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http://www.liberation.fr/quotidien/semaine/981130luni.html
Le sommet de Paris promet un «accord
sur parole» au Congo
Par MARIE-LAURE COLSON
ET STEPHEN SMITH
Le lundi 30 novembre 1998
«Quand on est entre
les crocs du crocodile,
on ne négocie pas
avec lui.»
Kabila, président du
Congo-Kinshasa
l'issue du sommet
franco-africain, les
protagonistes de la guerre au
Congo-Kinshasa ont quitté
Paris en promettant de
parapher d'ici peu un accord
qu'ils signeront plus tard...
Samedi, réunis autour de leur
«grand frère» Kofi Annan, le
secrétaire général ghanéen
des Nations unies qu'ils ont
pris à témoin, Laurent-Désiré
Kabila et les dirigeants des six pays militairement engagés dans l'ex-Zaïre ont
donné leur parole de conclure, le 8 décembre à Lusaka, un «accord préliminaire»,
puis, le 17 décembre à Ouagadougou, un
«accord en bonne et due forme». Cependant, n'ayant été consultés ni par leurs
parrains rwandais et ougandais ni par l'ONU ou
l'Organisation de l'unité africaine (OUA), les rebelles congolais ont aussitôt
désavoué la «validité» de cet engagement.
Promesses. La paix sera-t-elle au bout de ce gymkhana diplomatique ? Samedi, en
clôturant le sommet, Jacques Chirac a
voulu y croire. «Je n'ai pas de raison de douter de leur parole», a-t-il déclaré
en relevant le «mouvement de chacun des
protagonistes». Kabila a accepté de signer un cessez-le-feu sans exiger, au
préalable, le retrait des troupes ougandaises et rwandaises, fer de lance de la
«rébellion». Il s'est par ailleurs engagé à
démocratiser son régime en rétablissant les libertés publiques, en légalisant
les partis politiques et en ouvrant des négociations avec ses opposants avant la
tenue d'élections. De son côté, la coalition
ougando-rwandaise a implicitement renoncé à l'instrumentalisation des rebelles
congolais, en vérité des opposants sans armes et sans grande popularité, en se
repliant sur l'exigence d'une sécurisation de ses frontières, incontestablement
légitime. Enfin, le déploiement d'une force africaine d'interposition a été
accepté par les Nations unies et l'Organisation de l'unité africaine. L'ONU
assurerait le financement de cette opération de paix, tandis que l'OUA
trouverait des contingents de Casques bleus.
«Génocideur». Samedi, quelques heures après ces promesses solennelles, Kabila a
fait entendre un autre son de cloche devant la communauté congolaise, venue
l'acclamer à l'hôtel. Au sujet de la démocratisation, il a estimé que l'Occident
voulait «mobutiser»
l'ex-Zaïre en y semant la pagaille. Au sujet du Rwanda et de l'Ouganda, le
président du Congo-Kinshasa s'est exclamé : «Quand
on est entre les crocs du crocodile, on ne négocie pas avec lui.» Répondant aux
accusations répétées du Rwanda d'être un
«génocideur» pour avoir appelé à une «guerre populaire contre les envahisseurs
tutsis», Kabila a situé le «vrai génocide» au Rwanda, où «les Tutsis
minoritaires sont allergiques à la démocratie et
massacrent les 85% de Hutus». En guise de préambule à un accord de paix, on
pouvait espérer mieux.
Le sommet sur la sécurité en Afrique s'est achevé sur une bonne action accomplie
au chevet du Congo. Quant aux mécanismes de
prévention ou de règlement des crises, dont il devait être question, ils ont été
sacrifiés à l'actualité la plus forte, comme d'ailleurs la guerre latente entre
l'Ethiopie et l'Erythrée ou le conflit en Guinée-Bissau. Sur le plan
institutionnel, rien n'a été proposé, et l'«architecture» de la sécurité
collective en Afrique, évoquée dans le discours d'ouverture de Chirac, reste à
construire. «J'espère qu'il ne faudra pas chaque fois organiser un sommet franco
-africain pour éteindre un
incendie sur le continent», a lâché un chef d'Etat ouest-africain estimant avoir
«fait le voyage pour rien».
Rituel. Malgré le succès d'affluence du sommet de Paris, la pérennité des
retrouvailles franco-africaines ne paraît pas assurée. Certes, deux pays - Mali
et Cameroun - se sont portés candidats pour accueillir le prochain sommet, en
l'an 2000. Mais la spécificité de ces
grand-messes tend à se perdre depuis qu'elles se sont transformées en sommets
panafricains. A Matignon, on songe à «mettre fin à un
rituel qui perd sa signification» en proposant que le relais soit pris par des
sommets Europe-Afrique. L'occasion pourrait être le premier sommet
intercontinental, qui doit se tenir également en 2000 au Caire. L'Elysée reste
toutefois attaché aux tête-à-tête franco-africains.