pays. Il était parrainé par l’OMS, la Banque mondiale, le PNUD et la FAO. A présent, plus de 12 pays y participent en Afrique de l’Ouest, ainsi que plus de 25 donateurs, une quarantaine d’ONG et de nombreuses associations locales rurales. En 1980, le PEO est passé sous la direction du docteur Ibrahim Samba qui, 15 ans plus tard, est devenu le directeur régional de l’OMS pour l’Afrique.
Au plus fort de la lutte contre la maladie, indique-t-on à la représentation nationale de l’OMS, le PEO mobilisait environ 800 chercheurs, médecins et autre personnel, et agissait sur plusieurs fronts. Grâce à des pulvérisations aériennes d’insecticide, le programme a réduit la population des mouches noires dans les régions les plus infestées. Avec l’aide des donateurs, le PEO a encouragé la recherche de médicaments et de programmes de traitement efficaces pour ceux qui avaient déjà contracté l’onchocercose.
Comme le souligne le Dr. Mambu Ma-Disu de l’OMS à Yaoundé, l’une des clefs du succès du PEO au Cameroun et dans d’autres pays d’Afrique centrale, a été la participation d’intervenants multiples. Une bonne coordination était donc particulièrement importante. En dépit de conflits politiques, le PEO a pu intervenir partout grâce à sa réputation d’honnêteté et d’efficacité.
L’un des principaux participants a été Merck & Co, une compagnie pharmaceutique multinationale américaine qui, en 1988, a proposé de faire don du médicament Mectizan. Si l’on prend de ce médicament pendant 15 ans — durée de vie de la forme adulte du parasite — son efficacité est presque totale. Selon le directeur général de Merck & Co, Raymond Gilmartin, la société «a à cœur de continuer à fournir gratuitement du Mectizan à tous ceux qui en ont besoin, où qu’ils se trouvent dans le monde».
Participation locale
Sight Savers International (SSI) est l’une des ONG chargées au Cameroun de surveiller le programme de distribution de médicaments et d’offrir une formation aux Camerounais. «Depuis un demi-siècle, cette organisation lutte contre la cécité des rivières et est venue en aide à plus de 5,5 millions de personnes dans le monde», a affirmé sa directrice de programme, Mme Catherine Cross.
Une des méthodes fondamentales à laquelle SSI et d’autres organisations ont eu recours, a consisté à faire participer la population locale aux différents aspects de la campagne. «Nous avons formé des spécialistes des soins oculaires primaires, des travailleurs paramédicaux et des experts, pour qu’ils puissent se servir des nouvelles technologies. On a enseigné à la population locale des techniques de rééducation, y compris aux aveugles. On a fait appel aux collectivités et aux institutions de l’administration locale pour qu’elles aident à distribuer les médicaments», affirme Mme Cross.
Mme Géraldine Logmo, médecin en santé publique, estime qu’en privilégiant les simples citoyens, le PEO est un exemple àsuivre dans la lutte contre d’autres maladies, y compris le VIH/SIDA: «L’enseignement que la communauté internationale peut en tirer — dit-elle — est qu’il faut faire participer les autorités nationales et les collectivités locales».
- S. Tetchiada & G. Nguekeng, Cameroun, novembre 2003 — © Reproduction autorisée en citant la source